Moyen-Orient

Des Iraniennes en jupe voire en bikini avant 1979 : est-ce possible ? Comment les vêtements des femmes et leurs droits ont évolué

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Par Marie-Laure Mathot

C’est une image étonnante au vu de l’actualité iranienne : des femmes en bikini sur la plage sur la première moitié de l’image, d’autres en burka en bas de celle-ci. Et ce commentaire de l’auteur du tweet : "Iran. Du bikini à la burka en 50 ans." Est-ce possible ? Comment ?

S’il est compliqué d’établir l’origine matérielle de l’image des femmes en bikini sur la plage, il est néanmoins possible de retracer son origine sur le web. Ainsi, la première trace trouvée date de 2014 et le nom du fichier est : "ایرانی در کنار دریای خزر – ۱۳۵۵_0.jpg". Google traduction le détecte comme du persan, la langue majoritaire en Iran et le traduit par "Iranien au bord de la mer Caspienne – 0.jpg.

Est-ce que cela est possible ? Retour dans le temps : il y a 50 ans, en 1952, l’Iran n’a pas encore basculé dans le régime islamique que l’on connaît aujourd’hui et qui impose le voile aux femmes. Notons que la politique actuelle impose non pas la burka comme cité dans le tweet mais au minimum de couvrir ses cheveux. Ce que Mahsa Amini n’a pas fait en septembre dernier et lui a coûté la vie.

Ce régime n’était donc pas d’actualité avant 1979. C’était celui de la dynastie Pahlavi qui avait une politique totalement contraire à celle du régime actuel puisqu’elle imposait de ne pas mettre le voile. Voir des femmes en jupe était quelque chose de courant, "en tout cas, dans les grandes villes", contextualise Firouzeh Nahavandy, sociologue et professeur spécialiste de l’Iran à l’ULB. Elle est l’autrice des livres Iran (ed. De Boeck) et Être femme en Iran, quelle émancipation ? (éd. de l’académie royale de Belgique).

Ça a été un peu difficile pour des femmes qui étaient toujours voilées de sortir dévoilées

Il faut remonter dans les années 1920 pour comprendre. "Le premier roi Pahlavi, Reza Shah ordonne le dévoilement des femmes. Ça a été un peu difficile pour des femmes qui étaient toujours voilées de sortir dévoilées. C’est à cette époque que l’on a vu des femmes porter le chapeau, qui a alors remplacé le voile. Puis, le deuxième roi Pahlavi, Mohammad Reza Chah (arrivé au pouvoir en 1941, ndlr) qui fut le deuxième et dernier roi d’Iran, a été moins dur. Il relâche la pression sur le dévoilement. Les femmes peuvent porter un voile si elles le souhaitent. Ou ne pas le porter. C’est ainsi que, dans les grandes villes, certaines Iraniennes portent le voile et d’autres pas."

Preuve en est dans ce reportage retrouvé dans les archives de la RTBF (Sonuma) et datant de 1971. Le journaliste, à Téhéran, parle d’une "cité de 3 millions d’habitants" avec "d’un côté la femme voilée, de l’autre la mini-jupe".

Iran, 1971, archive Sonuma

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Un commentaire qui montre à quel point les tenues vestimentaires des femmes, et par la même occasion, leurs droits, sont utilisées comme symbole d’un régime politique. "Pour l’ancien régime, la question du voile était liée à l’image que l’on voulait donner de la modernisation en Iran", explique Firouzeh Nahavandy.

Si malaise il y a dans une certaine part de la population, le dévoilement est toutefois concomitant avec un élargissement des droits des femmes. "En 1963, elles obtiennent le droit de vote et d’éligibilité. En ce qui concerne le droit de la famille, elles obtiennent une série de possibilités de divorce, de droits dans le mariage. Elles pouvaient travailler comme elles le voulaient et où elles voulaient."

Iran, 1971, archive Sonuma, mariage

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C’est ce que raconte ce journaliste dans la même archive de 1971. Il assistait alors à un mariage. "Si sa femme lui en donne l’autorisation, il (l’homme iranien, ndlr) pourra en prendre une deuxième." Et d'ajouter : "La femme iranienne, qui doit quitter son voile depuis 1935 mais ne le fait pas toujours, vote depuis 1963 et peut être élue. Il y a des femmes ministres, sénateurs, professeurs, médecins. Elle prend la pilule qui est distribuée gratuitement."

Elle prend la pilule qui est distribuée gratuitement

"Le divorce, aujourd’hui plus difficile à obtenir qu’auparavant (du point de vue d’un homme, ndlr). Il suffisait alors au mari de se rendre chez le prêtre qui avertissait l’épouse de sa situation. Maintenant, les conjoints doivent être d’accord de leur séparation devant un tribunal et l’épouse, de son côté, peut demander le divorce." Il était donc plus facile pour les femmes de demander à se séparer.

Ces droits ont été abolis en 1979, année de la révolution islamique. Année de l’imposition du voile. "Il y a eu une régression du droit des femmes en 1979", confirme la professeure de l’ULB. "D’abord, tous les droits que contenait le droit de la famille ont été éliminés. Le Code pénal a été islamisé. C’est-à-dire que les punitions pour les femmes sont différentes que pour les hommes."

Présenter les femmes dans leur seule mission qu’était la procréation

"Certaines branches à l’université ont été restreintes et n’ont plus été accessibles aux femmes. Certains travaux leur ont été interdits. Et finalement, on a surtout essayé de présenter les femmes dans leur seule mission qu’était la procréation. Donc, on a une régression des droits. Cela étant, elles ont gardé le droit de vote et d’éligibilité. Et elles se sont battues pour de petites améliorations au niveau des responsabilités familiales et pour le droit au divorce qui avait été totalement retiré aux femmes."

Une révolte différente cette fois-ci

Chaque époque impose ainsi ses lois qui provoquent des protestations. "Lors du dévoilement obligatoire, il n’y a pas eu de résistance ou de manifestation", explique la professeure de l’ULB. "Il y a eu un malaise des femmes qui devaient se dévoiler. Beaucoup ont tardé à sortir de chez elles car elles étaient mal à l’aise."

En revanche, l’imposition du voile en 1979 a créé de grands mouvements de protestations des femmes. "Il y a eu des marches des femmes, des manifestations mais elles ont été cruellement réprimées et personne ne les a soutenues."

C’est ce qui fait la différence avec la révolte actuelle où l’on voit des hommes dans les manifestations. "Quand les femmes ont commencé à brûler leur voile, progressivement, les jeunes hommes, qui souffrent aussi de la chappe de plomb iranienne, ont soutenu les jeunes femmes. Leurs familles s’y sont mises petit à petit. Ce ne sont pas des partis politiques qui les soutiennent mais la population : les jeunes hommes, les parents…"

La révolte qui a commencé en septembre 2022 est donc différente, dans le public qui y participe, mais aussi dans son ampleur et dans la détermination de ces jeunes femmes, analyse la professeure de l’ULB.

"D’abord, il faut souligner le courage extrême de cette jeunesse, de ces femmes en particulier qui sont très souvent des adolescentes. La moyenne d’âge des manifestantes, c’est 16 ans. Ce sont des ados, des petites filles qui manifestent. Ces femmes sont déterminées. Elles sont tuées, emprisonnées, subissent de la maltraitance et des viols."

La question qui se pose à présent, c’est à quoi vont aboutir ces manifestations ? "Elles ne sont pas encadrées, ce qui peut être une bonne chose mais à un moment, il faudra une direction. Or, les manifestants sont réfractaires à ce niveau-là. On a donc un risque de récupération par un groupe plus organisé que l’autre. On n’a pas non plus une idéologie particulière : on veut la fin du régime mais ce que l’on veut après n’est pas très clair. Il est trop tôt pour savoir ce qu’il va se passer. Mais ça peut très bien être écrasé dans le sang. C’est déjà le cas. La situation peut s’aggraver en termes de répression."

Pour le moment, nous en sommes au troisième mois de manifestation et de répression. Au moins 416 personnes sont décédées dont 51 enfants selon l’ONG Human rights watch.

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