Laurène Daycard : une journaliste face aux féminicides

Laurène Daycard - Marie Rouge/Seuil
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Laurène Daycard - Marie Rouge/Seuil
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Avec "Nos absentes" (Seuil), la journaliste Laurène Daycard nous livre le fruit de plusieurs d'années d'enquêtes sur les féminicides. Elle est notre invitée.

Laurène Daycard a enquêté sur le meurtre d’une femme par son mari. Puis, en 2018, elle a décidé de recenser toutes les femmes tuées en France par leurs conjoints. Puis, elle a décidé de comprendre pourquoi ce qu’on appelle des « violences faites aux femmes » sont en réalité des « violences masculines ». Puis, elle s’est posé la question de son propre père. Puis, de son propre rapport aux hommes.

L'origine de cette enquête

Elle a commencé à travailler sur les féminicides conjugaux en France en 2016 et la première affaire à laquelle elle s'est intéressée, c'est Géraldine Sohier, tuée par son ex-conjoint par arme à feu, alors qu'il y avait eu des signalements effectués par ses filles mineures à la gendarmerie peu avant.

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Cette dernière avait été tuée dans une bibliothèque publique, sous les yeux de sa fille. Les médias s'y sont intéressés. Laurène Daycard a voulu remonter l'historique de la violence et comprendre comment on en arrive là, comment un jour un homme prend son fusil, traverse des champs et en arrive à pointer l'arme et à tirer sur la femme qu'il était supposé aimer, devant sa petite fille.

Le traitement médiatique de ce féminicide a été problématique. Un article indiquait "que rien ne pouvait présager de ce meurtre" quand un autre utilisait pour illustrer les photos du mariage. Ce n'est pas un cas isolé. Laurène Daycard raconte que beaucoup de familles vivent mal le traitement médiatique, qui s'apparente à une forme de maltraitance. La journaliste, qui travaille sur le sujet depuis 2016, explique :  "C'est assez symptomatique du mécanisme des violences faites aux femmes dans le sens où ce qui est au cœur de la violence conjugale, c'est une sorte de déshumanisation de l'autre. Et très souvent, ça fait écho à un traitement – en-tout-cas, à l'époque, quand j'ai commencé à travailler sur le sujet – qui déshumanise les victimes et qui parfois même dans le pire des cas, va avoir une certaine empathie pour le meurtrier."

Nos Absentes, le livre dédié à ces femmes

Laurène Daycard a dédié ce livre, qui paraît au Seuil, aux absentes. À l'origine, il y a d'abord eu une longue enquête en 2018, où, un à un, Laurène Daycard a égrené chaque cas de femme assassinée par un conjoint ou par un ex-conjoint. Ça a donné lieu à une enquête dans Médiapart. Ça n'a pas été simple d'enquêter pour elle, car il y a celles qui ont été salies par le traitement médiatique, dont on a tordu la vie, et puis, il y a celles qui n'ont fait l'objet que de deux lignes. Elle a aussi rencontré les familles des victimes.

Les absentes, ce sont les héroïnes de son livre et les survivantes aussi, dont elle a voulu raconter l'histoire. Car il y a une forme de fascination collective pour la figure du bourreau et qu'il faut renverser aussi cette narration, rendre honneur à celles qui le méritent.

Ce n'est pas une histoire de classes sociales, comme elle le montre dans le livre. Il y a tout autant de violence chez les grands bourgeois, mais on en parle encore moins qu'ailleurs. Cela se règle plus dans les cabinets d'avocats. Laurène Daycard donne des exemples dans le livre : "Cette dame qui habitait dans une assez belle propriété. Quand son conjoint partait en voyage d'affaires, il coupait le gaz. Elle vivait dans une maison gelée et elle chauffait l'eau du bain pour les enfants avec la bouilloire. Et c'est ça aussi la violence conjugale. Et aussi quelque chose qui m'étonnera toujours, c'est à quel point ça passe beaucoup par la nourriture. Des scènes d'humiliation, en cuisine. Ou alors, par exemple, cette dame qui habite dans cette belle propriété et qui n'avait pas assez accès à des ressources financières et du coup, elle peinait pour se nourrir et nourrir aussi les enfants. Et c'est aussi ça la violence conjugale. Et comme souvent, ça se fait sans que l'entourage ne le sache."

Pour elle, ce ne sont pas des monstres, mais cela peut être des hommes de tous les profils : "Les monstres n'existent pas. Voilà. Et c'est important de le dire, parce qu'en fait, on renvoie souvent la violence conjugale à la figure de l'autre, que ce soit le pays étranger, le pauvre ou même le, entre guillemets, "cas social". Il y a quelque chose d'assez méprisant socialement ou culturellement, je pense, dans l'appréhension des violences conjugales, alors qu'en fait, c'est quelque chose qui traverse toutes les couches de la société. Il y a une pluralité des profils dans le livre."

🎧 L'émission est à écouter dans son intégralité...

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