L’information n’a pas fait grand bruit et, pourtant, elle signe le sort des personnes LGBT + et femmes catholiques – soit une majorité des baptisé(e) s de notre Église. Samedi 26 août, le cardinal Jean-Claude Hollerich a présenté à Rome les premiers résultats de la consultation mondiale menée dans le cadre du Synode sur la synodalité, dont il est rapporteur général. Interrogé sur la position de l’Église sur l’homosexualité, il a déclaré « ne pas être en faveur du changement de la doctrine ».

C’est pourtant ce même cardinal qui, le 2 février dernier, appelait « à un changement de l’enseignement catholique sur l’homosexualité » et estimait que son « appréciation » par l’Église « comme un péché est erronée ». Je ne sais pas ce qui vaut au cardinal Hollerich de retourner ainsi sa barrette, mais je ne peux croire qu’il ait fondamentalement changé d’avis sur le fond, quand il justifiait que « le fondement sociologique-scientifique de cet enseignement n’est plus correct ».

Une évolution cadenassée

Car il fait aujourd’hui consensus scientifique que l’homosexualité et la transidentité ne sont pas des maladies, et l’Organisation mondiale de la santé les a toutes deux supprimées de son manuel officiel de diagnostics (1). Il est donc faux et dangereux de continuer à affirmer, comme le fait le Catéchisme de l’Église catholique, que les « tendances homosexuelles » sont « objectivement désordonnée(s) » (2). Comme l’Église a dû se résoudre au fait que la terre tourne autour du soleil, elle doit urgemment accepter que les personnes qui ne rentrent pas dans le moule étroit d’Adam et Ève n’en sont pas moins « naturelles ».

Plus profondément, « un changement de l’enseignement catholique sur l’homosexualité » ne peut se faire sans remettre en cause l’idée d’une « complémentarité homme-femme ». C’est cette doctrine – oserais-je dire idéologie ? – qui cadenasse toute évolution vers une réelle égalité dans notre Église, celle des personnes LGBT + mais aussi celle des femmes. En rendant les deux genres forcément « complémentaires », le magistère catholique enferme « la femme » dans la vocation d’épouse et mère, la réduit à son appareil reproductif, la dessine en creux de son époux et de leur progéniture (3). Dans le même mouvement, il empêche d’envisager tout salut hors du couple hétérosexuel. En excluant que le Synode sur la synodalité puisse aboutir sur une réforme de la doctrine catholique sur l’homosexualité, c’est donc aussi la condition des femmes que l’Église verrouille.

« Volontairement excluante »

Je mesure le changement de paradigme que cela représenterait, mais avons-nous seulement le choix ? Faire en sorte que « tout le monde se sente accueilli » – comme le souhaite à présent le cardinal Hollerich – n’est pas suffisant. C’est sur sa doctrine que l’Église s’appuie pour justifier son lobby actif contre les droits des minorités sexuelles et de genre. Ainsi, en 2008, le Saint-Siège s’est opposé à une proposition de résolution aux Nations unies appelant à la dépénalisation de l’homosexualité à travers le monde. En 2013, le Vatican s’est allié à l’Iran et à la Russie en amont d’une conférence onusienne consacrée à la prévention des violences contre les femmes et les enfants.

Le mois dernier, un évêque du Midwest américain a mis en place une « directive diocésaine » « volontairement excluante » (4) à l’égard des personnes LGBT+ dans l’éducation catholique, privant les personnes transgenres de communion et menaçant des enfants transgenres d’exclusion de leur établissement scolaire (5). La semaine dernière, un évêque suisse a ouvert une enquête canonique préliminaire à la suite d’une messe concélébrée par une femme (6), qualifiant « d’abus liturgiques » la démonstration par une paroisse de son inclusivité, c’est-à-dire de son amour.

Alors, certes, il existe dans certaines paroisses, voire dans certains diocèses, des communautés inclusives, des soutiens réels et des bonnes pratiques. Il y a aussi le pape François, dont certaines petites phrases ressemblent à des lendemains nouveaux. Mais sans une réforme du droit canon, toute avancée locale est tributaire du bon vouloir du prochain curé, de l’évêque suivant et chaque déclaration n’est que de la communication. L’Église ne peut oppresser d’une main et accueillir de l’autre ; cela ne s’appelle pas de la tolérance ou de la compassion mais une relation toxique.

Élever la voix

Face à cela et aux limites déjà manifestes du Synode sur la synodalité, il me semble que les catholiques n’ont d’autre choix que d’élever la voix. Si la nécessaire égalité des femmes dans l’Église rassemble de plus en plus, elle ne peut se faire aux dépens des personnes LGBT+ (dont beaucoup sont des femmes, rappelons-le). Nous devons dépasser les tabous qui existent encore, être ouvertement choqués, activement solidaires. Car notre silence n’est pas bienveillant, il est coupable ; la communion ne se cache pas, elle se fête ; l'amour sincère ne diminue pas, il célèbre.

Nous le devons à cette femme dont la profonde vocation est niée, à cette religieuse qui s’est confiée tout entière au Christ et dont l’Église a abusé, à cet oncle « qui en était », à cette paroissienne « qui s’est toujours demandé », à cet(te) enfant « qui se cherche » et qui ne mérite rien de moins que son bonheur. Nous le devons aussi à ces adelphes (7) qui ont dû s’éloigner de nos églises pour se trouver et qui vivent heureux loin, le plus loin possible de nos bancs. Je le dois à l’adolescente que j’ai été, qui s'est empêchée d'aimer aussi les femmes « car ma famille serait malheureuse et ma religion me l'interdit ». Je le dois à mes filles, aussi dignes qu’un autre de servir à l’autel, de trouver dans une paroisse la manifestation du cœur ardent de notre Christ.

(1) L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a supprimé l’homosexualité et le « trouble de l’identité de genre » de son manuel officiel de diagnostics aux dates respectives du 17 mai 1990 et du 25 mai 2019. (Sources : « L’OMS supprime le “trouble de l’identité de genre” de sa liste de maladies, une victoire pour les transgenres », ONU Infos, 30 mai 2019 ; « LGBTQI + : il y a 30 ans l’homosexualité quittait la liste des maladies mentales de l'OMS », RTBF.be, 17 mai 2020.)

(2) Paragraphe 2358, Catéchisme de l'Église catholique.

(3) À ce sujet, voir notamment Masculin-Féminin. Où en sommes-nous ? Décryptage d'une encyclique, Michèle Jeunet, Books on Demand, 2016.

(4) Diocesan Policy: Conforming With The Church’s Teaching On Human Sexuality In Education Settings, Catholic Diocese of Sioux Falls, 1er juillet 2022, p. 9.

(5) Un évêque américain prive de communion les personnes s’affichant comme transgenres, La Croix, 27 août 2022.

(6) Zurich : enquête canonique sur une messe pas très catholique, cath.ch, 2 septembre 2022.

(7) Le mot « adelphe » est issu du grec ancien adelphós (utérin), et désigne initialement les personnes nées d’un même parent ; aujourd’hui, ce terme est employé par la communauté LGBT+ pour désigner des « frères » et « sœurs », indistinctement de leur genre.