Les Grenades

Pourquoi les conséquences de la famine sont pires pour les filles et les femmes

Nasra, 12 ans, du Kenya.

© Plan International

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

"J’ai généralement des maux de tête. Lorsque je suis à l’école, j’ai du mal à me concentrer parce que je suis tellement fatiguée et affamée." Ce témoignage est celui de Nasra, 12 ans, qui vit au Kenya. Chaque jour, elle marche 50 kilomètres pour trouver de l’eau potable.

C’est l’une des multiples – et dramatiques – situations qui se cachent derrière les chiffres mis en avant ce 14 avril par l’ONG Plan International, qui défend les droits des enfants et des filles : 928 millions de personnes manquent de nourriture dans le monde, dont 70% sont des filles et des femmes. Quelque 44 millions d’entre elles risquent de mourir de faim.

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Une escalade sans précédent

La guerre en Ukraine, le changement climatique et la pandémie provoquent une escalade sans précédent de l’insécurité alimentaire. Au Mali, en Éthiopie, mais aussi à Haïti ou au Laos, la crise alimentaire atteint de graves proportions, alerte Plan International. "Lorsque la nourriture est rare, les filles mangent souvent moins et sont les dernières à manger", explique la directrice de Plan International Belgique, Isabelle Verhaegen.

"Les conséquences des famines sont ressenties différemment selon les personnes. Lorsqu’on parle de malnutrition, les preuves sur le terrain montrent que les femmes, les nourrissons, les enfants et les adolescent·es sont les plus exposé·es. Aujourd’hui, si vous mettez toutes les personnes affamées du monde dans un seul endroit, il s’agirait du troisième pays le plus peuplé du monde après la Chine et l’Inde", précise aux Grenades le Dr Unni Krishnan, directeur de l’action humanitaire chez Plan International. "Dans de tels contextes, les organisations humanitaires telles que Plan International sont confrontées à un choix impossible entre nourrir les personnes qui ont faim ou nourrir celles qui meurent de faim."

"Le temps presse"

"Le temps presse pour celles et ceux qui sont extrêmement vulnérables dans les zones de famine. Il est essentiel que nous nous attaquions à la faim et aux facteurs qui l’amplifient avec un sentiment d’urgence", poursuit-il. "La réponse à la faim est souvent trop lente et trop faible. Par exemple, la sécheresse est une urgence à évolution lente. Vous savez bien à l’avance qu’elle arrive et qu’elle peut entraîner une pénurie alimentaire. Le temps que le monde commence à s’y intéresser, elle atteint un point de basculement. La bonne nouvelle, c’est que vous êtes prévenu à l’avance ; la mauvaise, c’est que le monde s’en moque jusqu’à ce que les médias diffusent des images d’enfants mourant·es – et à ce moment-là, le temps est déjà plus que compté."

Lorsque la nourriture est rare, les filles mangent souvent moins et sont les dernières à manger

Elema, 18 ans, originaire d’Éthiopie, témoigne : "Après avoir perdu une grande partie de notre bétail à cause de la sécheresse, j’ai dû quitter l’école pour aider ma mère en ramassant et en vendant du bois de chauffage." Galamo, 30 ans, marche cinq heures pour aller chercher de l’eau. Maman de cinq enfants, cette Éthiopienne a perdu tout son bétail à cause de la sécheresse, ce qui a laissé la famille sans aucun revenu.

Elle raconte : "La sécheresse a causé toutes sortes de problèmes dans notre vie. Le bétail n’a pas pu paître car il n’y avait plus de pâturages. Il est également difficile pour nous d’acheter de la nourriture et d’autres produits de première nécessité, de sorte que nos enfants doivent aller au lit le ventre vide. Si les choses restent en l’état, nous risquons de périr. Nous n’avons reçu aucune aide jusqu’à présent."

Elema, 18 ans, et sa mère avec deux des bovins qui leur restent.
Elema, 18 ans, et sa mère avec deux des bovins qui leur restent. © Plan International

Quand la pénurie alimentaire conduit à des violences envers les filles et les femmes

Le Dr Unni Krishnan souligne que "lorsque les familles et les communautés sont mises à rude épreuve, les filles sont plus susceptibles que les garçons d’être retirées de l’école (qui parfois distribuent des repas aux enfants) et elles courent le risque d’un mariage précoce ou forcé, de violences sexistes, d’exploitation sexuelle et de grossesse non désirée. Des adolescentes du Burkina Faso, du Mali et du Sud-Soudan ont confié à Plan International qu’elles risquent davantage d’être mariées à un jeune âge si leur famille connaît des difficultés financières. La pauvreté et la faim sont indissociables pendant une crise. Des filles et des femmes qui ont fui le conflit à Cabo Delgado, au Mozambique, nous ont confié que la perte de leurs revenus les a obligées à recourir à l’exploitation sexuelle pour survivre, parfois pour seulement 0,16 dollar US."

Sur place, au Mozambique, Adalvira dos Santos est superviseuse de la protection de l’enfance. "La situation des filles est triste. Beaucoup d’entre elles ne mangent pas assez et certaines, qui sont désespérées, se vendent pour très peu de nourriture. C’est dire l’ampleur de la situation : les filles sont obligées de perdre leur dignité pour pouvoir manger. De nombreuses jeunes filles pratiquent le sexe transactionnel pour obtenir de la nourriture ici", relate-t-elle. "Il existe de nombreuses formes d’abus qui se produisent en raison de l’ampleur du niveau de pauvreté. De nombreuses femmes mariées sont désormais seules et entièrement responsables de leurs enfants parce que leurs partenaires sont partis, ont perdu la vie ou sont également coincés dans cette situation. Lorsque les enfants ont faim, ils vont chercher de la nourriture auprès de leur mère, même si le père est présent."

Les preuves sur le terrain montrent que les femmes, les nourrissons, les enfants et les adolescent·es sont les plus exposé·es au risque de malnutrition

Selon le Dr Unni Krishnan, la faim est également très dangereuse pour les adolescentes et les femmes qui sont enceintes ou qui allaitent. "Les complications liées à la grossesse et à l’accouchement sont déjà la principale cause de décès des filles âgées de 15 à 19 ans et le fait d’être mal nourri augmente le risque de faire une fausse couche ou de mourir en couches. Pour leurs enfants, elle peut accroître le risque de décès du nouveau-né, d’insuffisance pondérale à la naissance et de retard de croissance, entraînant un cycle intergénérationnel de malnutrition."

Les adolescent·es et les enfants de moins de cinq ans sont particulièrement vulnérables en cas de malnutrition, en raison de leur croissance et des transformations de leur corps. Souffrir de la faim pendant ces années critiques peut freiner la croissance et avoir un impact significatif sur le développement du cerveau, avec des conséquences profondes sur le niveau d’éducation ou la santé présente et future de l’enfant.

Le rôle de la guerre en Ukraine

Plan International estime que les conflits sont la principale cause de la faim dans le monde et sont responsables de la situation de la majorité (68%) des personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Du Mali à la Syrie en passant par le Mozambique, les combats prolongés détruisent les moyens de subsistance et obligent les familles à fuir leur foyer, laissant d’innombrables enfants, dont des filles, confrontés à la faim. Ils rendent également extrêmement difficile et dangereux l’accès des organisations humanitaires aux communautés dans le besoin.

La guerre en Ukraine a aussi des conséquences évidentes. "La récolte ukrainienne nourrit normalement 400 millions de personnes. Un tiers de l’approvisionnement mondial en blé provient d’Ukraine ou de Russie. L’Ukraine, souvent appelée le "grenier à blé" de l’Europe, fournit également au monde de l’huile de tournesol, de l’orge, du maïs et des engrais. Mais le conflit en cours signifie que les champs ne seront pas préparés, que les cultures ne seront pas plantées et que les engrais ne seront pas disponibles", déclare le Dr Unni Krishnan. "Chaque jour où le conflit se poursuit, ses effets dévastateurs se font de plus en plus sentir. La hausse rapide des prix des denrées alimentaires ne fait qu’aggraver une situation déjà mauvaise dans certains pays."

Du Liban à la Somalie en passant par le Niger, de nombreux pays qui dépendent des importations en provenance d’Ukraine ou de Russie sont déjà paralysés par la faim. Cela signifie que le conflit a déjà des conséquences dévastatrices pour le monde entier. Parmi les pays où Plan International travaille, le Liban, la Somalie, l’Éthiopie et le Soudan sont parmi les plus dépendants des importations de blé d’Ukraine ou de Russie, qui représentent 40 à 90% des approvisionnements. Dans tous ces pays, le blé est un aliment de base. "Sans une aide urgente, la rupture de l’approvisionnement alimentaire touchera durement les enfants et leurs familles", prévient l’expert.

Chaque enfant qui se couche le ventre vide est un test décisif pour l’humanité

C’est la raison pour laquelle il cite la paix parmi les solutions durables à cette situation. "Les États doivent garantir un accès humanitaire sans entrave et œuvrer à la consolidation de la paix dans les zones touchées par un conflit. Toutes les parties à un conflit ont la responsabilité d’assurer la pleine protection des civils et de permettre aux travailleurs et travailleuses humanitaires d’atteindre en toute sécurité les personnes dans le besoin", soutient-il.

"Chaque enfant qui meurt de faim est un vote de défiance envers notre humanité"

"Le monde a aussi besoin d’être plus compatissant. Le succès de l’humanité n’est pas défini par le nombre d’avions de chasse et par l’argent consacré aux dépenses militaires (près de 2000 milliards de dollars en 2020) ou par le nombre de gratte-ciel dans les capitales occidentales et par le succès de la navigation spatiale. Elle est également définie par le nombre d’enfants affamé·es qui se couchent chaque soir en raison d’un problème évitable, à savoir la faim. Chaque enfant qui se couche le ventre vide est un test décisif pour l’humanité. Chaque enfant qui meurt de faim ou à cause de la guerre est un vote de défiance envers notre humanité", continue l’expert.

"En tant que travailleur humanitaire, la faim est l’une des 'catastrophes' les plus difficiles à gérer. Principalement parce que nous savons qu’elle peut être évitée, qu’il existe une solution et que le monde dispose collectivement des ressources nécessaires pour y parvenir. Mais cela ne se produit pas à cause des priorités mal placées des personnes qui détiennent le pouvoir et l’argent. L’objectif mondial de 6,6 milliards de dollars pour prévenir une nouvelle famine n’a pas encore été atteint. Les gouvernements et les donateurs doivent de toute urgence s’engager et combler ce déficit de financement. Ce n’est vraiment pas grand-chose. C’est l’équivalent d’une semaine seulement des revenus de l’entreprise Amazon en 2020, par exemple", résume-t-il.

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En association avec le Programme alimentaire mondial, Plan International est actuellement présent dans 15 pays et y mène 60 projets qui touchent directement 3,2 millions de personnes. Il s’agit principalement de programmes d’aide financière et en bons d’achat, de distributions de nourriture et de repas scolaires, de dépistage de la malnutrition, de soutien nutritionnel et de mesures de protection des enfants.

"Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que davantage de pays atteignent des niveaux d’urgence en matière d’insécurité alimentaire. Des enfants meurent déjà de faim. C’est maintenant qu’il faut agir, il ne faut plus attendre", presse le Dr Unni Krishnan. Face à cette situation sans précédent, l’ONG a décidé de lancer une campagne de récolte de fonds.

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Famine en Ethiopie – JT 29/01/2022

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