À l'heure où l'on s'apprête à célébrer le centenaire de la révolution d'Octobre, la mode convoque plutôt en cette rentrée une Russie immémoriale, folklorique et traditionnelle. Une Russie d'antan, telle qu'exaltée notamment par les ballets russes de serge de Diaghilev ou par Yves Saint Laurent à travers sa collection couture présentée en juillet 1976, hommage à ces ballets iconiques. Bien loin des évocations post-soviétiques si applaudies ces derniers temps d'un Demna Gvasalia (directeur artistique de Balenciaga et de Vetements) ou d'un Gosha Rubchinskiy. Aucune sublimation ici d'un « paupérisme bloc de l'est », d'un certain kitsch communiste. Non, plutôt des références à un univers esthétique opulent, fait de couleurs chatoyantes (des rouges, des bleus, des verts, des moutarde, des orangés, des terracotta...), de velours nobles, de broderies ethniques évoquant les steppes d'Asie centrale (celles des confins de l'empire russe), de fourrures vraies ou fausses, d'imprimés joyeux, de tailles marquées comme celles des cosaques ceinturant leur chemise de bure... Bref, une mode féminine, dépaysante et hypnotique.

Cette fascination occidentale pour un monde slave esthétisé à l'extrême ne date pas d'hier. Au début du siècle, serge de Diaghilev, impresario et producteur de génie, crée en France sa troupe, baptisée les ballets russes. Il va fédérer autour de lui tout ce que la Russie de l'exil ou de l'avant-garde compte de talents fous pour proposer des spectacles totaux, où la danse (Vaslav Nijinski est son étoile), la peinture et les arts déco (costumes et décors du génial Léon Bakst, de Natalia Gontcharova, mais aussi de Picasso, Cocteau ou Matisse...), la musique (Stravinsky, Rimskikorsakov...) s'entremêlent. Entre 1909 et 1929, se produisant au théâtre du Châtelet ou à l'Opéra de Paris, ces ballets vont marquer la scène artistique française (« Le sacre du printemps » ou « L'oiseau de feu » feront date). Mais aussi la mode, qui s'entiche de ces nouveaux codes « exotiques ». Jeanne Paquin, Paul Poiret ou Gabrielle Chanel s'inspirent de ces costumes sidérants qui, paradoxalement, incarnent la modernité.

Aucune sublimation ici d'un « paupérisme bloc de l'est », d'un certain kitsch communiste.

Les Russes tiennent Paris, font rêver Paris, et lui donnent donc des couleurs ardentes qui préfigurent les années folles. Yves Saint Laurent, bien des années plus tard, ressuscitera ce fantasme, lui qui disait vouloir rendre hommage « à toutes les Russie imaginaires et réelles dont les cultures et les peuples [l]'ont toujours séduit, toujours fasciné, à ces ballets [...] tant aimés* ». Daté ? Suranné ? Pas si l'on sait que la chanteuse Grimes - ultra branchée - cite Léon Bakst comme son illustrateur préféré. Ou que la créatrice Olympia Le-Tan en a fait l'une de ses références. En 2017, rien de désuet, donc, à insuffler de ce folk slave dans nos garde-robes... Si on le distille finement. Évidemment, il ne s'agit pas de se déguiser en matriochka ou en Anna Karenine, mais le répertoire est assez vaste pour que chacune puisse y puiser de quoi donner un souffle neuf à son allure. Réchauffer des mises un peu trop minimalistes, donner une profondeur à un jean banal, tenter des mix de couleurs et de matières. L'audace de l'avant-garde, voilà une partie de l'héritage des ballets russes. Une antienne qui pourrait faire office de vade-mecum à cette saison de mode 2017.

* Interview donnée au « Figaro » le 7 septembre 1991.