Si les conditions d’accès à la retraite devraient être modifiées par le projet de réforme présenté mardi 10 janvier par le gouvernement Borne, une chose est certaine : les retraités d’aujourd’hui sont mieux lotis que ceux des générations précédentes. Alors que ces derniers incarnaient la figure du « pauvre » dans les années 1970, ce sont plutôt les chômeurs et les femmes seules avec enfant qui sont les plus fragilisés actuellement.
Le niveau de vie de l’ensemble des Français n’a cessé d’augmenter depuis les années 1990. Et celui des retraités en particulier : cet indicateur, calculé par unité de consommation, augmente mécaniquement avec le départ des enfants, et répercute aussi la hausse des pensions, liée en partie à une augmentation de la qualification des travailleurs français depuis trente ans.
Reste qu’au sein de la catégorie des « retraités », les différences sont profondes d’une situation à l’autre. Un homme ayant eu une carrière complète dans le secteur tertiaire coulera des jours bien différents de ceux d’une ancienne femme de ménage qui s’est arrêtée à plusieurs reprises pour s’occuper de ses enfants. Genre, carrière, patrimoine… le point sur les sources d’inégalités les plus marquées.
Les femmes restent très désavantagées
Les inégalités de genre se répercutent jusqu’à la retraite, où les femmes touchent 40 % de moins que les hommes : en 2019, la pension moyenne brute pour les retraités vivant en France s’est élevée à 1 924 euros pour les hommes, contre 1 145 euros pour les femmes. Certes, avec l’augmentation de l’activité salariée et de la qualification des femmes, l’écart se resserre au fil des années (il était de 50 % il y a vingt ans), mais très lentement et sans garantie qu’il se résorbe mieux que l’écart des salaires (environ 20 %).
C’est dans le secteur privé que l’écart est le plus élevé (55 %), en raison des carrières fragmentées des femmes (en particulier pour les bas salaires), mais aussi, en haut de l’échelle, en raison des grands écarts de rémunération entre dirigeants et dirigeantes.
En outre, la pénibilité qui caractérise les métiers féminins est largement occultée, surtout dans des secteurs comme ceux du commerce et de la distribution, de l’entretien et des services à la personne, où les femmes occupent souvent des emplois précaires, rappelle le Conseil économique, social et environnemental :
« Dans ces emplois précaires, les intéressées sont le plus souvent confrontées à des conditions de travail préjudiciables à leur santé ainsi qu’à leur vie personnelle et familiale. Celles-ci ont également des répercussions inéluctables sur le niveau de leurs pensions de retraite, qui risquent de faire basculer dans la pauvreté une partie de la population féminine au grand âge. »
De fait, le taux de pauvreté des femmes retraitées est sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), et cet écart a tendance à se creuser depuis 2012, relève le rapport 2022 du Conseil d’orientation des retraites (COR).
Carrières incomplètes et incapacités
Les retraités ne sont pas égaux non plus en fonction du déroulement de leur carrière ou de leurs conditions de travail. Les carrières hachées par des arrêts ou des emplois à temps partiel – occupés à 80 % par des femmes – sont particulièrement pénalisées.
L’âge d’annulation de la décote (resté à 67 ans dans le projet dévoilé par le gouvernement), et l’allongement de la durée de cotisation à quarante-trois ans à horizon 2027 vont continuer de creuser l’écart entre les retraités ayant eu une carrière complète et les autres, en premier lieu les personnes ayant eu de longues périodes d’inactivité et les femmes. Elles sont environ 20 % – moitié moins chez les hommes – à attendre l’annulation automatique de la décote à 67 ans pour ouvrir leurs droits.
Parmi les plus pauvres de ces personnes à la vie professionnelle en pointillé, il ne sera même pas question de bénéficier du relèvement du minimum de pension à 1 200 euros par mois, puisqu’il est réservé aux carrières complètes. Or, dans la génération 1950, 44 % des femmes sont parties à la retraite avec une carrière incomplète, contre 32 % des hommes.
Quant aux conditions de travail, qu’elles entrent dans le cadre de la pénibilité définies par le gouvernement ou aux lisières de ce dernier, elles ont des conséquences sur la qualité de vie une fois à la retraite. Les ouvriers, employés et agriculteurs sont davantage touchés par des incapacités que les cadres. L’écart d’espérance de vie entre hommes ouvriers et cadre est de 6,4 ans.
Une retraite statistiquement moins longue pour les plus pauvres
C’est une évidence, mais des revenus élevés garantissent en général une meilleure retraite, à la fois en termes de montant de pension, mais aussi de durée. Une étude publiée en septembre 2022 par le doctorant en économie Ulysse Lojkine a comparé les risques de mortalité avant et après l’âge de départ à la retraite, en fonction des niveaux de vie (divisés en cinq tranches, ou quintiles).
Il montre que les quinquagénaires ayant les 40 % de plus petits revenus ont environ un risque sur trois d’avoir une retraite de moins de dix ans, et 15 % de risque de ne pas avoir de retraite du tout. L’auteur explique :
« Ces individus seront donc les premières victimes d’un décalage de l’âge légal de départ à la retraite, même en tenant compte d’un âge de départ à 62 ans pour les personnes ayant droit à une retraite anticipée : ils y perdraient parfois la possibilité d’atteindre l’âge du départ en retraite et, plus souvent, les “meilleures années” d’une retraite déjà bien plus courte que la moyenne. »
Autre source d’inégalité : le faible montant des petites retraites expose à un risque financier. Les plus pauvres sont davantage exposés à l’inflation puisque leur capacité à mobiliser une épargne est souvent réduite. Avec une flambée des prix touchant l’énergie et les dépenses de santé (qui pèsent davantage dans les dépenses des plus âgés que du reste de la population), les retraités modestes doivent se serrer la ceinture. En 2018, les 10 % de retraités les plus modestes disposaient en moyenne de 1 000 euros de patrimoine privé (immobilier et financier), contre près de 600 000 euros pour les 10 % les plus riches. Ils sont, par ailleurs, beaucoup plus endettés que les autres déciles.
Certes, une majorité de retraités français est propriétaire – ce qui fait dire à certains qu’ils sont assis sur un trésor de plus-values immobilières latentes –, mais plus d’un quart ne le sont pas.
Seuls les retraités qui disposent d’un patrimoine par accumulation durant leur vie professionnelle ou par héritage peuvent s’affranchir des réformes qui repoussent toujours plus l’âge de sortir du travail, expliquait dans une tribune l’économiste Philippe Askenazy. C’est ce qu’on observe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où les plus fortunés optent massivement pour des départs à la retraite bien avant l’âge légal.
Contribuer
Réutiliser ce contenu