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Afghanistan : après le retour de la burqa, les femmes disparaissent peu à peu des rues

Le retour de l’obligation faite aux femmes de porter le voile intégral dans l’espace public en Afghanistan, annoncé par un décret en vigueur depuis le 7 mai, se voit sur les images prises dans le pays ces derniers jours. Ou plutôt ne se voit pas : les femmes ont déserté les rues et restent cloîtrées chez elles. Si notre Observatrice a osé manifester le 10 mai avec quelques militantes, elle ne se fait aucune illusion sur le futur qui l’attend.

Capture d'écran d'une vidéo tournée à Kaboul, publiée sur Instagram le 19 mai. Aucune femme n’est visible.
Capture d'écran d'une vidéo tournée à Kaboul, publiée sur Instagram le 19 mai. Aucune femme n’est visible. © Instagram / Observateurs
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"Les femmes qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieilles doivent voiler leur visage, à l’exception de leurs yeux, selon les recommandations de la charia, afin d’éviter toute provocation quand elles rencontrent un homme [qui n’est pas un membre proche de leur famille]", indique le décret entré en vigueur le 7 mai et annoncé par la voix du leader des Taliban, Haibatullah Akhundzada. Et quand on parcourt les réseaux sociaux à la recherche d'images de la vie quotidienne à Kaboul, Herat ou Mazar-e Charif, la contrainte semble être appliquée, tant les femmes sont absentes des rues, des marchés, des parcs.

Vidéo tournée à Kaboul, le 19 mai 2022. Aucune femme n'est visible.

Akhundzada avait détaillé le 6 mai les premières sanctions : "Premièrement, la femme portant des tenues immorales sera punie ; deuxièmement, son mari sera convoqué et détenu pendant trois jours, et s’il travaille dans le secteur public, il sera renvoyé." Le décret stipule que le meilleur type de hijab est le tchadri bleu, un type de voie intégral déjà imposé par les Taliban lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001.

Le 10 mai, des femmes ont cependant protesté dans les rues de Kaboul. Voilées plus légèrement que ne l’impose la nouvelle réglementation, elles ont chanté notamment : "La burqa n’est pas notre hijab."

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"L’espace public est en train de se vider des femmes"

Lena [pseudonyme], une jeune Afghane, a décidé de porter la burqa pour pouvoir encore sortir.

Depuis l’annonce faite par les Taliban, je porte le tchadri bleu. Avant, je portais un voile sur la tête et un long manteau, comme beaucoup d’autres jeunes femmes. Maintenant, si je ne porte pas le tchadri, je vais devoir rester à la maison, ce qui n’est pas envisageable. J’ai envie de marcher dans les rues et les parcs, j’ai envie de voir mes amis, c’est peut-être la dernière possibilité de s’amuser que nous avons en tant que femmes en Afghanistan.

Mais il est clair que depuis le décret, je vois de moins en moins de femmes dehors. L’espace public est en train de se vider des femmes. Tant que vous porterez le tchadri, les Taliban ne vous poseront pas de problème.

Mais le moindre détail peut causer des maux de tête. Il y a quelques jours, j'étais dans un parc. Il y avait des adolescentes en train de manger une glace, ce qui manifestement n’est pas possible avec un tchadri… Des Taliban sont arrivés et leur ont demandé de porter leur tchadri correctement. Au début, elles ont tenté de les ignorer, mais elles ont fini par accepter.

Par contre, j’ai remarqué que les Taliban regardaient autour d’eux, comme s’ils avaient peur d’être enregistrés. Alors que l’un d’entre eux s’apprêtait à frapper les filles, l’autre lui a dit : "Non, non, quelqu'un pourrait filmer la scène et je ne veux pas avoir d’ennuis." Ils veulent continuer d’avoir l’air bien en apparence, pour ne pas interrompre leurs efforts pour gagner une reconnaissance internationale. Mais je pense que le futur s’annonce sombre.

 

Vidéo tournée à l'université de Kaboul, le 19 mai 2022. les étudaintes portant un voile colorée ont été interdites d'entrer par les taliban.

 

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : "Ne touche pas à mes vêtements" : des Afghanes conspuent le code vestimentaire rigoriste des Taliban

Depuis leur retour au pouvoir mi-août, les Taliban tentent de gagner la reconnaissance de la communauté internationale, notamment des pays occidentaux, qui ont bloqué des millions de dollars placés dans les banques afghanes par l’ancien gouvernement afghan. Les pays occidentaux ont aussi été les plus gros donateurs du pays durant les vingt années qui ont séparé les deux régimes talibans.

Photos de visiteurs à la citadelle d’Herat (ouest), publiées sur Instagram. À droite, une série de photos prises entre mai 2020 et le printemps 2021, avant le retour des Taliban ; des femmes sont visibles. À gauche, des photos du même lieu depuis le 6 mai, sans aucune femme.
Photos de visiteurs à la citadelle d’Herat (ouest), publiées sur Instagram. À droite, une série de photos prises entre mai 2020 et le printemps 2021, avant le retour des Taliban ; des femmes sont visibles. À gauche, des photos du même lieu depuis le 6 mai, sans aucune femme. © Observateurs

"J’accepterais de porter une burqa s’ils laissaient les femmes étudier et travailler, mais ils ne le feront pas"

Ziba [pseudonyme] est une activiste pour les droits des femmes en Afghanistan. Elle vit dans une ville du nord du pays.

"Depuis que les Taliban ont repris le pays, je porte la burqa, même avant qu’ils ne la rendent obligatoire. Je l’ai fait pour ma propre sécurité, d’une part, et d’autre part, pour ne pas être reconnue en tant qu’activiste. Ça me permet d’éviter qu’ils ne m’approchent.

La réalité amère, en tant qu'activiste, c’est que, oui, des femmes ont osé manifester à Kaboul le 10 mai. Mais dès le premier jour après le retour des Taliban, des femmes ont manifesté, et au final, rien n’a changé. Les femmes qui ont pu ont quitté le pays, et nous, nous sommes bloquées ici, désespérées, nos âmes injuriées.

Personnellement, j’accepterais de porter une burqa s’ils laissaient les femmes étudier et travailler, mais ils ne le feront pas. Ici, on n’est plus des êtres humains. [L’école est interdite aux filles après l'âge de 13 ans, NDLR.]

Je ne sors pas tant que ça, je reste essentiellement à la maison, comme la plupart des femmes, je suppose. Je peux confirmer qu’il y a de moins en moins de femmes dans les rues ici. Je pense que c’est la jeune génération qui refuse le plus de se plier aux règles, de porter la burqa et de rester à la maison.

J’ai peur que la situation ne fasse qu’empirer. J’ai peur qu’un jour, les Taliban interdisent aux femmes de sortir, tout simplement. Et nous n’avons personne vers qui nous tourner.

 

Capture d'écran d'une vidéo publiée sur Snapchat le 9 mai, prise dans un marché de Kaboul. Aucune femme n’est visible.
Capture d'écran d'une vidéo publiée sur Snapchat le 9 mai, prise dans un marché de Kaboul. Aucune femme n’est visible. © Observateurs

La crainte de notre Observatrice n’est pas infondée : Haibatullah Akhundzada a bien spécifié le 6 mai que les femmes "devaient rester à la maison, sauf besoin urgent".

Selon le Georgetown Institute for Women, Peace and Security, l’Afghanistan est le pire pays du monde pour les femmes, devant la Syrie et le Yémen.

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