Louise Bourrat (Top Chef) : "Ma victoire n’aura pas le même goût que celle d’un homme"

Louise Bourrat (Top Chef) : "Ma victoire n’aura pas le même goût que celle d’un homme"
Marie ETCHEGOYEN/M6

Opposée à Arnaud Delvenne, Louise Bourrat a remporté la saison 13 de Top Chef (M6). Une victoire qui lui permet de rejoindre le club très fermé des gagnantes de l’émission. Seules 2 autres femmes - Stéphanie Le Quellec en 2011 et Naoëlle D’Hainault en 2013 – ont réussi ce pari avant elle. Elle se confie à Télé 7 Jours sur cette victoire et son combat face au sexisme dans le monde de la gastronomie.

Quel était votre état d’esprit avant la finale ?

Avant d’arriver sur place, on se sent bien et serein car on se dit que le plus dur est derrière nous. On a pu reprendre le cours de nos vies, sortir de notre confinement (les candidats ont été confinés le temps du tournage à cause du Covid-19, ndlr). On sait que la finale ne va durer qu’une journée et qu’on la fera bien. Mais lorsqu’on arrive sur place… il y a la grandeur du décor, ce côté un peu cérémonial… Gros coup de pression et beaucoup de stress ! Ça a été beaucoup plus compliqué que je ne le pensais. Je crois que j’avais minimisé la difficulté de l’épreuve.

Avez-vous joué la sécurité ou pris des risques pour votre menu ?

Entre la demi-finale et la finale, un mois s’est écoulé. J’ai pu rentrer chez moi, prendre deux jours pour me reposer et aller au restaurant avant de reprendre ma vie en retournant travailler. Donc je n’ai pas eu le temps de préparer ma finale. J’ai choisi des plats qui marchent très bien au restaurant. Je savais les faire donc je me suis dit que ce serait facile. Erreur monumentale… Je les prépare habituellement pour une cinquantaine de personnes et pas en même temps. Je n’avais jamais envoyé autant de couverts d’un coup. C’était beaucoup trop ambitieux et je n’avais pas réfléchi à la praticité du menu. Mais je suis un peu comme ça, téméraire et fonctionnant dans l’urgence. J’ai rendu mon menu le jour de la deadline et je l’ai écrit en 20 minutes. J’ai foncé dans le tas.

Que ressent-on quand la dernière assiette de Top Chef sort de la cuisine ?

Avant même la dernière assiette, j’ai failli m’écrouler pendant la finale car j’étais malade. Je fais de l’endométriose et je prenais des cachets ce jour-là pour des douleurs. Je n’avais pas dormi de la nuit et j’ai fait une crise d’angoisse le matin. C’était sincèrement l’une des pires et plus dures journées de ma vie… Je me sentais coupable de ne pas être au top, ce qui me faisait sentir encore plus mal. C’était un cercle vicieux. Mais pendant toute la finale, je me suis dit que je ne devais pas lâcher, que tout avait une fin et que je pourrais bientôt rentrer chez moi à Lisbonne. 

Vous attendiez avec impatience votre retour à la vie normale ?

Il y a eu comme un baby blues. C’est génial de reprendre sa vie, moins de retrouver les problèmes du travail, de gérer les fournisseurs et le staff… Top Chef, c’est une vraie bulle…mais pesante. Être confinés pendant deux mois, ne pas voir le soleil, même sentir l’air… A mon retour à Lisbonne, j’ai senti une chaleur m’envahir en descendant de l’avion. Je me suis mise à pleurer toutes les larmes de mon corps… Je me sens encore émotive rien que d’y penser (elle a les larmes aux yeux, ndlr). Ce retour a fait tellement de bien. Deux mois sans voir ses proches, sans aller au restaurant ou presque, sans voir d’autres personnes…

Deux femmes seulement ont remporté Top Chef avant vous, Stéphanie Le Quellec en 2011 et Naoëlle D’Hainault en 2013… 

Je suis très fière mais c’est aussi une grosse pression. Pour une femme, c’est difficile d’exister dans ce milieu et d’avoir de la légitimité auprès de la profession et même en dehors. Je sais que je vais aussi me heurter au fait que certains vont remettre ma victoire en question, vont dire qu’il fallait respecter les quotas ou l’image de la chaîne… Ma victoire n’aura pas le même goût que celle d’un homme. On ne me la donnera pas à 100%, on va la remettre en cause… Je n’ai donc pas pu en profiter pleinement. 

Des téléspectateurs vous ont beaucoup reproché votre côté compétitrice. Pensez-vous qu’ils auraient fait la même critique si vous étiez un homme ?

Non. Qu’on déteste ma personnalité n’est pas un problème. Je fais souvent cet effet : soit on m’adore, soit on me déteste. Mais qu’on m’attaque sur des traits de caractère qu’on retrouve chez d’autres candidats ? Pourquoi est-ce que ça dérange chez moi ? Parce que je suis une femme. Je dois avoir la victoire discrète, ne pas parler en verlan, ne pas utiliser des mots d’argot, ne pas être trop brute… C’est ce qu’on attend d’une femme. On est en 2022, le combat continue.

La situation est-elle la même dans le monde de la cuisine ?

Bien sûr… Pour devenir légitime aux yeux de votre staff, vous devez creuser vos qualités masculines. Ils vont commencer à te respecter quand, par exemple, tu prends de toi-même les carrés d’agneau pour en faire quelque chose de nickel. Il faut montrer que tu as cette force, que tu es capable. 

Il faut donc constamment faire ses preuves ?

Je le répète régulièrement à mes deux sous-chefs qui sont des femmes : ce n’est pas parce que vous avez ce poste-là que vous allez être respectées. Vous devez asseoir votre leadership et votre légitimité. Un sous-chef homme aurait droit à « Oui chef ». Mais en tant que femme, il faut chercher les choses les plus techniques et masculines pour être respectée.

Est-ce pour ce combat à mener pour les femmes que vous avez choisi la brigade de la seule représentante féminine du jury, Hélène Darroze ?

J’ai très longuement hésité. Mon premier choix était Philippe Etchebest et j’ai ensuite envisagé tous les autres chefs. Je ne savais pas qui choisir jusqu’à la dernière seconde. J’ai pensé au fait que je me lançais dans une aventure avec beaucoup de pression, sans repères, et que j’allais être poussée dans mes retranchements. Je savais que travailler avec des femmes m’avait enlevé, par le passé, beaucoup de poids et de charge mentale. Hélène Darroze était donc le choix le plus facile et le plus confortable pour moi. Ce n’est pas, peut-être, celui qui m’a le plus apporté techniquement et créativement, mais c’était la chose à faire pour mon bien-être.

Etes-vous toujours en contact depuis votre victoire ?

On s’envoie un message de temps à autre, mais pas plus que ça. Je ne suis pas quelqu’un qui contacte beaucoup les autres. Mais on s’appellera si je suis à Paris, si j’ai une question ou si elle pense à un événement qui pourrait me plaire.

Vous n’avez donc pas encore pu réaliser la contrepartie à votre pari ( Hélène Darroze a promis de se laisser tatouer par Louise si elle remportait l’émission) ?

Non, pas encore. Mais ça viendra !

Pauline Hohoadji