Société

Un couple transgenre du Cher donne naissance à un enfant, une première en France

Un couple transgenre du Cher donne naissance à un enfant, une première en France
Victoire et Mattéo ont donné naissance à une petite fille. © Pierrick DELOBELLE
L’hôpital Jacques-Cœur de Bourges a accueilli, le mois dernier, une naissance particulière. En effet, c’est le papa, né femme, qui a accouché de l’enfant qu’il a conçu avec sa compagne, née homme, et qu’il a porté durant neuf mois. Vous suivez ? La loi a un peu de mal. L’état civil aussi. Voici l’histoire pas banale de Victoire, homme devenu femme, et Mattéo, femme devenue homme. Devenus parents. Une première en France.

Pour l’état civil comme pour la sécurité sociale, Mattéo est un homme. C’est pourtant lui qui a vu son ventre s’arrondir, mois après mois, et qui a finalement accouché à la maternité du centre hospitalier Jacques-Cœur. Tout naturellement. Victoire, sa compagne, homme à la naissance, désormais femme pour l’état-civil et la Sécurité sociale, était à ses côtés pour voir naître leur fille, arrivée juste quatre jours avant la date. Avec ses 3,640 kg et ses 50 cm, le bébé va bien. Son papa aussi.
"Le personnel hospitalier a été vraiment très bien", tient à souligner Mattéo.

Le couple exprime d’ailleurs sa satisfaction sur la page Facebook de l’hôpital Jacques-Cœur, de Bourges, où on le voit poser avec les soignants. Un article a aussi été réalisé, pour le journal interne. Le docteur Julien Cirier, chef du service de gynécologie-obstétrique et du pôle femme, mère, enfant de l’établissement hospitalier, y précise que tout a été mis en œuvre "pour se rapprocher le plus possible d’une situation classique. Il n’y avait pas de raison de faire une prise en charge différente. L’équipe a fait comme d’habitude".

"Il n’y a eu aucun geste déplacé, aucun mot déplacé. Seulement des questions gentilles et sincères", apprécie Victoire. "La satisfaction qu’ils expriment est ce qui nous rend le plus fiers, et qui a le plus touché les équipes", commente le service communication de l’hôpital. "Et cela confirme bien qu’en tant qu’établissement public, nous prenons en charge tout le monde, sans préjugé !"

Un tout petit mois après la naissance, Mattéo et Victoire s’installent dans une nouvelle routine. Dans le salon, une poussette est garée à côté du panier du chien. Sur le canapé, un chat somnole. Le bébé aussi, tranquille dans les bras de son père. "Elle est sage", s’attendrit Victoire, sa compagne. Si elle savait qu’elle l’aimerait, après l’avoir tant désirée, elle avoue qu’elle ne s’attendait pas "à paniquer autant". "Tu tremblais à l’idée de la toucher, sourit Mattéo. Tu n’osais pas." Lui s’avoue tout simplement heureux, même si tout n’est pas réglé côté papiers. Ils se sont promis qu’ils diront à leur fille, quand elle aura l’âge, pourquoi sa naissance a été pour eux comme un petit miracle.

Pour elle, pendant trois ans, ils ont suspendu leur vie. Suspendu leurs traitements hormonaux. Victoire a temporairement renoncé aux interventions chirurgicales qu’elle peut désormais programmer pour achever sa transition. Et Mattéo s’est engagé dans un parcours gynécologique "dur physiquement et psychologiquement". Il leur a fallu trois ans pour fonder leur famille et donner le jour à cette petite fille qui sera leur unique enfant. C’était leur rêve à tous les deux.

"Je ne me sentais pas à ma place en tant que femme"

Ils en témoignent aujourd’hui à visage découvert pour aider d’autres personnes. Montrer que c’est possible. Mattéo confie qu’il a toujours "ressenti un mal-être. Ma mère m’a soutenu, elle m’a emmené voir des psychiatres". C’est à l’adolescence que les choses se sont mises en place, qu’il a compris ce qui n’allait pas… En parler à sa famille a pris un peu de temps.  "À 18 ans, je leur ai dit que j’aimais les femmes. À 23 ans, je leur ai révélé ma transidentité, et à 24 ans, j’ai entamé ma transition. J’ai suivi le parcours officiel, avec un suivi psychiatrique obligatoire. J’avais besoin de savoir, de comprendre. Mon chirurgien, mon endocrinologue et mon psychiatre travaillent ensemble." Très fusionnel avec sa mère, témoin des souffrances qu’elle a subies à cause des hommes, il pense que ce traumatisme d’enfant l’a conduit à vouloir devenir un homme pour la protéger. "Je ne me sentais pas à ma place en tant que femme."

Victoire, elle, a su "dès la naissance", lance-t-elle avec un brin de défi dans la voix. "Quand j’avais deux ou trois ans, ma famille pensait que j’allais devenir gay !" Ses parents n’avaient pas imaginé qu’elle deviendrait une femme, et ne l’ont pas accepté. "Dès le primaire, je me suis rendu compte qu’un truc n’allait pas, poursuit-elle. À l’adolescence, j’ai demandé à voir un psy, mais mes parents n’ont pas voulu." C’est à l’âge de 16 ans qu’elle a découvert la notion de transidentité, à travers les vidéos postées par une personne transgenre "à laquelle je me suis identifiée. À 18 ans, j’ai entamé ma transition totale, en passant par le parcours dit non officiel". Elle avait commencé son traitement hormonal lorsqu’elle a rencontré Mattéo, grâce à la sœur de ce dernier, avec qui elle s’était liée d’amitié. "Il faisait le même parcours que moi, mais dans l’autre sens, explique Victoire. Elle s’est dit qu’il pourrait m’aider et elle nous a présentés." L’amour a fait le reste.

L'hôpital Jacques-Cœur de Bourges propose désormais une salle pour accoucher naturellement

Pour concrétiser leur désir d’enfant, ils ont envisagé "de recourir à la PMA (procréation médicalement assistée). Nous avons pris rendez-vous dans une clinique. Finalement, ils nous ont refusés en nous disant qu’ils ne pouvaient pas mettre un homme enceint. Cinq heures de route aller-retour pour rien !", s’indigne Victoire.

C’est que, pour les personnes transgenres, la loi a du mal à évoluer. L’obligation d’être stérilisé pour pouvoir changer d’indication de sexe sur son état-civil a été abandonnée en 2016. Ensuite ? C’est le vide juridique (lire ci-dessous). Être un homme, porter un enfant et le mettre au monde, c’est possible. Pour le reste, il faut s’accrocher. "Ça bloque tous les logiciels. La mutuelle, la Sécu, la Caf…", résume Mattéo, tout en regrettant qu’on ne lui ait pas accordé un congé de maternité mais de… paternité ! Même si, pour le coup, son état civil est respecté. Mais prendre en charge un homme enceint, c’est une autre affaire. "Le dossier est toujours bloqué à la Sécu. Dès le début de ma grossesse, tout a été bloqué."

Pour Victoire et lui, la situation est d’autant plus complexe qu’ils sont tous les deux transgenres. Un cas unique en France.

Filiation, un grand vide juridique

Transgenres tous les deux, Victoire et Mattéo ont procédé à la modification de leur état civil avant de devenir parents. En ce qui les concerne, tout est clair aujourd’hui. C’est pour leur fille que le combat va continuer. "Nous avons lancé les démarches en juin pour l’état-civil, rapporte Victoire. Notre avocate a informé le procureur, qui a renvoyé vers la Chancellerie… "

Finalement, l’établissement de l’acte de naissance s’est plutôt bien passé. "Je suis allée à la mairie de Bourges le lendemain de la naissance, poursuit Victoire. Les employés de l’état civil ont été très compréhensifs ! Sur l’extrait d’acte de naissance, il est indiqué simplement que notre fille est née de Mattéo et moi. Une annotation concernant le changement de sexe est portée sur son acte de naissance intégral, mais j’ai demandé qu’il soit bloqué et que l’on ne puisse plus jamais le consulter. Je garde juste une copie pour le montrer à ma fille."

Aucun précédent en France

La réception, quelques jours plus tard, du livret de famille a douché l’optimisme des jeunes parents, car Mattéo y est mentionné comme "mère", ce qu’aucun des deux ne peut accepter. Parce que ce n’est pas leur identité, et que cela ne leur correspond pas.

Le problème est qu’il n’y a aucun précédent en France de filiation de parents transgenres. Il va falloir innover, trouver un moyen, convaincre, et cela signifie sans doute beaucoup de démarches.

Autant dire que leur avocate a beaucoup de pain sur la planche !  

De quoi parle-t-on ?

Transidentité

Définition. La transidentité désigne une personne qui s’identifie à un genre qui n’est pas celui qui lui avait été assigné à la naissance. En 2010, la France a retiré "le transsexualisme" et les "troubles précoces de l’identité de genre" de la liste des affections psychiatriques. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a retiré la transidentité de la catégorie des troubles mentaux.

Transition

Genre. La transition de genre est un ensemble de processus visant à modifier l’apparence d’une personne pour la faire correspondre avec son identité de genre. Ce processus peut impliquer des traitements hormonaux et de la chirurgie, mais ce n’est pas obligatoire. La transition passe aussi par la modification de la mention du sexe à l’état civil. Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle "toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre, par une réunion suffisante de faits, que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification." Et elle précise que "le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande". Ce qui n’était pas le cas auparavant.

Paternité/maternité

Filiation. C’est là que le bât blesse. La reconnaissance officielle de la maternité ou de la paternité, en accord avec son identité de genre, dépend des tribunaux qui, sans législation ni jurisprudence, tranchent au cas par cas.
Ainsi, il a fallu huit ans de bataille judiciaire pour qu’une femme transgenre ayant conservé ses attributs masculins soit déclarée judiciairement comme la mère de l’enfant qu’elle avait eu avec son épouse, par un arrêt du 9 février 2022 de la cour d’appel de renvoi de Toulouse.

Précédents

Rare mais pas unique. Aussi exceptionnelle semble-t-elle, la naissance d’un enfant porté par un homme n’est pas la première dans le monde, ni en France. Aux États-Unis, Thomas Beatie a donné naissance à une petite fille en 2008 et a porté encore deux autres enfants, nés en 2009 et 2010. En 2017, un autre homme transgenre américain, Trystan Reese, en couple avec un homme, a donné naissance à un enfant grâce à une insémination artificielle.
C’est en 2019 que le premier Français reconnu homme à l’état civil a donné naissance à un enfant. Il y aurait eu depuis trois autres pères transgenres.

Bioéthique

Pas de PMA. Depuis juin 2021, les couples de femmes ayant recours à la PMA avec donneur peuvent faire établir la filiation de la mère n’ayant pas accouché, par le biais d’une reconnaissance anticipée devant notaire. Les personnes transgenres, qui figuraient à l’origine dans le texte, en ont été retirées.

 

Martine Pesez


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6 commentaires

Berruyère2014 a posté le 08 avril 2023 à 17h19

Un enfant n'a besoin que d'Amour et de bons soins pour être épanoui et équilibré. Je souhaite une très belle et longue vie à la petite Avah auprès de ses parents. Well done !!!

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beud18 a posté le 26 mars 2023 à 21h09

N'importe quoi..... Tout par en vrille dans cette époque. Je pense surtout a l'enfant quand ils iront la chercher à l'école. Surtout qu'entre enfants n'y a pas de moquerie ni de harcèlement c'est bien connue....

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