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Police-Justice

Le long combat d'une femme transgenre pour être reconnue comme "mère" de sa fille biologique

Clelia Richard, avocate de la femme transgenre "Claire" entourée à gauche de Bertrand Périer qui représente l'association des parents gays et lesbiens (APGL) et le président de la cour de Cassation.
Mathieu Stoclet  le 16 septembre 2020

Clelia Richard, avocate de la femme transgenre "Claire" entourée à gauche de Bertrand Périer qui représente l'association des parents gays et lesbiens (APGL) et le président de la cour de Cassation. Mathieu Stoclet le 16 septembre 2020 - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP

Depuis huit ans, Claire demande à apparaître en tant que "mère" sur l'acte de naissance de sa fille. La Cour d'appel de Toulouse doit rendre sa décision mercredi. Si cette requête est validée, ce pourrait être une première en Europe.

La fin d'un combat judiciaire long de huit ans? Mercredi, la Cour d'appel de Toulouse rendra son verdict quant à la demande de Claire, une femme transgenre, d'apparaître en tant que "mère" sur l'acte de naissance de sa fille biologique. Pour le moment, seule sa compagne, qui a accouché de la fillette aujourd'hui âgée de huit ans, est mentionnée sur le document.

En 2011, Claire est officiellement reconnue comme femme à l'état civil. Trois ans plus tard, en 2014, elle et sa compagne, avec qui elle a déjà deux enfants, décident de procréer à nouveau. Mais alors qu'elle a entamé une transition médicale, les médecins conseillent à Claire d'interrompre temporairement son traitement et de repousser sa vaginoplastie pour concevoir ce troisième enfant de manière naturelle, plutôt que de devoir congeler du sperme. Le couple repousse alors l'opération, conçoit l'enfant, et Claire se fait opérer pendant la grossesse de sa compagne.

Un choix qui entraînera des difficultés pour le couple: puisqu'elle n'a pas encore été opérée, l'officier d'état civil refuse de l'inscrire en tant que mère sur l'acte de naissance de sa fille. Aux côtés de son avocate, Claire s'engage alors dans un long parcours judiciaire.

"Pendant la grossesse, elles ont compris que leurs deux noms ne pourraient pas apparaître sur l'acte de naissance. Comme si l'enfant n'avait qu'un seul parent...", souffle Me Clélia Richard, l'avocate de Claire, sur BFMTV.com.

Huit ans de lutte avec la justice

Le parcours de Claire est fait de grands espoirs et de retombées brutales. En novembre 2018, la Cour d'appel de Montpellier valide le statut de "parent neutre". Mais cette victoire est rapidement contrariée: deux ans plus tard, en septembre 2020, la Cour de Cassation annule la décision.

Alors que la Cour d'appel de Toulouse doit rendre son verdict mercredi, après une audience qui s'est déroulée en décembre, Me Clélia Richard avoue subir une "petite crise de confiance".

"On ne s'est pas remises de la décision de la Cour de Cassation. Je préfère m'attendre au pire", témoigne-t-elle.

Le cas de Claire, angle mort de la loi bioéthique

Entrée en vigueur le 4 août dernier, la loi bioéthique a fait avancer les droits des couples de femmes en matière de filiation: elle permet notamment à celles qui ont recours à la Procréation médicalement assistée (PMA) d'établir cette filiation devant un notaire.

Pourtant, le cas de Claire est resté, lui, dans un angle mort: il existe toujours un vide juridique concernant les personnes transgenres dont les enfants sont nés après la transition. Si Claire avait eu recours à la PMA, elle aurait, paradoxalement, eu moins de mal à faire admettre la filiation, explique son avocate.

"La loi bioéthique a réglé le sort des enfants nés avant la transition. Le législateur avait aussi l'occasion de proposer de régler les cas d'enfants nés après", pointe Me Richard.

"Est-ce un vide juridique ou une discrimination? Si on reconnaît que ma cliente est une femme, elle doit avoir les droits qui vont avec", poursuit-elle.

"Une grande insécurité juridique" pour l'enfant

Pour l'enfant aussi, cette situation peut présenter de nombreux désavantages, rappelle l'avocate. Dans le cas où sa cliente meurt, sa fille ne pourrait pas hériter d'elle, n'ayant aucun lien de parenté officiel. "Elle ne s'appelle pas non plus comme ses frères. C'est étrange pour elle, elle se demande pourquoi", complète l'avocate.

Dans l'esprit de la petite fille, pourtant, "tout est clair: elle a deux mamans. Pour autant, elles n'ont pas brûlé les photos d'avant [la transition de Claire], et ses deux frères aînés ont grandi avec ça", détaille Clélia Richard.

Au-delà des problèmes quotidiens, les situations comme celles de Claire peuvent aussi mettre l'enfant dans "une grande insécurité juridique", rapporte l'avocate. En étant le seul mentionné sur l'acte de naissance, le parent légal peut avoir "tous les droits". Un problème dans les cas où le couple ne s'entend plus. "J'ai d'autres dossiers où tout ne se passe pas aussi bien que dans celui de Claire", précise Clélia Richard.

"Mes clientes iront jusqu'au bout"

Si la Cour d'appel de Toulouse accède à la demande de Claire et de sa compagne, cette décision serait une première non seulement en France, mais aussi en Europe. Leur histoire pourrait ensuite faire jurisprudence pour des familles homoparentales dans la même situation: en saisissant la justice pour un dossier similaire, il y a fort à parier qu'elles pourront obtenir gain de cause.

"Plein de couples enfantent avant la transition pour ne pas avoir ce problème", détaille Clélia Richard, confiant que plusieurs personnes se sont déjà adressées à elle à ce sujet.

En cas de nouveau refus, Claire, son épouse et son avocate sont prêtes à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme. "Mes clientes iront jusqu'au bout, elles n'ont pas fait tout ce chemin pour rien. Elles ont l'intelligence du coeur, et de la société. Elles comprennent que ça puisse prendre du temps".

Elisa Fernandez