L’année 2022 sera-t-elle celle où les femmes fendilleront un peu plus le plafond de verre ? Catherine MacGregor, aujourd’hui seule femme à la tête d’une entreprise du CAC 40 – Engie, depuis un an –, pourrait en effet être rejointe par Christel Heydemann. L’actuelle responsable de Schneider Electric pour l’Europe est pressentie pour prendre la direction générale d’Orange, et succéder à Stéphane Richard, condamné dans l’affaire Tapie. Le conseil d’administration de l’opérateur devrait se réunir dans les prochains jours pour trancher.

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Autre femme appelée à rejoindre le cercle fermé des dirigeantes du CAC 40 : Estelle Brachlianoff. Veolia a en effet annoncé le 10 janvier qu’elle deviendra en juillet la directrice générale du groupe. L’actuel PDG Antoine Frérot prendra la présidence du conseil d’administration.

En France, quatorze femmes dirigeantes sur 120 sociétés cotées

Deux femmes, peut-être trois, à la tête des 40 grands groupes français, quatorze en élargissant aux 120 plus grosses entreprises françaises cotées… La présence féminine en haut de l’échelle reste dérisoire. Pourtant Floriane de Saint Pierre refuse de verser dans le défaitisme. « En 2011, avant la loi Copé-Zimmermann (1), on ne comptait aucune femme directrice générale ou présidente de directoire parmi les sociétés du SBF 120. On en dénombrait cinq en 2017 et aujourd’hui quatorze, peut-être bientôt quinze », rappelle la présidente d’Ethics & Boards, qui se présente comme la « première plateforme indépendante de données dédiée à la gouvernance d’entreprise ».

Surtout, Floriane de Saint Pierre martèle que sur cette problématique mondiale, « la France fait mieux que les autres grandes nations ». En Allemagne, selon le décompte d’Ethics & Boards, sur les 110 entreprises du HDAX, seules quatre comptent une dirigeante à leur tête. Aux États-Unis, comme au Royaume-Uni, parmi les cent plus grandes sociétés cotées, huit sont dirigées par des femmes. « La France est aujourd’hui meilleure que les Anglo-Saxons, qui étaient pourtant en avance s’agissant de la présence de femmes dans les comités exécutifs », analyse l’ancienne chasseuse de têtes.

Le comex, passage obligé des futurs chefs d’entreprise

Toutefois, si l’Hexagone est parmi les premiers de la classe, avec 46 % de femmes dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises du SBF 120, elle se fait distancer sur la féminisation des instances dirigeantes, comité exécutif (comex) ou de direction : 23,8 % dans les sociétés du SBF 120, contre 31,3 % pour le champion norvégien ou 25,8 % aux États-Unis. Or, « pour devenir directrice générale, il faut avoir été membre d’un comex », souligne Michel Ferrary, chercheur associé à la Skema.

C’est tout le sens de la loi Rixain, adoptée en décembre 2021, qui instaure un quota de femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises. « Le coup de pouce législatif de la loi Copé-Zimmermann avait permis aux femmes d’émerger dans les conseils. On peut s’attendre au même effet d’entraînement pour les instances dirigeantes », espère Carol Lambert, associée chez Deloitte. La loi va engendrer, de facto, un vivier de cadres dirigeantes dans lequel les actionnaires pourront dénicher leur future directrice générale.

Le rôle des actionnaires

S’il se dit optimiste, le chercheur Michel Ferrary garde en tête le faible nombre de présidentes de conseil – neuf sur les 120 sociétés du SBF 120, en septembre 2021 – malgré une féminisation record des conseils… « Dans les comex, il faudra veiller à ce que les femmes ne tiennent pas uniquement des fonctions support, préconise Floriane de Saint Pierre. C’est en occupant des fonctions business qu’elles pourront se retrouver sur des plans de succession. »

Et « c’est au niveau des actionnaires que cela se passe », appuie Carol Lambert. Elle salue « la position du ministre de l’économie Bruno Le Maire qui fait le choix, de manière publique, de privilégier une femme à compétences égales », à la direction générale d’Orange, dont l’État est l’un des principaux actionnaires.

Pour faire émerger des femmes dirigeantes, la responsable Éthique et gouvernance de Deloitte avance une priorité : faire en sorte « que les chasseurs de têtes soumettent autant de candidatures féminines que masculines pour chaque poste ». Le chercheur Michel Ferrary invite à agir plus en amont, sur la trop faible présence d’étudiantes dans les écoles d’ingénieurs. Et plus largement à questionner les préjugés qui persistent. Pour changer les mentalités, les quotas ne suffiront pas.

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Loi Rixain, la France plus exigeante que ses voisins

Adoptée en décembre 2021, la loi Rixain instaure à partir de 2027 un quota de 30 % de femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Le seuil sera porté à 40 % en 2030. Les entreprises auront deux ans pour atteindre l’objectif, sous peine de sanctions financières (jusqu’à 1 % de la masse salariale).

En Allemagne, début 2021, une loi a imposé aux sociétés cotées de plus de 2 000 salariés de nommer au moins une femme dans les directoires de plus de trois membres.

La Suisse a décidé, en 2020, que les sociétés cotées doivent se doter d’un directoire composé d’au moins 20 % de femmes, d’ici à 2031.

(1) Qui a imposé un quota d’au moins 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises.