Une patiente au brushing impeccable, tennis Gucci aux pieds, paie sa consultation et quitte le cabinet. « Je suis à vous dans deux minutes», annonce Luciana Bruzadim à Danee Amorim, 29 ans. La jeune patiente sait ce qui l’attend pour sa sixième consultation en quatre mois : les quelques dents qui lui restent sont cariées ou avec des abcès. Elle fait partie des 70 femmes que l’ONG Turma do bem a prises en charge en 2021, grâce à 240 dentistes bénévoles.

Pendant la longue séance, elle peut compter sur la douceur de sa dentiste, malgré les longues aiguilles pour lui anesthésier la bouche et réparer, peu à peu, les dents détruites par la violence de son frère et des années de précarité. « Son traitement coûterait environ 10 000 €, mais c’est important qu’elle puisse à nouveau sourire et être spontanée », raconte Luciana, derrière son masque chirurgical, samba douce en fond sonore.

Se réveiller avec la peur au ventre

Non loin de là, Andreia Stenia Paiva, 57 ans, vit encore avec la peur au ventre. Elle a passé neuf années avec son agresseur. « J’avais peur de mourir, et tous les matins, je me réveillais à ses côtés », déroule-t-elle, dans la petite maison qu’elle occupe seule. Andreia sait bien qu’environ 20 % des femmes battues finiront dans les statistiques des féminicides.

En 2021, au moins 1 975 Brésiliennes ont été victimes de violences, et au moins 409 en sont mortes, calcule le réseau d’observatoires de la violence. Et encore : ces chiffres ne couvrent que 5 des 27 États que compte le Brésil. Les données sont partielles de toute façon car les violences domestiques s’abattent la plupart du temps sur la victime entre ses quatre murs. « Même les voisines me demandaient ce que j’avais bien pu faire pour mériter d’être battue», se désole Andreia.

Hausse de 27 % des violences visant les femmes à Sao Paulo

À Sao Paulo, les violences contre les femmes ont augmenté de 27 % depuis la pandémie. Andreia a fait deux tentatives de suicide. Violences domestiques, chômage et dépression lui avaient ôté tout espoir. « L’année dernière, quand j’ai été sélectionnée par l’ONG des dentistes pour commencer mon traitement, je n’y croyais plus », dit-elle, émue.

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Elle touche par mégarde sa lèvre supérieure. Grimace de douleur. La semaine dernière, elle a subi une lourde opération dentaire. « Un jour, le coup était si fort que ma dent de devant a volé », raconte-t-elle. Andreia dépense une partie des 400 reais (70 €) de l’aide du gouvernement, son seul revenu, pour aller chez sa dentiste. Aujourd’hui, elle porte une prothèse provisoire, mais elle enlève son masque et sourit. « Pas mal mon sourire, non ? », plaisante-t-elle en voyant sa photo.

Rendre le sourire, et la confiance en soi

Régulièrement, l’ONG de dentistes organise une session de photos professionnelles pour montrer l’avant et l’après. Au-delà des sourires, l’accueil par des psychologues permet à ces femmes de sortir de la spirale de la violence. « Vous voyez, je suis forte, comme ces tournesols qui décorent ma maison, je regarde toujours vers le soleil », dit Jojo dans un éclat de rire.

Joanildes de Souza Neres, son vrai nom, aime poser. Pourtant, à 73 ans, elle revient de l’enfer : un demi-siècle mariée à un homme violent. La Jojo de 2022 est de toutes les batailles. Elle a manifesté le 8 mars pour crier son droit à une vie de femme libre et digne. Divorcée, elle s’est formée pour être assistante sociale populaire, un travail bénévole très important pour que les plus fragiles connaissent leurs droits. Elle vit avec 1 200 reais par mois (à peine plus de 200 €), une retraite qu’elle a pu décrocher malgré une vie de travail informel. «J’ai un dentier qui me permet de sourire, mais c’est plus que ça. J’ai été tellement entourée que je me sens invincible », conclut la septuagénaire.

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Une femme sur quatre dans le monde déjà victime de violences conjugales

Plus d’un quart des femmes (27 %) entre 15 et 49 ans dans le monde ont déjà été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire masculin, révèle une étude de la revue britannique The Lancet, publiée le 17 février. Cette enquête, menée de 2000 à 2018, est la plus large conduite sur ce thème.

Ces agressions commencent tôt : 24 % des 15-19 ans et 26 % des 19-24 interrogées ont déclaré en avoir déjà été victimes.

Les violences les plus élevées ont été relevées en Océanie (49 % des femmes interrogées) et en Afrique centrale subsaharienne (44 %).