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Drame

Avortement : la Pologne sous le choc après la mort d’une femme à l’hôpital

Dans plusieurs villes du pays, des manifestants ont rendu hommage à une trentenaire enceinte, décédée fin septembre. Les protestataires la décrivent comme la première victime de la nouvelle législation anti-avortement en vigueur depuis le début de l’année dans le pays.
par Samuel Ravier-Regnat
publié le 3 novembre 2021 à 22h15

Dans la pieuse Pologne, le 1er novembre est une journée à part, lors de laquelle les tombes sont éclairées de millions de bougies en souvenir des défunts. 2021 n’a pas échappé à la règle, mais la Toussaint polonaise a basculé cette année dans une dimension tragique : à Varsovie, Cracovie ou encore Gdansk, des femmes et des hommes ont manifesté derrière le slogan «Plus jamais ça» en hommage à Izabel, une femme de 30 ans décédée le 22 septembre dans un hôpital de Pszczyna, une petite ville située dans le sud du pays. Rendues publiques vendredi sur Twitter par l’avocate de la jeune femme, enceinte de vingt-deux semaines au moment des faits, les conditions du drame ont provoqué l’indignation et donné un nouvel élan à la mobilisation pour l’avortement, qui fait l’objet depuis début janvier d’une quasi-interdiction dans le pays.

Mariée depuis dix ans et mère d’une petite fille de 9 ans, Izabel travaillait dans un salon de coiffure. Fin septembre, elle est admise à l’hôpital après une rupture des membranes qui a provoqué la libération du liquide amniotique. Malgré cette situation qui mettait en péril sa santé et alors que le fœtus présentait des malformations, comme l’a confirmé plus tard l’hôpital, les médecins n’ont pas pratiqué d’avortement, de peur d’être poursuivis par la justice. Izabel a succombé à un choc septique, peu après avoir envoyé un SMS alarmant : «Ma fièvre monte. J’espère que je n’aurai pas de septicémie ou que je ne m’en sortirai pas.»

«Les médecins ont attendu la mort du fœtus», déplore Jolanta Budzowska. L’avocate, spécialisée dans les erreurs médicales, met en cause la législation ultra-restrictive en vigueur en Pologne depuis un arrêt rendu en octobre 2020 par le Tribunal constitutionnel, devant lequel des manifestants ont allumé des bougies lundi. Dans le nouveau cadre juridique entériné le 27 janvier, l’avortement est légal seulement en cas de viol et de danger pour la santé de la mère. Quant aux IVG justifiés par des malformations du fœtus, elles sont désormais interdites et les médecins qui les pratiquent risquent jusqu’à trois ans de prison.

«Les médecins ont peur»

«Au lieu de protéger la vie de la femme, les médecins pensent à sauver le fœtus. C’est l’effet paralysant de la décision du Tribunal constitutionnel qui est responsable de cette situation», attaque dans un communiqué Kamila Ferenc, de l’organisation Federation for Women and Family Planning, qui a entamé en juillet une action en justice pour «traitement inhumain» devant la Cour européenne des droits de l’homme. Chargé des sujets droits des femmes à Amnesty International Pologne, Miko Czerwinski explique à Libération que «les médecins ont peur de pratiquer des avortements en Pologne». «Avec la nouvelle loi, ils hésitent davantage avant de recourir à l’IVG. On pourrait leur demander si la santé de la mère était vraiment en danger, et ils seraient poursuivis. Cela a un effet dissuasif», précise-t-il.

La direction de l’hôpital de Pszczyna s’est défendue en assurant que les médecins avaient fait tout leur possible, avec comme seule préoccupation «la santé et la vie de la patiente et du fœtus». Plusieurs représentants du PiS, le parti ultraconservateur Droit et Justice, au pouvoir en Pologne, ont jugé que la mort d’Izabel n’avait rien à voir avec la nouvelle législation, à l’image du député Marek Suski qui a déclaré à la télévision que «le fait que les gens meurent relève de la biologie» et que des erreurs médicales pouvaient arriver.

Vendredi, le jour même où l’avocate d’Izabel faisait état de sa mort dans des circonstances qui devront être clarifiées par la justice, saisie de l’affaire, un nouveau projet de loi a été mis à l’agenda du Parlement polonais. Proposé par une organisation citoyenne, la «Pro Life Foundation», celui-ci prévoit des peines pouvant aller jusqu’à vingt-cinq ans de prison pour ceux qui pratiqueraient des avortements illégaux. Un texte qui mettrait la santé des femmes encore davantage en danger, dans un pays où les avortements légaux représentaient déjà avant 2021 une partie infime du total. «Les études l’ont montré : l’interdiction ne permet pas de mettre fin à l’avortement, cela ne fait qu’augmenter les risques pour les femmes, souffle Miko Czerwinski d’Amnesty International. D’autres femmes mourront comme Izabel si l’avortement n’est pas légalisé en Pologne.»

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