En cantonnant le prévisible renversement de la décision de la Cour suprême des Etats-Unis avec l’arrêt Roe vs Wade à une régression des droits des femmes, le risque est grand d’occulter l’ampleur d’un tel fait politique. Car ce qui est en jeu ici, c’est le droit universel à disposer de son corps. Interdire ou rendre ineffectif l’accès à l’avortement ne saurait être qu’une affaire de femmes.
Contraindre les femmes à mener des grossesses non souhaitées ou à subir des avortements clandestins porte atteinte à leur santé, à leur vie, mais aussi à celle de leurs proches. Cela fragilise tout particulièrement les plus vulnérables. Les répercussions concernent la société dans son ensemble, d’autant que la remise en question du droit à l’avortement ouvre la voie à des atteintes à d’autres droits.
Cette régression s’inscrit de surcroît dans un mouvement historique plus vaste. En 2021, le Forum économique mondial avait souligné le creusement inédit des inégalités entre les femmes et les hommes, sous l’effet de la pandémie et des multiples crises qu’elle a engendrées. Cette régression se compte désormais en générations.
Aucun musée sur les combats féministes
Dans ce contexte résonne puissamment l’appel de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Cet état de vigilance se traduit par une intense diffusion de la pensée féministe, portée par des essais à succès comme par un foisonnement de podcasts, de « La Poudre » à « Mansplaining ».
Ces nouveaux canaux de diffusion permettent de vulgariser une pensée féministe utilement mise en perspective à la lumière des enjeux actuels, mais leur recours témoigne, en creux, de la difficulté d’asseoir la légitimité de l’accès à la connaissance de l’histoire des combats féministes, leurs objets, leurs symboles, leurs personnages-clés. A cette fin, un lieu fait cruellement défaut dans notre pays.
Alors que la France compte plus de 1 200 musées bénéficiant de l’appellation « musée de France », dont plus de deux cents à Paris, aucun n’est consacré à l’histoire des luttes et des conquêtes féministes. Du Musée de préhistoire (qui présente l’évolution de l’homme que par des représentations mâles) au Musée du sucre d’orge, n’y aurait-il pas d’intérêt à expliquer comment les femmes ont pris part à la vie publique, aux sciences, aux arts et aux lettres ?
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