Syndrome de la femme battue : «J’ai déjà entendu dire : si elle y retourne, c’est qu’elle aime ça »

Ce jeudi, Valérie Bacot, qui a été reconnue coupable le 25 juin 2021, de l’assassinat de son mari violent, a livré au Sénat le récit glaçant des obstacles qu’elle a rencontrés pour simplement demander de l’aide. Aujourd’hui, elle veut la reconnaissance pleine et entière du syndrome de la femme battue attesté par la psychiatrie.

«Je comprends aujourd’hui cette emprise qui vous mange», a témoigné au Sénat Valérie Bacot, reconnue coupable de l'assassinat de son mari violent.
«Je comprends aujourd’hui cette emprise qui vous mange», a témoigné au Sénat Valérie Bacot, reconnue coupable de l'assassinat de son mari violent.

    « J’ai vraiment honte de ce que j’ai fait et c’est compliqué d’avancer à cause de ça ». La voix de Valérie Bacot se lance d’abord prudemment, retenant des sanglots au fur et à mesure qu’elle chemine sur son parcours de victime de violences. Un calvaire qui démarre dès l’enfance dans une famille censée la protéger. Rassurée par la présence de son avocate, Me Nathalie Tomasini, et les mots bienveillants de la présidente de la délégation aux Droits des femmes, Annick Billon, la mère de famille se dénoue, se tient plus droite et ses mots se font plus assurés.

    Ce jeudi, celle qui a été reconnue coupable le 25 juin 2021 de l’assassinat de son mari violent, a livré au Sénat le récit glaçant des nombreux obstacles qu’elle a rencontrés (ainsi que ses enfants) pour simplement demander de l’aide. En vain. « Vous avez été trahie par votre famille (…), l’État a échoué à vous protéger, l’institution aussi », reconnaît d’ailleurs Annick Billon. Mais surtout, Valérie Bacot a parlé d’avenir et des combats qu’elle envisage désormais de mener.

    Un syndrome reconnu depuis 1990 au Canada

    Son cheval de bataille : la reconnaissance dans la loi, et dans la société, du syndrome de la femme battue (SFB). Soit, un état d’emprise lié à la répétition de violences qui altère le discernement et attesté par la psychiatrie. Pour la première fois, lors du procès de Valérie Bacot, ce syndrome était inscrit en toutes lettres par un psychiatre dans un rapport d’expertise judiciaire. C’est historique. Si c’est une première en France, ce n’est pas le cas au Canada, par exemple, où il est reconnu depuis 1990. Cette notion avait en effet été validée par la Cour Suprême canadienne dans le cas d’un homicide conjugal survenu dans des conditions très proches, l’affaire Angélique Lavallée.

    Au terme d’un procès qui aura duré cinq jours, la cour d’assises de Saône-et-Loire a condamné Valérie Bacot à quatre ans de prison, dont trois avec sursis, pour avoir tué son mari d’une balle dans la nuque. Daniel Polette, dit « Dany », était son ex-beau-père, le père de ses quatre enfants, l’homme qui l’a violée, menacée, isolée, contrôlée, épousée, prostituée, frappée pendant près de vingt-cinq ans. Ce jugement lui a permis de ne pas être réincarcérée, en raison de l’année qu’elle avait déjà passée en détention provisoire.



    « Ce syndrome existe mais les gens ont du mal à le comprendre. Mon but est de changer cela », assène Valérie Bacot. « Je veux l’expliquer auprès des personnes qui le vivent et ne s’en rendent pas compte », précise-t-elle, mais aussi auprès de la population dans son ensemble et à qui cela échappe. « J’ai déjà entendu des gens dire : si elle y retourne, c’est qu’elle aime ça. C’est très compliqué à encaisser », explique-t-elle aux sénatrices présentes, ainsi qu’au seul sénateur ayant fait le déplacement pour l’entendre, Hussein Bourgi.

    « Je plie toujours le linge comme il voulait que je le fasse, je surveille encore derrière moi… »

    La délégation (mixte) aux Droits des femmes est chargée d’informer le Sénat de la politique suivie par le gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elle assure, dans ce domaine, le suivi de l’application des lois. Elle peut également être saisie sur un projet ou une proposition de loi. Voilà pourquoi Valérie Bacot était auditionnée sur le thème des violences faites aux femmes. Pour aider le législateur.

    Sur ce point, « cela fait sept ans que nous œuvrons pour faire évoluer la législation », souffle la sénatrice LR, Valérie Boyer, membre de la délégation. Elle a notamment tenté de faire passer un amendement introduisant le fait que « les violences conjugales, qui entraînent des traumatismes certains sur les victimes, devront systématiquement être prises en compte comme une cause d’irresponsabilité pénale ». L’amendement déposé dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi sur l’irresponsabilité pénale, avait été rejeté par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui l’assimilait à « un permis de tuer ».

    Ce syndrome de la femme battue, Valérie Bacot dit le subir encore. « J’ai gardé des habitudes du temps où j’étais avec lui. Je plie toujours le linge comme il voulait que je le fasse, je surveille encore derrière moi… J’évolue dans le présent, je pense au futur mais intérieurement je vis dans le passé. » Ce n’est qu’au moment du procès qu’elle a pris conscience. « Je comprends aujourd’hui cette emprise qui vous mange mais à cette époque-là, j’avais le sentiment que s’il s’énervait c’était à cause de moi. Je m’autoprogrammais pour agir de façon qu’il ne me maltraite pas et ne s’en prenne pas aux enfants », témoigne-t-elle.

    En France, les homicides conjugaux restent majoritairement le fait des hommes qui représentent 82 % des auteurs de féminicides, en 2020. Parmi les femmes autrices, la moitié d’entre elles avaient déjà été victimes de violences de la part de leur partenaire, certaines ayant déjà signalé les faits aux forces de l’ordre, selon les données du ministère de l’Intérieur.