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« En Afrique de l’Ouest, une sage-femme est souvent obligée de remplir la tâche de trois personnes »

Responsable du département des ressources humaines au bureau africain de l’OMS, le docteur Adam Ahmat préconise des recrutements décentralisés pour déployer le personnel soignant dans les zones rurales, où il fait cruellement défaut.

Propos recueillis par 

Publié le 16 décembre 2022 à 18h00, modifié le 16 décembre 2022 à 18h00

Temps de Lecture 3 min.

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Une sage-femme s’occupe d’un nouveau-né à l’hôpital général de Man, en Côte d’Ivoire, en 2013.

La pandémie de Covid-19 a mis à l’épreuve les systèmes de santé et révélé leurs fragilités. Les progrès accomplis au cours des dernières années ont parfois été effacés. Dans le domaine de la santé maternelle et infantile, les données récentes publiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pointent d’importantes insuffisances, en particulier en Afrique de l’Ouest. Adam Ahmat, responsable du département des ressources humaines pour la santé au bureau africain de l’OMS, revient sur les défis que doivent relever les gouvernements pour garantir un bon accès aux soins maternels et infantiles.

Quelle est la situation de la santé maternelle et infantile en Afrique de l’Ouest ?

Comme dans d’autres régions du continent, des progrès existent, mais ils sont lents. Et parmi les causes, la pénurie de personnels de santé qualifiés est une donnée majeure. Si l’on considère l’ensemble des agents, en excluant les administrateurs de santé et le personnel d’appui, la densité moyenne de personnels de santé en Afrique était de 29 pour 10 000 habitants en 2018. La cible fixée à l’horizon 2030 par les Objectifs de développement durable (ODD) est de 134. On en est très loin. Il est difficile de se prononcer sur les personnels exclusivement dédiés à la santé de la reproduction en tant que tels. Mais si on considère, selon les recommandations de l’OMS, qu’il faudrait disposer de 44,5 médecins, infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants, des augmentations massives des effectifs de personnels de santé s’avèrent nécessaires.

Quels sont les métiers qui souffrent le plus de ce manque ?

Les pénuries de ressources humaines sont liées aux modèles de soins en vigueur dans les pays, pour répondre d’abord aux soins de santé primaires des groupes vulnérables. Le plus souvent, ce sont les sages-femmes – professionnelles, assistantes et aides accoucheuses – qui s’occupent du suivi de la grossesse et des accouchements. Mais les accouchements normaux peuvent vite devenir dangereux, car ces personnels de santé sont souvent démunis quand surviennent les complications. C’est à ce moment que doivent intervenir les spécialistes : obstétriciens, gynécologues, pédiatres et chirurgiens pédiatres. Mais ces derniers sont très rares, surtout en zone rurale.

« Quand on envoie des professionnels de santé se spécialiser en France, certains ne reviennent pas au pays »

Cette situation est-elle consécutive d’un problème de formation ou de manque de moyens pour recruter ?

Les raisons des pénuries sont multiples et variées. Beaucoup de pays de la sous-région ont une capacité insuffisante pour former plus de personnels de santé dans toutes les disciplines requises. Il manque des enseignants qualifiés, des infrastructures, des équipements et des sites de formation. A cela s’ajoute la question de l’inadéquation entre la formation et les emplois demandés. La conséquence est que les pays n’absorbent pas toujours leurs diplômés. Un autre aspect non négligeable à prendre en compte est la migration des professionnels de santé expérimentés et qualifiés vers les pays développés. Quand on les envoie se spécialiser en France par exemple, une fois qu’ils ont leur diplôme, certains ne reviennent pas au pays. Au Niger par exemple, le besoin est criant.

Pour différentes raisons, une partie des habitants d’Afrique de l’Ouest sont mobiles. Comment leur donner accès aux services de santé ?

Ces populations font partie des groupes vulnérables. Elles souffrent d’un mauvais accès aux services publics de base, dont la santé et l’éducation. Au Tchad par exemple, beaucoup de populations sont nomades. Elles se déplacent pour trouver des pâturages pour leur bétail. C’est aussi le cas au Niger. La dégradation de la situation sécuritaire causée par le terrorisme accentue les difficultés d’accès aux services sanitaires. Dans un contexte de pénuries de personnels de santé, leur situation est d’autant plus grave. Une façon d’améliorer leur sort est de créer des unités mobiles en détachant du personnel de santé des hôpitaux.

Pour quelles raisons prônez-vous un recrutement décentralisé des personnels de soins ?

On a observé dans plusieurs pays que les gouvernements ont procédé à des recrutements massifs d’agents de santé. C’est une bonne chose. Mais le principal défi réside dans leur déploiement dans les zones reculées ou difficiles d’accès, où les besoins sont très importants. Des recrutements décentralisés, avec des quotas prédéfinis, peuvent répondre à ces défis. Cette option nécessite également une stratégie de fidélisation des agents de santé dans ces milieux.

Les personnels de santé se plaignent souvent de leurs conditions de travail. Cela peut donner lieu à des mauvais traitements des patients, comme l’illustre le cas des violences obstétricales au Sénégal. Que préconisez-vous pour améliorer leur situation, de sorte qu’ils offrent des soins respectueux aux bénéficiaires ?

Les conditions de travail varient d’un pays à un autre. D’abord, les personnels soignants sont en nombre insuffisant, mal payés et mal dotés en équipements et produits de santé. Ils font face à une forte pression de la charge de travail quotidienne. Cette situation peut causer du stress, voire des burn-out. Une récente évaluation menée dans plusieurs pays a montré qu’une sage-femme est souvent obligée de remplir la tâche de trois personnes. Cela pose un vrai problème d’organisation du travail. Je trouve injuste qu’une sage-femme mutée dans un centre de santé ait à s’occuper de 5 000 à 10 000 personnes venant de plusieurs villages. Cette situation les rend nécessairement moins accueillantes. Face aux jeunes filles enceintes, elles peuvent s’exprimer de manière si offusquante que cela dissuade ces futures mères d’aller vers les centres de santé pour le suivi de leur grossesse.

Cet article a été réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

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