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Les femmes restent exclues de la politique

En Mayenne, une suppléante au candidat au Sénat a été refusée par la commission électorale parce qu’elle était « suppléante » et non « suppléant » ! Derrière cette anecdote absurde se révèle une vie politique toujours dominée par l’imaginaire et le pouvoir masculins.

Sandra Regol est porte-parole d’EELV (Europe Écologie Les Verts). Charlotte Soulary est responsable de la commission féminisme d’EELV.


Début septembre, la commission électorale de Mayenne a invalidé le bulletin du tandem écologiste Claude Gourvil - Sophie Leterrier, candidat•e•s aux élections sénatoriales. Pourquoi ? À cause de l’emploi du féminin de suppléant, pour qualifier la candidature de Sophie Leterrier, à savoir « suppléante ». La commission a justifié son choix par l’application stricte des dispositions de l’article 155 du Code électoral dans lequel seul le masculin est indiqué. Une situation ubuesque qui interroge sur le traitement des femmes en politique.

Le Code électoral n’inclut effectivement pas la version féminine de suppléant. Pour autant, les commissions électorales prennent généralement en compte le fait qu’un suppléant puisse être une femme.

Cette anecdote mayennaise n’est pas anodine. Outre le fait qu’elle met en difficulté un candidat et sa suppléante dont les bulletins de vote sont invalidés, cette décision en dit beaucoup sur le rapport de la France au pouvoir lorsque celui-ci se décline au féminin.

Sur ce point, les chiffres sont parlants. Qu’il s’agisse du monde de l’entreprise, du monde associatif, de la fonction publique, des syndicats ou de la politique, le balancier des personnes à responsabilités penche toujours du même côté : le masculin. Et plus on monte dans les échelons, plus le nombre de femmes diminue. Selon un rapport de l’ONU de 2017, seules 16 femmes sont présidentes ou premières ministres dans le monde, sur 193 pays décomptés. Soit 8,3 % de femmes à la tête d’un pays dans le monde, quand les femmes représentant 52 % de la population mondiale. L’Europe, avec 9 femmes sur 48 pays, occupe le haut du tableau. Pourtant en France, une seule femme a pu accéder au poste de première ministre et le poste présidentiel est toujours resté, au fil des républiques, 100 % masculin.

Le langage, un reflet de la société

Depuis le XVIIe siècle, la langue française impose le masculin comme seule référence. Et malgré les combats des femmes, force est de constater que la résistance au changement, dans les sphères de pouvoir, perdure encore au XXIe. Les règles linguistiques ne sont que le reflet de la société.

Alors que nous dit de la société française cette affaire de la préfecture de Mayenne ? Que le pouvoir est masculin et que certain•es continuent à refuser de le voir se décliner autrement, sur la forme (langage) comme sur le fond. L’invisibilisation des femmes dans le masculin pluriel et l’utilisation du masculin pour les fonctions est le pendant dans notre langage de la difficulté des femmes à s’imposer en politique et dans les sphères dites masculines.

On pense aux affaires qui émaillent régulièrement la vie politique, dès que l’entre-soi masculin est perturbé : de la robe à fleurs de Cécile Duflot, sifflée à l’assemblée parce que portant des habits « trop féminins » pour incarner son poste de ministre, aux témoignages anonymes publiés sur le site Chair collaboratrice, le sexisme est une réalité en politique, comme dans toutes les sphères de la société. Il a pour conséquence d’en exclure les femmes en leur rappelant sans cesse qu’elles n’y sont pas vraiment à leur place.

En juillet 2012, Cécile Duflot, alors ministre, était sifflée à l’Assemblée nationale par les députés de l’UMP lors d’une séance de questions au gouvernement. Le 1er décembre 2016, la robe a fait son entrée au Musée des arts décoratifs pour l’exposition « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale ».

Exclusion symbolique des femmes par le langage, exclusion par la pratique également. La difficulté à faire respecter en France la loi sur la parité est à cet égard exemplaire : malgré la loi et malgré les sanctions, il est toujours aussi fréquent en France de voir des partis politiques préférer payer des amendes plutôt que présenter autant de femmes que d’hommes à des élections. De même, il est habituel de voir des partis politiques présenter des femmes dans des circonscriptions perdues d’avance ou à des postes non éligibles. Ou, comme c’est le cas lors des prochaines sénatoriales, de placer davantage d’hommes têtes de listes.

Europe Écologie Les Verts est le seul parti qui présente, à chaque élection, des listes paritaires, y compris au niveau des têtes de listes et qui pratique, en outre, la parité de résultats en s’assurant que le nombre d’élu•e•s en définitive soit lui aussi paritaire comme en témoignaient les groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Adapter notre Code électoral… et notre pratique

Il est grand temps que le Code électoral s’adapte au XXIe siècle, plus de 70 ans après le droit de vote et d’éligibilité des femmes. Adaptons les droits — le droit — à la pratique et faisons évoluer notre langage ! Mais, surtout, adaptons enfin notre vie politique au XXIe siècle, en renforçant les pénalités exigées des partis politiques ne respectant pas la parité, jusqu’à un arrêt total de leurs financements publics et en sanctionnant véritablement le harcèlement sexuel et les agissements sexistes pratiqués par les élus.

Dans la patrie des droit de l’« homme », le « neutre masculin » n’a rien de neutre, il est excluant.

Pourtant les discours sur la nécessaire lutte pour l’égalité se succèdent. Mais dans les faits l’invisibilisation des violences faites aux femmes, les discriminations salariales ou à l’embauche, le traitement à deux vitesses, sont le quotidien des femmes françaises.

En 2017, aucun programme ou aucune politique publique ne peut être pensée sans avoir comme préoccupation transversale l’égalité et prévoir financement et indicateurs pour le suivi. Macron avait déclaré l’égalité femmes-hommes priorité nationale, il est temps que le candidat devenu président passe du marketing électoral aux actes.

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