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Colombie: l’avortement dépénalisé jusqu’à 24 semaines de grossesse

Après un marathon juridique de 518 jours, la Cour constitutionnelle a décidé lundi par cinq voix contre quatre de dépénaliser les interventions volontaires de grossesse. Une gageure dans un pays très catholique, dirigée par un président hyper conservateur qui invoque Dieu à chacun de ses discours.
par Anne Proenza, correspondante à Bogotá
publié le 22 février 2022 à 9h07

C’est historique, l’avortement n’est plus un délit en Colombie, au moins jusqu’à la 24e semaine de grossesse. Après un marathon juridique de 518 jours, la Cour constitutionnelle en a décidé lundi par cinq voix contre quatre.

Une foule de femmes et de jeunes filles arborant, comme en Argentine il y a un peu plus d’un an, des foulards verts, a explosé de joie devant le palais de justice de la capitale tandis que les réseaux sociaux s’inondaient de messages euphoriques : «Perdre la peur de décider pour nos corps, nous fera, vous verrez, perdre toutes les peurs» ou plus pédagogiques : «La Cour constitutionnelle parle de dépénalisation de l’avortement, pas de le rendre obligatoire.»

«C’est un pas gigantesque même si nous n’avons pas obtenu la dépénalisation totale. Les droits des femmes et des filles sont garantis», soupire de joie la docteure Laura Gil, gynécologue et dirigeante du Grupo Médico por el Derecho a Decidir (Groupe Médecin pour le droit à décider). C’est l’une des associations rassemblées dans Causa Justa (Cause Juste), le mouvement qui a saisi la Cour constitutionnelle il y a deux ans en arguant que la criminalisation de l’avortement constituait une violation des droits fondamentaux des femmes.

Seize ans de combat

Cette décision rétroactive devrait permettre de faire sortir des dizaines de femmes de prison et faire passer la Colombie dans la catégorie des pays les plus progressistes de la région et l’un des rares du monde à autoriser l’avortement sans restriction jusqu’à la 24e semaine. Une gageure dans un pays très catholique, dirigée par un président hyper conservateur qui invoque Dieu à chacun de ses discours, et dont les deux chambres du Congrès sont à majorité à droite. La loi n’a d’ailleurs jamais été discutée au Congrès et les mouvements féministes ont préféré porter leur lutte du côté constitutionnel et de la société civile, une stratégie payante.

En 2006, le mouvement avait ainsi obtenu la dépénalisation de l’avortement dans trois cas de figure : viol, malformation du fœtus incompatible avec la vie et risque pour la santé de la mère. Mais il a fallu attendre et se battre pendant seize ans pour cette nouvelle victoire… Passé le délai de 24 semaines, les femmes pourront encore avorter légalement mais seulement dans les trois cas de figure déjà autorisés.

Le mouvement Causa Justa a développé 90 arguments juridiques pour convaincre la Cour constitutionnelle. Expliquant, entre autres, que l’avortement est un délit inégalitaire puisqu’il ne touche que les femmes, qu’il affecte surtout les femmes les plus vulnérables, et qu’il est inefficace puisqu’interdire l’avortement n’a jamais fait baisser le nombre d’interventions nulle part. Depuis près de deux ans, les militantes ont aussi fait le siège du palais de Justice à chaque fois que les magistrats se réunissaient (même virtuellement), affrontant les groupes dits pro-vie armés de missels et de croix…

«Continuer à faire pression»

En Colombie, environ 70 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement illégal. Le 8 janvier, une jeune serveuse de 37 ans, est morte des suites d’un avortement clandestin à Barranquilla dans le nord du pays.

La Cour constitutionnelle a aussi dans son communiqué de lundi exhorté le Congrès et le gouvernement à légiférer et garantir que la dépénalisation soit appliquée le plus vite possible. «Nous allons continuer à faire pression pour que ce ne soit pas qu’une loi de papier et que toutes les barrières se lèvent», promet la docteure Laura Gil. En pleine campagne électorale – les législatives ont lieu le 13 mars et la présidentielle le 29 mai – peu de candidats ont osé s’exprimer franchement sur ce thème qui reste délicat.

En Amérique Latine, encore quatre pays criminalisent complètement l’avortement : le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et Haïti.

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