TEMOIGNAGES. Gynécologie : pourquoi les jeunes femmes délaissent les consultations

Entre la peur de ce rendez-vous intime, les délais d'attente parfois trop longs ou encore le manque de médecins, les gynécologues sont boudés par les jeunes femmes. Récits.

gynéco
Pourquoi autant de jeunes femmes ne vont-elles pas chez le gynécologue ? (©AdobeStock)
Voir mon actu

31% : c’est le nombre de femmes entre 18 et 24 ans qui déclarent ne jamais avoir été voir un gynécologueselon un sondage IFOP-Qare. 60% des femmes ont quant à elle renoncé à des soins gynécologiques (dépistages, visites de contrôle), en les repoussant ou les annulant. « Un constat alarmant », selon l’institut de sondage. 

Pour de nombreuses jeunes femmes, consulter un gynécologue n’est pas un réflexe. Manque de médecins, délais d’attente trop longs, manque d’informations, peur de ces rendez-vous particuliers mais très intimes… Nombreuses sont les raisons qui poussent les femmes à éviter ces consultations. Plusieurs ont accepté de témoigner et de nous expliquer pourquoi.

À lire aussi

« Je n’en ai jamais ressenti le besoin » 

« Quand je dis à mes amies que je ne suis jamais allée consulter un gynéco, elles sont un peu interloquées. » Estelle*, 24 ans, n’a jamais ressenti le besoin d’aller consulter ces spécialistes.

On entend souvent que les femmes doivent faire une première consultation gynécologique vers 18 ans, ou bien lorsqu’elles commencent à être actives sexuellement. Mais pour beaucoup, ce rendez-vous passe à la trappe. 

Je ne veux pas prendre la pilule, je n'ai pas de problèmes gynécologiques particuliers, donc je ne comprends pas pourquoi je devrais y aller.

Estelle24 ans, jeune active

Même son de cloche chez Coline, 26 ans, également jeune active : « Je n’ai jamais ressenti le besoin d’y aller. Et surtout, c’est lié au fait que je n’ai pas de relations hétérosexuelles, donc je n’ai pas besoin de pilule, ni de faire des analyses ou des tests de dépistages… »

À lire aussi

Désert médical et a priori

Par manque de temps, par « flemme », et surtout à cause des délais de rendez-vous interminables et du manque de médecins en ville, Coline n’a jamais franchi le pas. Tout comme Estelle, qui déplore aussi un « désert médical » dans sa ville d’origine, en Ille-et-Vilaine

Brigitte Letombe, gynécologue libérale à Paris, et ancienne gynécologue hospitalière au CHU de Lille, confirme à actu.fr : « Il n’y a que 6 000 gynécos en France, c’est trop peu en effet. »

Vidéos : en ce moment sur Actu

Mais pour elle, les raisons qui poussent les jeunes femmes à ne pas consulter sont aussi liées à la contraception, et aux a priori quant aux consultations gynécologiques. « Il y a une forte diminution de la contraception médicalisée. Les patientes viennent donc moins nous voir si elles n’ont plus besoin de prescription de pilule », déplore la spécialiste.

Et puis on parle beaucoup de violences gynécologiques, alors les jeunes femmes ont des craintes pour aller voir des spécialistes. C'est regrettable, car la plupart sont très bienveillants.

Dr Brigitte LetombeGynécologue libérale

À lire aussi

Vérifier que tout va bien

Au Planning Familial de Paris, les bénévoles déconseillent d’aller chez les gynécologues dès 18 ans. « Il faut déconstruire le fait que c’est scandaleux de ne pas aller voir de gynéco à 18 ans, cela n’est pas du tout nécessaire », lance Florence, conseillère bénévole au Planning Familial de Paris. 

Pourtant, la question se pose de nombreuses fois chez ces jeunes femmes. « Ma mère m’a souvent encouragée à aller consulter, pour vérifier que tout était en ordre. Et j’ai eu 25 ans l’an dernier, donc je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’y aille… », poursuit Coline. 

De son côté, Brigitte Letombe confirme l’importance de voir un gynécologue, autant pour faire le point au début de sa vie affective et sexuelle que pour avoir des informations sur tout ce qui se passe dans la vie d’une femme. « Les sages-femmes peuvent le faire aussi, pour les femmes sans pathologie particulière. On remarque d’ailleurs que les jeunes femmes vont plus consulter des sages-femmes que des gynécos », note Brigitte Letombe. 

Le gynécologue est généralement un médecin qui vous suit de l’adolescence à la ménopause, c'est donc important d'aller le voir pour un suivi avec une personne référente, que l'on peut contacter dès que l'on a un souci - ou pas, d'ailleurs. Lors des premières consultations, on vérifie que tout va bien, on fait de la prévention et de l'information car il se passe pleins de choses chez les jeunes femmes.

Brigitte LetombeGynécologue médicale

À lire aussi

« Dédramatiser » les premières consultations

Et surtout, la praticienne rappelle la nécessité de dédramatiser ces premières consultations gynécologiques, et de mieux informer quant à ce qu’on y fait. « Ces rendez-vous ne se soldent pas forcément par un examen clinique », nous martèle-t-elle.

En revanche, la consultation est importante au niveau de l’interrogatoire, pour détecter les facteurs de risques familiaux, personnels, métaboliques et aussi parler de sexualité.

Brigitte LetombeGynécologue médicale à Paris

Brigitte Letombe insiste toutefois bien sur cette possibilité d’examen clinique si la jeune femme le demande, ou si elle soupçonne une pathologie. Et le premier frottis ne se fait qu’à partir de 25 ans. Pas d’urgence, donc pour les femmes plus jeunes. 

Beaucoup de jeunes femmes ressentent tout de même ce rendez-vous comme une « étape obligatoire dans leur féminité« . Alice, étudiante parisienne de 23 ans, a déjà consulté « une fois un spécialiste à 18 ans », mais son expérience l’a refroidie. C’est sa mère qui lui avait proposé de s’y rendre si elle le souhaitait. 

Je voulais vraiment y aller, ça me semblait être un moment hyper important dans la vie d'une jeune femme !

Alice, 23 ans Étudiante à Paris

À lire aussi

Violences gynécologiques ? 

Violences gynécologiques et obstétricales sont des termes dont on entend de plus en plus parler ces dernières années. « J’ai parfois entendu des histoires terribles, je n’avais pas envie de me retrouver chez un spécialiste « brut de décoffrage », pas bienveillant… », explique Estelle. 

Au Planning Familial, les bénévoles voient arriver quelques jeunes femmes ayant subi des violences gynécologiques ailleurs et préfèrent désormais consulter dans cette association féministe. « J’ai un jour eu une jeune femme qui était allée chez un gynéco qui lui avait raconté n’importe quoi. Résultat, elle était enceinte alors qu’on lui avait dit qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfant », raconte Florence. 

Si Alice a consulté une fois un gynécologue, elle n’y est depuis jamais retournée, et ne veut plus mettre les pieds dans un cabinet de gynécologie. « Pourtant, je sais que je devrais, au moins pour vérifier que tout est ok, comme je suis active sexuellement depuis plusieurs années. Mais mon premier rendez-vous avait été un peu traumatisant... », se remémore cette étudiante parisienne. 

Je m'étais retrouvée nue sur une table, la médecin m'avait inséré un spéculum sans me prévenir, ni m'expliquer ce que c'était que cet instrument, ni même à quoi cet examen allait servir. J'avais l'impression de ne pas du tout être maitresse de la situation, de mon corps, et qu'elle allait contre ma volonté.

Alice

À lire aussi

« J’avais peur du jugement »

À 18 ans seulement, Alice aurait aimé avoir « un peu de contexte », savoir ce que la médecin allait faire et pourquoi. Pour sa part, Estelle s’était également retrouvée dans une position peu agréable avec un médecin qu’elle était allée voir vers 16 ou 17 ans.

« Elle était choquée que je ne sois pas sous pilule alors que j’avais des rapports sexuels réguliers, elle m’avait un peu fait la morale, alors que je me protégeais quand même. Donc j’avais peur du jugement et que cette situation se reproduise à nouveau avec un gynéco », poursuit la jeune femme de 24 ans aujourd’hui.

Brigitte Letombe « regrette » que ce genre de situations surviennent et affirme que si la patiente bénéficie d’un examen clinique, il est essentiel de prendre le temps, d’expliquer tous les gestes effectués, de demander le consentement de la femme, et d’être bienveillant. 

Le gynécologue est aussi quelqu'un à qui on se confie, avec qui on aborde de nombreux sujets délicats. C'est 50% de psychologique et 50% d’organique.

Brigitte LetombeGynécologue médicale à Paris

« Franchement, pour moi, ça reste un moment vraiment particulier, où tu te mets à poil devant un médecin que tu ne connais pas. J’ai peur que l’on touche à mon intimité », complète Estelle.

À lire aussi

Parler davantage pour mieux appréhender

Si les cas de violences gynécologiques ne sont pas une généralité, Florence soutient qu’il existe une mauvaise information sur les séances de gynécologie et leur nécessité. « Ce sont des spécialistes chez qui on peut aller sans être orienté par un médecin, donc ils sont débordés, alors que toutes les jeunes femmes n’ont pas besoin d’aller consulter », poursuit la bénévole au Planning Familial. Celle-ci conseille plutôt d’aller voir un médecin pour ce qui concerne la santé sexuelle ou la contraception.

Vraiment, pour tout ce qui concerne la santé sexuelle des femmes, pas besoin d’aller voir un gynécologue. Y aller pour se faire prescrire la pilule, c'est comme aller chez un rhumatologue pour une toux. Il faut garder les consultations de gynécologie pour de réels problèmes gynécologiques !

FlorenceBénévole au Planning Familial

Enfin, le problème, pour Brigitte Letombe, c’est le manque d’éducation sexuelle reçue par les jeunes. « On ne parle pas assez de sexualité aux ados. Cela fait 20 ans qu’on en parle, mais l’Éducation Nationale ne fait toujours pas assez son travail… », déplore la gynécologue. 

Parler davantage pour mieux appréhender, donc. Et dédramatiser ces rendez-vous. 

*Les prénoms ont été changés.

Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.

Dernières actualités

France - Monde

Voir plus