Harcèlement dans les transports : comment des femmes tentent de se protéger avec une « chemise de métro »

Avec l’arrivée des beaux jours, de nombreuses femmes conseillent d’adopter la technique du « subway shirt » pour éviter les remarques sexistes ou les agressions dans le métro : porter une chemise ample par-dessus sa tenue.

    Une chemise pour faire face à un agresseur. Depuis plusieurs semaines, des vidéos TikTok accompagnées du hashtag #SubwayShirt - que l’on peut traduire par « chemise de métro » - accumulent des millions de vues. Dans celles-ci, des jeunes femmes recommandent de porter un vêtement assez ample pour « camoufler » leur tenue, plus légère, lorsqu’elles prennent le métro. Cette technique leur éviterait d’attirer les regards déplacés, les remarques sexistes, voire les tentatives de harcèlement ou d’agression, dont elles sont régulièrement victimes.

    Ce mot-dièse est actuellement viral aux États-Unis où le mercure commence à grimper, allégeant les tenues. « Il fait 30 degrés à New York, donc les filles n’oubliez pas votre chemise de métro », préconise par exemple cette TikTokeuse américaine. « La saison des chemises de métro est ouverte. Soyez prudentes les filles », écrit une autre jeune new-yorkaise, tout en recouvrant sa robe décolletée et transparente par un long t-shirt. Ce vêtement de « camouflage » n’est utilisé que le temps du trajet, comme l’illustre la créatrice de contenu Rae Hersey dans une de ses vidéos : « Quand tu arrives à destination tu peux retirer ta chemise de métro. »

    @rae.hersey

    Just know if you see me in a white button down, the real fit is underneath 💅🏼 #subwayshirt #nyc

    ♬ Applesauce - Mark Fabian & Alexander Smith & George King & RK Masters

    Ne pas attirer l’attention

    Cette stratégie n’est néanmoins pas nouvelle et propre aux États-Unis. « Je ne savais pas que tout le monde faisait ça aussi, c’est un énorme problème à Londres », a récemment fait remarquer l’influenceuse Sophie Milner sur ses réseaux sociaux. Le sentiment d’insécurité dans les transports en commun, voire dans l’espace public en général, l’a souvent poussée à modifier sa manière de s’habiller : « Il y a tellement de tenues que je n’ai jamais portées, simplement parce que je savais que les gens me mettraient mal à l’aise si je les portais, que ce soit par des remarques ou des regards. »

    La France ne fait pas exception. En 2016 déjà, selon une étude de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), 48 % des femmes interrogées reconnaissaient adapter leur tenue vestimentaire pour se déplacer. Un pantalon à la place d’une jupe d’été, un foulard ou un gros pull pour planquer son décolleté… Sept ans plus tard, elles sont toujours nombreuses à adopter ces réflexes, quelle que soit la saison.



    « Je ne sors jamais sans une grosse veste, même l’été quand il fait très chaud », assure au Parisien Joséphine, 24 ans. Aujourd’hui à Paris, la jeune femme a grandi à Montpellier et confie s’être toujours comportée de cette manière : « Ça me permet de cacher mes formes et d’avoir l’impression d’être un peu plus protégée. » Même son de cloche du côté de Catherine, 30 ans. Pour être « plus transparente », cette Parisienne « évite » de porter une jupe ou une robe quand elle prend le métro, ou alors elle la cache avec « un gros pull ou une veste ».

    Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes il y a quelques années : « J’ai changé la façon de m’habiller à partir du moment où j’ai commencé à avoir des remarques et à être agressée. » À 15 ans, la jeune femme se souvient avoir été bloquée dans une rame de métro par un homme qui la collait. « J’avais une robe pull et à ce moment-là je me suis demandé pourquoi je m’étais habillée comme ça. » C’est aussi après une agression que la youtubeuse française Shera a développé ces « automatismes ». Il y a 10 jours, elle a publié son « outfit pour ne pas se faire agresser dans les transports » sur ses réseaux sociaux : une veste noire très longue.

    « Seulement des parades »

    Mais un vêtement peut-il vraiment protéger des agressions ? « Cette technique ne marche malheureusement pas », déplore Léa Bages, directrice du cabinet de conseil et de formation « Égalité à la page », spécialisé dans le traitement et la prévention des violences sexistes et sexuelles. « Le vêtement n’est jamais responsable ou à l’origine de l’agression, mais c’est celui ou celle qui agresse qui l’est. » Selon elle, les stratégies d’évitement que les femmes développent quand elles se sentent en insécurité ont « toujours existé. Mais ce sont seulement des parades. Elles peuvent avoir le sentiment que ça les rassure mais une chemise ou un t-shirt ample n’empêche pas les regards ni les agressions potentielles. »

    La créatrice de contenu Fiona Ylin, 209 000 abonnés sur TikTok, en a fait les frais. « Je crois que cette technique ne marche plus. J’ai porté ma veste de métro aujourd’hui et, en moins d’une heure dehors, j’ai été interpellée trois fois », s’agace-t-elle dans une vidéo publiée mardi.

    Pour Léa Bages, la tendance du « subway shirt » vient traduire une réalité malheureusement encore d’actualité : « C’est quand même dommage qu’en 2023, après MeToo et autant de périodes de libération de la parole et de prises de conscience, les femmes continuent de cacher leur corps et de modifier leur apparence de façon à être plus invisibles dans l’espace public parce qu’elles ne se sentent toujours pas en sécurité. » La seule réponse pour lutter contre le harcèlement de rue, les violences sexistes et sexuelles, juge-t-elle, « c’est la prévention et la qualité de la réponse pénale qui, aujourd’hui, est dérisoire ».