REPORTAGELa maison des femmes de l’AP-HP, « refuge » pour les victimes de violence

Paris : La maison des femmes de l’AP-HP, un « refuge » pour les victimes de violences

REPORTAGELa maison des femmes de l’hôpital Pitié-Salpêtrière est l’une des trois structures de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris qui accueille des femmes victimes de violences, permettant à la fois de déposer plainte et de se soigner sur place
Le projet de l'AP-HP s'inspire de celui de la maison des femmes qui a vu le jour au centre hospitalier de Saint-Denis.
Le projet de l'AP-HP s'inspire de celui de la maison des femmes qui a vu le jour au centre hospitalier de Saint-Denis.  - Eric Dessons / SIPA
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Les femmes victimes de violences, qu’elles soient sexuelles ou conjugales, peuvent trouver refuge à la maison des femmes de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris.
  • Il s’agit d’un lieu polyvalent où sont réunis des conseils juridiques, des consultations gynécologiques et psychologiques, des ateliers de yoga ou de danse et une antenne de la police pour porter plainte.
  • Il existe deux autres maisons des femmes de l’AP-HP à Paris, au sein des hôpitaux Bichat – Claude-Bernard et Hôtel-Dieu.

«Cela fait un mois que je viens ici. Avant je me sentais déséquilibrée, j’errais dans ce monde, et c’est comme si j’avais retrouvé mes repères, comme si j’avais reconquis ma personne, ma valeur exacte. J’ai repris confiance en la vie. » Ces mots viennent d’Asie*, quinquagénaire victime de violences conjugales pendant vingt-cinq ans, qui doit sa guérison selon elle à la maison des femmes de la Pitié-Salpêtrière, l’une des trois structures de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à Paris ouvertes ces derniers mois et où l’on prend en charge des femmes que les violences ont brisées.

« Un exploit », c’est le mot qui vient spontanément à la bouche d’Asie, lorsqu’on lui demande de qualifier ce lieu, qui propose une prise en charge médicale, sociale et juridique grâce à un partenariat entre l’AP-HP, la police, la justice, des associations spécialisées et des collectivités comme la Mairie de Paris.

Avoir tout au même endroit

L’avantage de cet endroit, selon les intéressées, c’est que tout est sur place. « On ne navigue pas à vue d’un truc à l’autre, il y a une personne référente avec qui on a rendez-vous pour faire le point qui rassemble tout, je trouve ça super », commente Isabelle*, 45 ans, victime d’un viol il y a vingt-quatre ans qui est réapparu à la surface il y a quelques mois. « La vraie plus value de cette structure c’est d’avoir tout au même endroit », estime aussi le docteur Sophie Duchesne, gynécologue, qui coordonne cette structure. « D’habitude il y a une multiplication des rendez-vous, c’est difficile pour elles, elles laissent souvent tomber car elles sont fatiguées psychiquement, et c’est là qu’on les perd », ajoute aussi Christine, intervenante sociale à la maison des femmes pour l’association Aurore.

Outre des soins physiques, la maison des femmes dispense des soins psychologiques et psychiatriques, prodigue des conseils juridiques, offre la possibilité de porter plainte sur place, facilite les demandes d’aide médicale, aide à renouveler les dossiers de CMU… Et offre tout un panel d’ateliers thérapeutiques (yoga, karaté, estime de soi…), comme ce matin un atelier danse, animé par Viola Chiarini, chorégraphe et danseuse-interprète qui a une formation de psychologue et un master en danse thérapie : « C’est un atelier qui utilise la médiation de la danse et du mouvement pour un mieux-être, pour se reconnecter à soi-même au niveau corporel et psychique. »

« Ici on n’est pas attentifs à la forme, on n’apprend pas à danser, on utilise la danse pour autre chose, ajoute Viola Chiarini. Par exemple, elles peuvent exprimer ce qu’elles ressentent par un mouvement lent, léger ou lourd, en danse libre. » « Je voulais assister à des cours de yoga mais je n’avais pas le courage, et puis c’est cher… Ici, on a des ateliers presque tous les jours, on n’a pas le temps de s’ennuyer et de penser aux ondes négatives. Quand je rentre chez moi, je rentre épanouie… », commente Asie.

De multiples symptômes conjugués

Certaines femmes qui passent par ici ont subi des violences à peine imaginables. Des femmes au parcours migratoires semé d’embûches et de multiples violences, avec des viols en série, et parfois encore des violences sexuelles une fois arrivées en France, lorsqu’elles tombent sur des personnes mal intentionnées.

Un autre profil concerne des femmes qui ont vécu des violences dans un cadre conjugal, « sans histoire » de l’extérieur, mais qui dans l’intimité ont subi « une dévalorisation quotidienne, des critiques constantes, l’interdiction de sortir du cadre familial, de voir des amis, et une emprise forte », selon Hugo Bottemanne, chef de clinique psychiatrie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et qui consulte aussi à la maison des femmes. Environ 45 % des patientes sollicitent la structure dans un contexte de violences conjugales, 18 %, dans un contexte de violences migratoires, 22 %, de violences sexuelles et 13 %, de violences intrafamiliales.

« La maison des femmes est un lieu de refuge. Il y a une violence extrême présente dans nos sociétés dont les femmes sont les premières victimes », estime Hugo Bottemanne. Les patientes qui arrivent ici conjuguent souvent de multiples symptômes : « Une anxiété très forte, des sueurs, des tremblements, des maux de tête, des évanouissements, des pensées qui reviennent comme dans l’instant présent, des émotions négatives, et une sensation d’hypervigilance avec le corps qui peut fuir », détaille le chef de service.

« On est bien entourées et bien protégées »

Mais la bonne nouvelle, c’est que tout cela peut se guérir, et parfois à une vitesse vraiment étonnante, comme en témoigne la vie retrouvée d’Asie ou les progrès d’Isabelle, qui ont toutes les deux trouvé un vrai sentiment de protection : « Je ne dormais plus, j’avais le corps tout contracté. Là, j’arrive enfin à en parler. Je me sens protégée quand je vais là-bas, j’ai l’impression qu’il ne peut rien m’arriver. » « Les personnes ici savent écouter. On est bien entourées et bien protégées », complète à l’unisson Asie.



Le succès du dispositif est tel que le nombre de patientes a plus que doublé entre 2021 et 2022, avec 292 femmes accueillies les dix premiers mois de 2022, contre 162 sur toute l’année 2021. Il existe deux autres maisons des femmes de l’AP-HP, au sein des hôpitaux Bichat – Claude-Bernard et Hôtel-Dieu. Une quatrième structure ouvrira ses portes à l’hôpital Bicêtre dans le Val-de-Marne au premier semestre 2023.

Il y a eu MeToo qui est passé par là, les femmes se sont massivement exprimées sur les réseaux sociaux, et les autorités ont été obligées de suivre un minimum, emportées par cet élan de la parole enfin écoutée. Christine, de l’association Aurore, en est persuadée : « Il faut parler des violences, oser en parler. Je pense qu’il va y en avoir de plus en plus de maisons des femmes. »

* Les prénoms ont été modifiés

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