"Sauf à vouloir délibérément brader la santé des femmes, comment comprendre que notre profession ne soit pas soutenue (…) par nos tutelles ?" Cette attaque est d’autant plus cinglante qu’elle émane d’un corps médical qui se définit lui-même comme "souvent taiseux" : les gynécologues-obstétriciens. Tandis que les maternités françaises sont "dans une souffrance indicible", les médecins, eux, sont "dans une colère froide", a déclaré leur porte-drapeau, le professeur Cyril Huissoud, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), à l’occasion du congrès Pari(s) Santé Femmes qui s’est tenu du 11 au 13 mai à Paris : "Toutes les maternités sont aujourd’hui en danger." Une alerte de plus, en parallèle des interpellations quasi quotidiennes sur la situation catastrophique des hôpitaux dont les services d'urgences sont nombreux à fermer, que la nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, devra gérer rapidement.
Car le gynéco qui exerce à Lyon a établi un diagnostic terrifiant de l’état de santé de ces établissements, dont le nombre est passé de 721 en 2000 à 478 en 2021, selon les chiffres de la Drees. Une maternité sur trois a ainsi disparu en 20 ans. "Les fermetures de certains établissements sont logiques, puisqu’il n’y a plus d’activité, plus de patientes qui consultent ou qui souhaitent y accoucher, et il y a aussi des maternités qui ont fermé parce qu’il y avait des problèmes de sécurité", notamment en raison d’un manque de chirurgiens, a expliqué Cyril Huissoud, lors d’un point presse. Mais ces fermetures sont le plus souvent décidées en catastrophe par les autorités, dans le désordre le plus total. "Le nombre et la localisation des maternités en France ne fait l’objet d’aucune planification réellement réfléchie depuis plusieurs décennies, ni pour les femmes ni pour les soignants."
Des maternités de plus en plus grosses
Résultat, les maternités qui restent doivent prendre en charge de plus en plus de patientes. Entre 1995 et 2016, le nombre d’établissements effectuant plus de 2.000 accouchements par an a été quasiment multiplié par quatre, selon le CNGOF. Certaines maternités effectuent même plus de 4.000 accouchements par an : il en existait déjà 15 en 2019. Or, les moyens nécessaires pour accompagner cette restructuration n’ont pas suivi, notamment avec des effectifs qui, en bien des endroits, "sont restés faméliques". "Donc il faut se débrouiller", a déploré Cyril Huissoud, citant l’exemple d’une maternité de son bassin d’exercice lyonnais, qui va fermer - "là encore, la décision a été prise du jour au lendemain" - laissant 400 patientes sur le carreau d’ici un mois…
Si les fermetures de maternités ont bouleversé l’accessibilité aux soins dans certains départements, comme le Lot, la Nièvre ou le Cantal, le CNGOF concède -enquête de la Drees à l’appui- que les délais d’accès aux maternités n’ont pas, globalement, explosé : entre 2000 et 2017, le temps médian d’accès à une maternité est passé de 7,9 minutes à 9,1 minutes. Quant à la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 30 minutes et plus de 45 minutes d’une maternité, elle est passée de 4,9% à 6,4% et de 0,6% à 0,9% respectivement. Reste que l’"incurie" de l’administration a plongé de nombreuses maternités dans une situation infernale : elles doivent accueillir un afflux de nouvelles patientes, souvent sans les locaux ni les personnels ad hoc, en répondant aux attentes "légitimes" des femmes en termes de sécurité médicale et de qualité dans les soins et l’accompagnement. Mission quasi impossible, tranche le secrétaire général du CNGOF. Ce qui crée des conditions explosives de "gynéco-bashing" ou des sentiments d’impuissance chez des sages-femmes et soignants déjà écrasés par le manque de temps et la surcharge de travail.
Risque d'implosion
Voilà pourquoi les gynécologues-obstétriciens sortent de leur réserve pour pointer des difficultés de fonctionnement qui mènent les maternités "au bord de l’implosion". Elles sont engluées dans un redoutable cercle vicieux : les fuites de personnels et problèmes de recrutement, similaires à ceux subis dans l’ensemble du monde hospitalier, aggravent encore la situation. Sur ce plan, grosses et petites structures sont logées à la même enseigne. "Cela concerne quasiment la totalité des maternités françaises, avec certaines qui ferment même temporairement. C’est absolument inédit. Nous n’avons jamais vu cela à une telle échelle", a martelé Cyril Huissoud. Les exemples ne manquent pas dans la presse locale, comme le cas emblématique de la maternité de Nevers qui a dû fermer ses portes une semaine au mois d’avril en raison d’une pénurie de personnel. "D’autres doivent parfois fermer vingt-quatre ou quarante-huit heures, faute de sages-femmes en nombre suffisant", témoigne de son côté Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes, dans une interview au Parisien. "Si l’on continue ainsi, on se dirige vers une situation dramatique dans beaucoup d’établissements, avec un risque réel pour la périnatalité et la santé des femmes."
Petite lueur d’espoir dans ce paysage sinistre, la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis), créée en 1964 et régulièrement menacée de fermeture en raison d’un lourd déficit, vient d’obtenir un sursis d’un an, alors qu’elle risquait de perdre son droit d’exercer en juin. La partie est loin d’être gagnée : il lui faut trouver une solution pérenne pour éviter la fermeture. En attendant, les élus locaux restent mobilisés. "Car nous n’imaginons pas que l’offre de soin soit encore amoindrie sur notre territoire, alors qu’elle est déjà insuffisante", alerte une dizaine d’édiles dans un communiqué commun, pour "exiger que l’Etat garantisse la pérennité de la maternité des Lilas !" Parmi les signataires, le maire des Lilas, Lionel Benharous, le président du conseil départemental, Stéphane Troussel, ou encore la députée de la circonscription, Sabine Rubin. Une pétition lancée en soutien à l'établissement a, par ailleurs, recueilli près de 56.000 signatures. Les gynécos ne sont pas seuls dans leur combat pour "la survie de nombreuses maternités".