Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Décompte des féminicides : comment nos voisins européens font-ils ?

Le recensement des féminicides s’appuie fréquemment sur les assassinats survenant dans la sphère conjugale, dite intime. Cependant, il existe d’autres méthodologies qui permettent de couvrir un plus grand ensemble de meurtres fondés sur le genre.

Par 

Publié le 17 janvier 2022 à 08h25, modifié le 17 janvier 2022 à 09h11

Temps de Lecture 5 min.

Quatre féminicides ont été recensés en France au cours des dix premiers jours de l’année 2022. Derrière ce chiffre, seuls les féminicides conjugaux ou par un ex-partenaire sont pris en compte par le collectif Féminicides par compagnons ou ex, dont le décompte est très souvent relayé par plusieurs autres collectifs féministes. Mais l’un d’entre eux, Nous toutes, qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, a récemment décidé de ne plus reprendre ce décompte, estimant qu’il ne représente pas la totalité des homicides de femmes en raison du fait qu’elles sont des femmes (la définition d’un féminicide).

Le collectif « considère qu’il est essentiel de “visibiliser” toutes les femmes qui sont assassinées parce qu’elles sont des femmes. Nous sommes donc en réflexion sur la meilleure façon de le faire, en incluant les féminicides hors du couple, qu’ils concernent des femmes cisgenre ou transgenre », explique-t-il dans son communiqué.

Cette limite est aussi soulevée par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

« Il est problématique que, dans certains pays, les données sur les féminicides ou les meurtres de femmes et de filles liés au genre soient limitées à la violence entre partenaires intimes. Une approche globale devrait inclure tous les types de féminicides pertinents dans un contexte particulier, y compris les meurtres commis par des partenaires intimes et des membres de la famille, ainsi que d’autres meurtres dans lesquels, bien qu’il n’y ait pas de relation entre la victime et l’auteur, il y a un motif lié au genre. »

Chaque pays ou observatoire a ainsi sa méthodologie de recensement des féminicides.

  • En France, un décompte officiel des homicides

En France, la délégation aux victimes, unité mixte police-gendarmerie rattachée au ministère de l’intérieur, publie depuis 2006 une étude annuelle sur toutes « les morts violentes au sein du couple » – pas seulement les féminicides. Néanmoins, à l’instar du décompte de Féminicides par compagnons ou ex, il ne tient pas compte de l’ensemble des féminicides, notamment ceux survenus dans d’autres sphères que celle de l’intime. Par ailleurs, ce collectif se concentre sur les féminicides commis par des hommes.

Depuis 2017, le journal Libération emploie la même méthodologie pour son recensement en se focalisant sur les meurtres survenus dans la sphère conjugale.

  • L’Espagne à l’avant-garde

Souvent considérée comme la bonne élève de l’Europe avec ses tribunaux spécialisés en violence de genre, l’Espagne a fait un autre pas en avant. Une nouvelle méthodologie de décompte a été présentée en décembre 2021 par la ministre de l’égalité, Irene Montero.

Dès 2022, seront comptabilisés cinq types de féminicides : les féminicides ayant lieu dans la sphère conjugale, les féminicides commis par un membre de la famille de la victime, le féminicide dit « social » soit exécuté par un inconnu, un collègue de travail ou encore un ami, les féminicides sexuels, soit lié à la violence ou l’exploitation sexuelle ainsi qu’au travail du sexe, au mariage forcé et à la mutilation génitale. Enfin, le féminicide dit « par procuration », c’est-à-dire l’assassinat d’une personne (proches, enfants) pour nuire à une femme, sera aussi pris en compte.

Le Monde
-50% sur toutes nos offres
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 11,99 € 5,99 €/mois pendant 1 an.
S’abonner

En parallèle aux six sources officielles pour le décompte des féminicides, le collectif feminicidio.net comptabilise aussi les meurtres de femmes en précisant ces variantes. On retrouve ainsi les féminicides perpétrés par lesbophobie, racisme, transphobie ou encore dans le cadre du travail du sexe et de la négligence professionnelle lors d’une intervention volontaire de grossesse.

  • En Allemagne, la sphère intrafamiliale recensée

Le Bundeskriminalamt, l’Office fédéral de police criminelle, publie depuis 2016 un rapport annuel sur les violences conjugales, en Allemagne. Leurs données permettent également de recenser les féminicides commis dans la sphère intrafamiliale.

Des organisations non officielles telles One Billion Rising et LesMigraS publient occasionnellement leurs recensements, selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE). Contrairement aux sources officielles, LesMigraS s’intéresse également aux féminicides liés au racisme, à l’homophobie ainsi qu’à la transphobie.

  • En Belgique, pas de décompte officiel

Il n’existe pas de décompte officiel des féminicides en Belgique, mais, en s’appuyant sur les articles de presse, le blog Stop féminicide recense le nombre de femmes tuées parce qu’elles sont des femmes.

Au regard des articles en hommage à ces femmes tuées, quatre caractéristiques se dégagent. Le féminicide perpétré par un conjoint ou ex-conjoint, celui commis par un membre de la famille, le féminicide lors d’une tentative de viol, ainsi que celui accompli dans le cadre du travail du sexe.

  • En Italie, selon le degré de connaissance entre l’auteur et la victime

Quant à l’Italie, c’est un organe du ministère de l’intérieur qui produit un rapport sur les femmes victimes de violence. Sont pris en compte les meurtres dès lors que l’auteur est connu de la victime, explique l’EIGE : intrafamiliaux conjugaux ainsi que les assassinats dans le cadre du crime organisé. Les motivations sont également détaillées, parmi elles : la folie, la passion et la querelle.

Annuellement, l’organisation Casa delle donne per non subire violenza (Maison des femmes pour ne pas subir de violence) fait son recensement et considère aussi que le meurtre de travailleuses du sexe est un crime lié au genre.

  • Au Royaume-Uni, une méthodologie non précisée

De manière officielle, le Home Office, l’Institut national des statistiques, le service de police de l’Irlande du Nord et le gouvernement écossais publient leur décompte des féminicides. Toutefois, la méthodologie, et donc le périmètre de comptage de ces meurtres, n’est pas disponible, sauf en Ecosse où il est fondé sur les liens entre la victime et l’auteur ainsi que sur le genre.

Depuis 2012, l’association Femicide Census collecte les données des forces de police britanniques et opère une veille de la presse pour recenser les féminicides de personnes âgées de plus 14 ans. La spécificité de ce recensement est que l’association fait le choix de compter toutes les femmes tuées par des hommes, quelles que soient les circonstances.

  • En Suisse, un décompte fondé sur les couples et les anciens couples

Pour l’heure, les statistiques concernant le féminicide dans le pays ne concernent que les relations de couple, en cours ou révolues. Elles sont établies à partir des statistiques portant sur les homicides en général. Des chiffres existent également sur les tentatives d’homicide. « Avec l’aide du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, l’Office fédéral de la statistique mène actuellement une enquête complémentaire sur les circonstances, les motifs et les causes de tous les homicides et tentatives d’homicides. La publication des résultats est prévue pour 2025 », lit-on sur le site du Conseil fédéral.

En attendant, le décompte de StopFemizid est relayé par des médias suisses. Il comptabilise les femmes cisgenres, transgenres, les personnes pouvant être considérées à tort comme une femme et les non-binaires.

La démarche intersectionnelle de l’Argentine pour recenser les féminicides

En 2015, le gouvernement argentin a mis en place le registre national des féminicides de la justice argentine (RNFJA). Son objectif est « d’élaborer un registre de données statistiques sur les affaires judiciaires portant sur les meurtres de femmes cisgenre, transgenre et travesties en raison de leur genre », explique un document du ministère des femmes, du genre et de la diversité envoyé à la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les violences contre les femmes.

Que le féminicide ait lieu dans la sphère familiale, intime ou dans un tout autre espace et qu’il soit exécuté par une personne connue ou non par la victime, il entre dans le recensement. Par ailleurs, s’il est motivé par une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, la situation de handicap, le travail du sexe, les origines indigènes ou afro-descendantes, il doit être signifié par le rapporteur. Les enfants et adolescentes sont également prises en compte, ainsi que toutes les personnes, indépendamment de leur genre, mortes dans le cadre d’un féminicide ou dans le but de faire souffrir une femme. « Pour que ce soit le cas, il doit y avoir une inégalité de genre entre la personne accusée d’être l’auteur de l’infraction et la femme cis ou la femme trans/travestie que l’on voulait toucher », précise le RNFJA.

La série « Derrière le chiffre » des Décodeurs dissèque les statistiques apparaissant dans l’actualité. Retrouvez tous les articles dans notre rubrique dédiée.
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.