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Santé

Les violences médicales transphobes, en France, « ça commence dès la salle d’attente »

La vie des personnes trans dans une société cis-normée est émaillée de violences. Focus, aujourd’hui, sur celles qui se déroulent dans le milieu médical, et ont de graves conséquences.

« Les violences transphobes, c’est partout et tout le temps », lance Sophia, 47 ans. Et d’ajouter :

« Le problème, lorsqu’elles sont orchestrées par le milieu médical, c’est que l’on ne se sent bien souvent pas légitime à se défendre, ou alors il est même trop tard lorsque l’on s’en rend compte, et les dégâts sont déjà faits ».

Ces violences, Sophia en a fait les frais dès le début de sa transition, de la psychiatrisation aux palpations aussi inutiles que forcées. Régulièrement, des témoignages similaires sont partagés sur les réseaux sociaux, tout particulièrement Twitter, appelant à la fin desdites violences, et au respect des personnes trans.

La transphobie médicale, de la violence psychologique…

Jordan, 21 ans, confie à Madmoizelle :

« Ça commence dès la salle d’attente, où l’on ne fait bien souvent pas attention à notre genre, et on nous mégenre [ndlr : assigner à la personne par un genre qui ne lui correspond pas, que ce soit volontairement ou non] ; on a le choix entre corriger le propos, et s’outer [ndlr : ici, révéler sa transidentité] devant tout le monde, ou souffrir en silence ».

« Je ne cherche plus à savoir si c’est volontaire ou non — quand on travaille auprès de personnes trans, on fait attention à ses pratiques, c’est la base. »

Jordan, 21 ans

Face aux professionnels de santé, difficile de s’affirmer et de faire valoir ses droits. Jordan se montre, à juste titre, intransigeant :

« Je ne cherche plus à savoir si c’est volontaire ou non — quand on travaille auprès de personnes trans, on fait attention à ses pratiques, c’est la base. »

Chaque jour, Jordan affirme être mégenré de cinq à dix fois — par sa famille, ses amis, les caissiers au supermarché, les vendeurs dans les magasins…

« Alors quand cela arrive dans le milieu médical, alors que je me trouve dans une situation de vulnérabilité, c’est la goutte d’eau qui fait déborder l’océan de ras-le-bol. Les personnes cis [ndlr : qui se sentent en accord avec le genre qu’on leur a assigné à la naissance] y voient un détail, j’y vois une négation de qui je suis. »

…à la violence physique

Et les violences transphobes ne s’arrêtent pas aux mots.

Sur ses genoux tremblants, ses doigts s’emmêlent dans une chorégraphie nerveuse. Alicia* a rendez-vous chez son chirurgien cet après-midi pour un entretien préalable à une opération de féminisation du visage, opération tant désirée depuis de nombreuses années. Toutefois, c’est l’angoisse qui prend le pas sur les espoirs de la jeune femme de 27 ans, résidant en Moselle.

« Il y a quelques années, j’ai été opérée des parties génitales, et mon chirurgien de l’époque m’a charcutée, il n’y a pas d’autres mots. On m’a engueulée parce que selon eux, j’aurais dû être heureuse qu’on accepte de m’opérer, déjà. »

« Sous-entendre qu’on a le droit de bâcler une opération parce que c’est un corps trans, c’est d’une violence sans nom. »

Alicia*, 27 ans

Après l’opération et ses complications, Alicia demande quelques comptes audit chirurgien, qui lui aurait alors rétorqué : « C’est une chirurgie nécessaire ou esthétique ? Il faut vous décider, monsieur », mégenrant volontairement sa patiente.

« J’ai fini en larmes, j’ai craqué. Sous-entendre que cette opération était superflue, qu’on a le droit de bâcler le travail parce que c’est un corps trans, c’était d’une violence sans nom. Ce n’était pas la première fois que je subissais des violences de la part du corps médical… et ce ne sera malheureusement pas la dernière, je suppose. »

Alicia porte les cicatrices physiques et psychologiques de son opération.

« J’ai fait plusieurs hémorragies internes, on me disait que je n’avais pas si mal, que j’exagérais… Puis ma plaie s’est violemment infectée, et là on s’est inquiété, et j’ai été à nouveau opérée. »

« Après tant de violences, c’est normal d’être quelque peu… suspicieux et suspicieuses »

Ces violences subies, Alicia les associe à la SoFect, société savante créée en juillet 2010 dont le but initial, officiellement, était de réunir les professionnels de santé accompagnant les personnes trans dans leurs parcours médicaux.

Fortement décriée par les associations qui pointent du doigt les pratiques et la mainmise de cette société savante sur les parcours de transition, la SoFect a été dissoute début 2020. Toutefois, son dernier président en date, Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue à Lyon, est devenu président d’un nouveau collectif similaire : Trans-Santé, association créée en novembre 2020.

Ada, 34 ans, militante pour les droits des personnes trans, se montre circonspecte :

« Je comprends que les intentions de Nicolas Morel-Journel diffèrent des pratiques décriées de la SoFect, mais j’attends de voir ce qu’il en est vraiment en pratique. Après tant de violences, c’est normal d’être quelque peu… suspicieux et suspicieuses. »

« Il faut arrêter de mêler psychiatrie et transidentité systématiquement. »

Ada, 34 ans, militante pour les droits des personnes trans

Les faits reprochés à la SoFect ? « La psychiatrisation systématique des personnes trans dans leur parcours de transition, et la volonté des professionnels de santé associés de dissuader à tout prix les personnes concernées de transitionner », selon Ada.

Des pratiques qui se ressentent encore aujourd’hui dans l’accompagnement des personnes trans au fil de leurs parcours de transition, comme poursuit la militante :

« On m’a forcée à obtenir un diagnostic de dysphorie de genre, alors même qu’on sait aujourd’hui qu’il est tout à fait possible de ne pas subir la dysphorie pour être trans et vouloir être hormoné ou hormonée. Il faut arrêter de mêler psychiatrie et transidentité systématiquement. »

Ada souhaite que les parcours de transition hormonale soient simplifiés ; que le libre-arbitre des personnes concernées soit respecté, et non nié par les professionnels de santé. 

Si certains médecins ont bel et bien entendu cette revendication légitime, d’autres perpétuent les violences, qu’elles soient physiques ou psychologiques, dans le public comme dans le privé… 

Se protéger de la violence transphobe médicale, une impossibilité flagrante

« Bien souvent, on nous rétorque qu’il faut “payer pour la qualité”, mais déjà, ce sont des questions de santé, pas d’argent, et ensuite c’est tout simplement faux », raconte à Madmoizelle Simon, 35 ans. L’ingénieur son a rencontré une bonne dizaine de professionnels de santé, et payé des dépassements d’honoraires — plus ou moins élevés, mais tous exorbitants au regard de son maigre salaire.

« Lorsque l’on passe par le public, les délais sont à rallonge, et quand on veut passer dans le privé, c’est plus rapide, mais on se permet des remarques violentes. S’endetter n’exclut pas les violences, apparemment… »

Qui plus est, Simon note l’obligation au silence des personnes trans sur les réseaux sociaux quand au financement de leurs chirurgies.

« Quand on fait une cagnotte, on reçoit bien souvent des messages haineux nous invitant à travailler pour payer nos chirurgies nous-mêmes. Moi j’ai un job, mais ce n’est pas le cas de tous mes adelphes [ndlr : un terme non-genré voulant dire “frères et soeurs”] — et c’est bien souvent à cause de, suspense… la transphobie ! »

« Les personnes trans suscitent une telle violence qu’on ne sait jamais ce qui peut nous arriver lorsqu’on leur apporte l’accompagnement le plus simple et respectueux qu’il soit. »

S., médecin généraliste

Et les misères sur les réseaux, notamment Twitter, ne s’arrêtent pas là. Les médecins dits « safe » y reçoivent eux aussi leur lot de harcèlement. S., généraliste en région nantaise, raconte à Madmoizelle :

« Mon nom est déjà sorti sur Twitter. Et si le tweet était assez élogieux, j’ai reçu plusieurs appels de menaces et d’insultes au cabinet dans l’après-midi et le lendemain. »

S. demande alors la suppression du tweet, les menaces faisant notamment mention d’une dénonciation auprès de l’Ordre des Médecins.

« Je ne faisais rien de mal, mais les personnes trans suscitent une telle violence qu’on ne sait jamais ce qui peut nous arriver lorsqu’on leur apporte l’accompagnement le plus simple et respectueux qu’il soit, ce qui montre bien que le problème dépasse amplement le milieu médical : il faut que la société change de regard, il est plus que temps. »

« L’expression d’un problème systémique »

Ce problème global, c’est ce que l’on appelle un problème « systémique », c’est-à-dire qu’il prend racine dans tous les pans de la société, et inscrit une discrimination dans la norme, comme le souligne Ada.

« Les discours transphobes sont tellement banalisés, et depuis tellement longtemps, que cela a infusé dans toutes les strates de la société, jusqu’à nier notre existence ou la tourner en ridicule. Les violences médicales transphobes sont l’une des nombreuses expressions d’un problème bien plus large, systémique. »

Une personne tenant un panneau « Les droits des personnes trans sont des droits humains » dans une manifestation.
« Les droits des personnes trans sont des droits humains » (Oriel Frankie Ashcroft / Pexels)

Parmi lesdites expressions, la faible formation des futurs et actuels professionnels de santé aux questions de transidentité. Édouard, aujourd’hui médecin généraliste dans le Nord, se souvient :

« Je n’ai reçu qu’un vague cours magistral de deux heures sur la transidentité, où on me parlait de “transsexualisme”, de trouble psychiatrique et autres termes erronés. Étant moi-même trans, je voulais accompagner mes adelphes dans leur transition, et j’ai dû batailler pour obtenir une formation spécifique sur le sujet. »

Le soignant déplore le peu de cas fait du sort des personnes trans dans le milieu médical.

« Je ne vous parle pas de la non-binarité, qui ne revêt même pas d’existence dans nos formations… Il y a encore tellement de chemin à faire, mais je ne désespère pas ». 

Pour Édouard, la force de parole et d’existence des personnes trans commence enfin à être entendue, et cela se fait sentir. Il conclut :

« On a plus de lieux où on se sent en sécurité, même si c’est vraiment une différence sensible ; on entend petit à petit nos voix, on les relaie au travers de médias spécialisés tels que XY Média… On existe, enfin, maintenant respectez-nous. Chers confrères, chères consœurs, respectez mes adelphes ». 

À lire aussi : Pourquoi la communauté trans se recueille-t-elle le 20 novembre à l’occasion du TDoR ?

Crédit photo de une : Ehimetalor Akhere Unuabona / Unsplash

*Prénom d’emprunt


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Les Commentaires

1
Avatar de Ariel du Pays Imaginaire
8 décembre 2021 à 10h12
Ariel du Pays Imaginaire
Merci pour cet article qui m'a appris plein de choses (pas joyeuses mais c'est important de le savoir). Je pensais pas que la transophobie était à ce point horrible en France aujourd'hui dans le milieu médical... C'est flippant mais j'espère que les choses sont en bonne voie pour s'arranger et pour ça l'information est nécessaire.
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