Grand format À Bordeaux, des femmes confient l'horreur du harcèlement de rue : "Il m'a suivie jusqu'au parking"

Une cinquantaine de femmes ont souhaité répondre à l'appel à témoignages sur le harcèlement de rue à Bordeaux. Le phénomène concerne 80% des femmes, selon une enquête.

À Bordeaux, de nombreuses femmes déclarent avoir déjà vécu du harcèlement de rue.
À Bordeaux, de nombreuses femmes déclarent avoir déjà vécu du harcèlement de rue. (©Actu.fr / Damien Renoulet)

Elles s’appellent Anne, Mathilde ou Valentine. Le soir dans les rues de Bordeaux, elles rentrent chez elles la peur au ventre. La journée, comme de nombreuses femmes, elles se confrontent à des horreurs : aux regards insistants, aux mains aux fesses et aux insultes. Cinq ans après le mouvement #MeToo, en octobre 2023, difficile de noter des améliorations.

« Un groupe de trois hommes arrive à ma hauteur », décrit Anne, 32 ans. Il est une heure du matin à côté de la place Tourny, ce quartier chic de Bordeaux. En ce mois d’octobre, la nuit tombe vite. « On peut parler ? Tu es jolie », lui lâche l’un des hommes. Anne ne répond pas, elle avance sur le cours Georges Clemenceau pour les semer. « Ils me lançaient des regards par-dessus l’épaule, j’avais peur », confie-t-elle.

8 femmes sur 10

Comme Anne, plus d’une cinquantaine de femmes ont répondu à un appel à témoignages, initié par actu Bordeaux. Cette multitude de prises de parole confirment l’ampleur du harcèlement de rue.

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Selon quatre enquêtes, réalisées par trois sociologues entre 2015 et 2019, 80% des femmes dans la capitale girondine en ont été victimes. « Je ne nomme jamais le harcèlement, je parle de faits car la frontière pour chacune est subjective », précise Johanna Dagorn, sociologue et autrice de nombreux ouvrages à ce sujet. Par exemple, 5% des 10 000 femmes interrogées déclarent s’être fait « caresser les cheveux » à leur insu, d’autres entendent des phrases déplacées, jusqu’aux agressions sexuelles

« Je n’attends plus le tramway seule le soir », tranche Valentine, 29 ans. La nuit, à porte de Bourgogne, la jeune femme redoute les « groupes de mecs alcoolisés », ces hommes qui errent sans but. « Une fois, un mec m’a suivie », écrit-elle. Les faits se sont déroulés en pleine journée au mois d’octobre, alors qu’elle souhaitait regagner sa voiture garée au parking du Palais Gallien. « Ça ne sert à rien de porter plainte, sinon je devrais le faire tous les jours », dit-elle.

En majorité des étudiantes en milieu urbain

En majorité, le harcèlement de rue concerne les étudiantes dans des milieux urbains, comme à Bordeaux. « Dans les campagnes, la femme qui sort dans la rue est identifiée comme la sœur, la cousine alors qu’en ville, le corps est anonyme », détaille la sociologue, Johanna Dagorn.

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 À Bordeaux justement, Stop Harcèlement de rue avait pour objectif de sensibiliser le public, de repérer et de lutter contre le phénomène. Or depuis un an, l’association est inactive. Même le « guide pour survivre » à l’agression de rue n’est plus disponible.

Dans l’enquête, 80% des femmes disent donc avoir vécu du harcèlement. Mais la sociologue va plus loin. « Le questionnaire demandait dans les douze derniers mois, reprend-elle. Or, je crois que l’on peut dire que 100% des femmes en sont victimes au moins une fois dans leur vie. »

« Bande de grosses putes, avancez », insulte un homme d’une trentaine d’années à trottinette électrique, à Mathilde, 25 ans. « Il s’arrête et reste à côté de nous », ajoute-t-elle, encore choquée. Devant un bar, sur les quais, personne ne réagit. Il est 22 heures, début septembre. La copine de la jeune femme panique et tente de s’échapper en vélo, suivie par le harceleur. « Je ne peux rien faire, je me sentais impuissante », reprend Mathilde. Après cinq minutes de course-poursuite, l’individu s’échappe enfin. « J’étais juste terrifiée. »

L’effet #MeToo

Alors, le harcèlement de rue augmente-t-il à Bordeaux ? Non, pour la sociologue. « En revanche, aujourd’hui, les femmes prennent la parole, la société est prête à les écouter. » Le mouvement social #MeToo, initié en octobre 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, a permis aux victimes de s’exprimer.

« En 2015, avant MeToo, lorsque nous lançons l’enquête, rapidement 5 000 femmes répondent à notre questionnaire, expose Johanna Dagorn. On s’est rendu compte qu’il y avait un vrai sujet. » Quand on leur donne la parole, les femmes parlent.

Autrement dit, « ce n’est pas la parole qui s’est libérée mais plutôt les oreilles qui sont devenues plus attentives » à cette souffrance, disait justement Maïa Mazaurette autrice et chroniqueuse sur les sujets féministes.

« Une fois, un mec a bloqué ma porte d’entrée alors que je la refermais », explique une internaute qui souhaite rester anonyme. L’acte se passe en pleine journée, dans le quartier Saint-Michel au mois d’octobre. « J’ai hurlé de toutes mes forces pour qu’il s’en aille, mes jambes tremblaient », décrit-elle. L’assaillant est reparti. La jeune femme de 22 ans s’est effondrée sur le pas de sa porte. 

Le « terrorisme sexuel »

Déjà, en 1968, Monique Wittig parlait dans les carnets du Mouvement de libération des femmes (MLF), de « terrorisme sexuel ». « À l’époque, les femmes en discutent déjà entre elles, et ce qu’on lit, est très clair », spécifie Johanna Dagorn. Interpellations dans la rue, attouchements sexuels, harcèlement… Tous les faits y sont décrits, sauf qu’à ce moment-là, personne ne les écoute

Dans leur enquête d’ailleurs, les trois sociologues ne parlent pas de sentiment d’insécurité mais de la « peur du viol ». Qu’importe l’éducation féministe, c’est cette peur de subir ce crime qui cadenasse. « Tous les hommes n’agissent pas comme ça, nuance-t-elle. 10% des hommes harcèlent 100% des femmes. »

« J’avais bu, raconte Audrey. C’était tard le soir. » Devant un bar sur la place Saint-Pierre, un homme plutôt « gentil » la prend par le bras. Elle ne le connaît pas. « Très vite il s’est mis à toucher mes seins. » Des amies, en regardent cette scène, repoussent l’homme violemment. L’homme s’enfuit. « J’ai commencé à pleurer, je me suis sentie sale », dit-elle. Pas de suite, pas de plainte, comme pour la majorité des cas.

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