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En Afrique du Sud, les adolescentes et les jeunes femmes, premières victimes du VIH

Le pays, premier foyer de l’épidémie de sida au monde, est aussi l’un des plus violents envers les femmes.

Par  (Johannesburg, correspondance)

Publié le 07 juillet 2022 à 19h00, modifié le 01 décembre 2022 à 13h25

Temps de Lecture 4 min.

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Abigail, 22 ans, bénéficiaire de l’association Childline. A Soshanguve, Pretoria, Afrique du Sud, le 1er juillet 2022.

Abigail était follement amoureuse. Quand elle est tombée enceinte, son petit ami est devenu de plus en plus jaloux. Il l’a frappée. Abigail est restée. Son frère a tenté de l’avertir : « Ce gars-là voit d’autres filles. » Elle n’a rien voulu entendre. Puis elle l’a surpris avec une femme. Elle a pardonné. Il a eu un enfant avec une autre. Abigail n’a jamais porté plainte, pour les coups, mais elle a fini par partir. « J’ai compris que, si ça continuait, j’allais tomber malade », raconte la jeune femme de 22 ans.

Peu de temps après avoir quitté son petit ami, elle a poussé la porte de Childline, une association de soutien aux adolescents dans le township de Soshanguve, au nord de la capitale sud-africaine, Pretoria. Abigail a mis un moment avant de se décider. « J’avais peur d’être jugée mais, ici, on ne te juge pas, parce qu’on sait que la plupart des filles traversent la même chose », dit-elle comme une évidence. L’Afrique du Sud est l’un des pays les plus violents au monde envers les femmes. En 2017, le pays affichait un taux de féminicides cinq fois supérieur à la moyenne mondiale, d’après les Nations unies.

Un an plus tard, Abigail a repris confiance et c’est elle, désormais, qui conseille aux filles du quartier de mettre fin aux relations toxiques. Mais la jeune femme sait qu’elle a eu de la chance. Des mois après l’avoir mis en garde sur les risques de maladies sexuellement transmissibles, sa sœur lui a confié être séropositive. « C’est à ce moment-là que j’ai compris à quel point c’était facile de l’attraper. Ma sœur est quelqu’un de timide, je n’aurais pas pensé que ça pourrait lui arriver. »

La peur des jugements

Comme beaucoup de jeunes séropositifs, la sœur d’Abigail n’a parlé à personne de son statut, par peur des jugements, elle aussi. Elle est pourtant loin d’être un cas isolé. Chaque semaine, plus de 1 600 nouvelles contaminations sont détectées chez des adolescentes et des jeunes femmes, soit un tiers de l’ensemble des nouvelles contaminations en Afrique du Sud. Entre 15 ans et 24 ans, elles sont trois fois plus susceptibles de contracter le VIH que les hommes du même âge.

Les membres du personnel de l’association Childline, une association de soutien aux adolescents, font une réunion d’information sur les objectifs de l’année, à Soshanguve, Pretoria, Afrique du Sud, le 1er juillet 2022.
Spécialisées dans la protection de l’enfance, les équipes de Childline associent la prévention contre le VIH à la lutte contre les violences envers les femmes. Les adolescentes et les jeunes femmes exposées aux violences sont les plus susceptibles de contracter le virus.

« Beaucoup de jeunes femmes sont contaminées après avoir subi des violences sexuelles ou une forme de contrainte. Et ce sont elles qui en subissent le préjudice, pas les agresseurs qui les ont contaminées », analyse la docteure Nataly Woollett. Psychologue spécialiste des traumatismes, elle a mené une étude sur la perception des services de santé par de jeunes séropositifs, et travaille actuellement auprès de jeunes femmes enceintes victimes de violences. « Les infirmières ne les respectent pas, les filles sont accusées d’être frivoles, indisciplinées, ou de ne pas avoir de morale », dit-elle.

« Dans les cliniques, en général, on te dit que tu ne peux t’en prendre qu’à toi, parce que tu as eu plusieurs partenaires. Tu t’attendais à quoi ? Parfois, certains ricanent en voyant le traitement que tu viens chercher et, dans l’heure qui suit, tout le quartier est au courant », ajoute Abigail. Si l’Afrique du Sud est le premier foyer de l’épidémie de VIH au monde – 7,8 millions de personnes vivent avec le virus –, la maladie reste taboue, et la rudesse du système de soins public, saturé, frappe les adolescents plus durement encore que les adultes.

« La plupart du temps, les garçons envoient leur copine se faire dépister. Si elle est négative, ça veut dire qu’eux aussi », raconte Melokhule

Conséquence : dans une étude publiée en 2019 dans la revue The Lancet HIV, des chercheurs estiment que moins de la moitié des jeunes testés positifs au VIH suivent un traitement anti-rétroviral en Afrique du Sud. Le pays possède pourtant le plus grand programme d’antirétroviraux au monde. Au sein de la population globale, 93 % des personnes contaminées connaissent leur statut, et les trois quarts d’entre elles suivent un traitement.

La peur de la stigmatisation dissuade également les jeunes de partager leur statut avec leurs partenaires. « Quand ils tentent de parler, l’autre met souvent fin à la relation, les accusant d’infidélité ou leur reprochant leur activité sexuelle passée », poursuit la docteure Nataly Woollett. De leur côté, plusieurs jeunes femmes racontent la difficulté de faire accepter le préservatif aux hommes : « Il faut les convaincre, ils sous-entendent qu’on ne leur fait pas confiance », raconte Melokhule. Quant au dépistage, « la plupart du temps, les garçons envoient leur copine. Si elle est négative, ça veut dire qu’eux aussi », poursuit la jeune femme.

« Non, c’est non »

Melokhule a compris qu’elle était dans une relation toxique elle aussi grâce au programme « Non, c’est non », de Childline, qui sensibilise les jeunes femmes aux abus. « J’ai compris que certaines choses que tu crois acceptables ne le sont pas. Quand ton mec te dit : “Arrête de boire, tu bois mon argent” ou qu’il pense que tu lui appartiens parce qu’il te donne de l’argent pour sortir, ce n’est pas normal », dit-elle aujourd’hui. A 20 ans, après trois ans de relation, elle a quitté son compagnon de sept ans plus âgé.

Melokuhle, 20 ans, a été soutenu par l’association Childline. Elle a mis fin à la relation toxique que son compagnon entretenait avec elle. A Soshanguve, Pretoria (Afrique du Sud), le 1er juillet 2022.

« Beaucoup de filles ne comprennent pas qu’elles sont dans une relation contrainte ; pour elles, c’est normal. Même dans le cas d’une relation transactionnelle avec un homme plus âgé. Les familles acceptent, parce qu’il met du pain sur la table. Souvent, ce n’est pas pour s’acheter du vernis à ongles ou aller chez le coiffeur, c’est bien plus dramatique. Tout le monde sait, mais personne ne dit rien, le silence marque une forme d’acceptation », détaille Nataly Woollett, qui souligne l’impossibilité de parler de sexe au sein des familles.

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Longtemps restée en marge de la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, la prévention contre les violences envers les femmes est désormais au cœur de la lutte contre le VIH en Afrique du Sud. Spécialisée dans la protection de l’enfance depuis la fin des années 1990, Childline est l’une des associations qui sont en première ligne. Depuis 2019, elle a sensibilisé ou soutenu plus de 13 000 jeunes femmes, grâce à des ateliers allant de l’accompagnement professionnel à l’apprentissage de la self-défense, en passant par la gestion de son budget ou le soutien psychologique. Au total, Nacosa, le réseau d’associations dont elle est membre, espère toucher 200 000 jeunes au cours des trois prochaines années.

Sommaire de notre dossier Sida en Afrique : le temps de l’espoir

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds mondial.

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