Sexisme en politique : 74% des femmes élues locales le subissent

Une enquête du réseau Elues Locales, que nous révélons ce vendredi, quantifie les violences, les comportements ou encore les remarques sexistes auxquels les femmes élues dans les collectivités doivent faire face. Elles sont les grandes invisibles du mouvement MeToo politique.

Dans les collectivités territoriales, pas moins de 74 % des femmes élues sont ou ont été victimes de sexisme dans le cadre de leurs fonctions. Christophe Morin / IP3 [Photo via MaxPPP]
Dans les collectivités territoriales, pas moins de 74 % des femmes élues sont ou ont été victimes de sexisme dans le cadre de leurs fonctions. Christophe Morin / IP3 [Photo via MaxPPP]

    Tout a commencé par un mail, dès le début de son mandat en 2020. Alors adjointe au maire de Berric (Morbihan), Solène Le Monnier note qu’elle n’est pas invitée à une réunion de la commission Travaux à laquelle elle doit participer. « La liste n’était constituée que d’hommes. On m’a refusé l’accès sous prétexte que le local était trop petit », ironise l’élue. Depuis, des exemples comme celui-ci, ou d’autres plus violents, se sont accumulés lui signifiant qu’elle ne devait sa place qu’à l’obligation de rendre la parité effective dans l’exécutif du conseil municipal. « J’étais un quota », résume-t-elle, cinglante. Dans le MeToo politique, elles sont hors des radars. Le mouvement dénonçant les violences sexistes et sexuelles dans les sphères du pouvoir politique cache en effet une foule d’élues municipales, intercommunales, rurales… qui font tourner la machine localement mais sont invisibilisées lorsqu’elles dénoncent le sexisme auquel elles sont confrontées. Il est pourtant écrasant. Dans les collectivités territoriales, pas moins de 74 % d’entre elles en ont déjà été victimes, selon une étude exclusive que nous révélons ce vendredi, jour de la 10ème Journées Nationales des Femmes Élues.

    Les chiffres dépeignent un environnement hostile dans lequel elles évoluent

    À la manœuvre : le réseau Élues Locales qui a réalisé l’enquête comptant 950 participantes, et qui œuvre à faire évoluer les mentalités sur la place des femmes dans ce milieu. Les chiffres recueillis dépeignent un environnement hostile dans lequel évoluent ces femmes engagées. Ce qui ne surprend pas du tout la fondatrice du réseau. « Cela fait dix ans qu’elles nous livrent ces témoignages. Il s’agissait aujourd’hui de quantifier le phénomène. Désormais, cette étude doit être un électrochoc pour les collectivités locales. D’autant que l’écrasante majorité des violences dénoncées viennent d’autres collègues élus (82 %, NDLR). Et si nous saluons la prise de parole de femmes politiques médiatisées, elles sont effectivement l’arbre qui cache la forêt », pointe Julia Mouzon, qui insiste également sur le fait que ce sexisme n’a pas de couleur politique. « Il est transpartisan », ajoute-t-elle. En 2022, de nouveaux outils seront ainsi mis à disposition des collectivités par le réseau contre les violences faites aux femmes en politique.

    « J’ai perdu toutes mes délégations »

    Interruptions lors de prises de parole, attitudes paternalistes, blagues ou remarques sexistes forment le gros de ces comportements excluant les élues de la table des discussions. Ils font aussi que près d’une sur trois a pensé abandonner la politique. Les autres pourcentages sont moins spectaculaires. Il n’empêche, ils ne sont pas anodins : 5 % font état de harcèlement, 3 % de menaces de mort, de viol et de coups, 1 % de violences physiques. « Nous ne crions pas toutes au viol mais toutes à la violence. Pour avoir fait valoir mon droit à exister au sein du conseil municipal, je l’ai payé de mon poste. J’ai perdu toutes mes délégations après de multiples humiliations publiques remettant en cause mon travail. Je n’étais pas mise au courant des dossiers sur la commune, j’étais placardisée. On me demandait simplement de faire acte de présence », précise Solène Le Monnier.



    L’élue toujours en poste est ainsi devenue simple conseillère municipale d’opposition… à son insu. « Je l’ai découvert un matin. Je n’en avais pas fait la demande. Je suis malgré tout heureuse de ne plus être associée à cet exécutif, souffle-t-elle, et la tête de liste avec qui je travaille désormais est une femme très soutenante ». Pas d’autres soutiens sur ce territoire de près de 2000 habitants ? Non. Il ne faut pas faire de vague au risque de perdre l’esprit village et surtout son poste. « Ceux qui ont le pouvoir s’estiment maîtres chez eux, ce sont des enfants du pays. Ils n’ont accepté les femmes que sous la contrainte de la loi. C’est encore plus dur à avaler lorsque cela vient de personnes qui vous ont côtoyé au quotidien », estime Solène Le Monnier.

    « Si on vivait si bien que cela grâce au travail de ces messieurs, ça se saurait ! La société doit pouvoir bénéficier de tous les potentiels et, à cet effet, les territoires ne peuvent pas se priver de la parole des femmes. Des hommes entendent cela et l’accompagnent, mais ils sont encore trop peu nombreux et ne parlent pas assez fort », regrette Christelle Matheu, élue maire du village de Lamasquère (Haute-Garonne) en mai 2020. Si c’est son premier mandat en tant que maire, elle connaît la direction de collectivités depuis 15 ans. Elle voit les délégations qui sont attribuées aux femmes : l’enfance, la culture mais surtout pas les finances… « J’ai été élue et je suis légitime mais je sais très bien que si je fais une erreur, on va bien la relever alors qu’on laisse passer bon nombre d’aberrations masculines », raille l’élue.

    Elle-même a-t-elle été l’objet de comportements ou de remarques sexistes dans ses fonctions ? Elle laisse échapper un soupir qui en dit long. « Mercredi soir encore, j’ai eu droit à « tu débutes », sous-entendu « tu es mignonne mais tais-toi ». J’aime beaucoup aussi lorsqu’un élu me dit qu’il n’a sans doute pas fait preuve d’assez de pédagogie pour m’expliquer quelque chose que j’ai refusé. Si, si, j’ai très bien compris mais je ne suis pas d’accord. Tout simplement », recadre-t-elle.