Depressed  poor child sitting on stairs. The boy is crying and hiding his face in hands.
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"Il n'est pas rare d'observer une transmission générationnelle de la violence", note la psychologue Azucena Chavez. (Photo d'illustration)

Getty Images/Imgorthand

"Loïc* a eu des troubles du sommeil jusqu'à 5 ans. Il avait toujours besoin qu'un adulte reste avec lui. Cinq ans plus tard, il est encore très angoissé et fait régulièrement des crises de colère", s'inquiète Marine*, séparée du père de son enfant depuis 6 ans.

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Comme de nombreuses victimes de violence conjugale, Marine constate que le comportement de son ancien compagnon a aujourd'hui des conséquences sur son fils. Car, même s'il n'en est pas la cible directe, la violence conjugale est une forme de maltraitance pour l'enfant. Colère, violence, repli sur soi, mutisme, les séquelles peuvent être nombreuses et graves pour leur développement. Pires, elles peuvent avoir des répercussions sur les adultes qu'ils deviendront.

"Papa, papa, gentil"

"Ses crises se passent de plus en plus souvent en présence du petit. Il voit son père me crier dessus, m'humilier", raconte Juliette*, en couple depuis cinq ans. Son conjoint n'a jamais manifesté de violence à l'égard de leur fils. Pourtant, du haut de ses 2 ans, Julien* perçoit l'atmosphère de tension. "La violence conjugale n'est pas un conflit parental ponctuel et isolé, mais un processus relationnel qui créé un climat menaçant pour l'enfant", explique Azucena Chavez, psychologue spécialisée dans l'enfant et l'adolescent à l'Institut de Victimologie. "L'enfant est co-victime de la violence conjugale, donc soumis au climat de terreur, même si le parent agresseur dit l'aimer."

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Lorsque son père se met en colère, il hurle "papa, papa, gentil". "Lorsque les portes se ferment brutalement, même à cause d'un courant d'air, il dit: 'oh papa...'" décrit la mère de famille. Julien guette sans cesse ses réactions. Il demande parfois si "papa est gentil". Ses deux filles, adolescentes nées d'une précédente union, ont pour leur part décidé d'adopter des "stratégies d'évitement". "Lorsqu'il devient violent, elles s'enferment dans leur chambre et cessent de répondre à nos sollicitations."

Pas de symptôme propre

"L'imprévisibilité de la violence, l'incongruence éducative ainsi que l'absence de limites structurantes sont des facteurs extrêmement nocifs pour un sujet en développement", note Azucena Chavez. "Il n'existe pas un symptôme propre. Car la manifestation clinique du trouble traumatique dépend de l'âge de l'enfant, de la chronicité, de la précocité de la violence et de la protection que le parent victime offre à son enfant."

Face à la colère de leur père, les enfants de Camille*, également ciblés par les insultes, ont effectivement différentes réactions: "La grande s'isole, la moyenne crie qu'elle n'est pas d'accord et le petit court jusqu'à moi", raconte la maman, dont la fille, sujette à angoisses de mort la nuit, mouillait encore son lit à 8 ans.

Chez le fils de Juliette, le traumatisme se matérialise d'une autre façon. "Il refuse catégoriquement de manger à la table où son père s'est énervé. Il fait également des crises de colère déraisonnées, comme s'il avait besoin de crier pour extérioriser", observe-t-elle. Pour la spécialiste, "les signes de détresse tels que les cauchemars, le repli sur soi ou des passages à l'acte violents sont le reflet d'une blessure traumatique profonde".

Un "conflit de loyauté"

Et pour cause: tiraillés entre leurs parents, les enfants ont parfois un cruel dilemme: "Il y a le désir d'aider le parent effondré et le besoin de 'plaire' à l'agresseur pour l'adoucir et ainsi éviter sa violence", analyse la clinicienne. Une situation qui a poussé Loïc, le fils de Marine, dans un "conflit de loyauté": "Il me frappait, me lançait des objets, me parlait très mal. Il m'obligeait à être très dure...".

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Elle décide de quitter son compagnon violent, mais la situation avec son fils ne s'arrange pas. Lorsque son ex demande au petit qui est le plus agressif des deux parents, il la désigne. "Malgré la séparation, il était toujours très en colère contre moi, allant jusqu'à l'agressivité physique." Selon la psychologue, le parent violent peut effectivement "chercher à faire alliance avec son enfant" afin "de mieux attaquer le rôle d'autorité du parent victime." "Je me sentais complètement impuissance", confirme Marine, qui craint pour l'avenir de son fils.

Une transmission générationnelle de la violence

Le risque de reproduction des modèles parentaux existe bel et bien, selon Azucena Chavez. "Quand Loïc est en crise, son comportement ressemble de façon troublante à celui de son père: sa violence verbale, sa façon de ne jamais reconnaître ses torts, de faire culpabiliser, de faire du chantage", décrit Marine. "Il n'est pas rare d'observer une transmission générationnelle de la violence où l'impuissance des jeunes victimes évolue en jouissance tyrannique à l'âge adulte", souligne la spécialiste. Marine s'inquiète justement que Loïc ne devienne à son tour un homme violent, incapable de se libérer de ce modèle relationnel, "de cette façon toxique d'aimer".

Témoin de la violence, l'enfant devenu adulte peut s'identifier à l'agresseur par processus psychique. "Il intériorise la violence d'une des figures signifiantes et rejoue des scénarios traumatiques afin de trouver la limite bienveillante." Comme toute forme de maltraitance infantile, la violence conjugale "fait le lit des difficultés relationnelles à l'âge adulte".

"Oubliés des politiques de santé publiques"

Pour s'extraire de cette situation, Camille a décidé de quitter son conjoint. "Ce sont les enfants qui m'ont décidé", tranche-t-elle. Marine tente quant à elle d'avoir un discours rationnel sur le respect. Elle essaie de prendre de la distance avec le passé, évite de projeter son propre traumatisme sur lui. "C'était une erreur, il a surtout besoin de comprendre que son comportement me fait souffrir". Loïc est suivi par plusieurs psychologues. Tous lui diagnostic un trouble anxieux, avec l'agressivité comme symptôme.

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"Pour éviter une cristallisation du processus toxique d'inversion, il est important d'instaurer une mesure d'accompagnement psychologique et judiciaire en direction de l'enfant et des parents", insiste Azucena Chavez, pour qui les enfants sont les grands oubliés des politiques de santé publiques. "Cet oubli est à l'image du déni social de la maltraitance. Il est impensable qu'un parent puisse être le bourreau de son propre enfant, on entend: c'est un mari violent, mais c'est un bon père." Le risque est pourtant bien présent, au-delà des conséquences psychiques. La psychologue fait le compte: "En 2016, 25 enfants ont été tués: neuf mineurs par leur père en même temps que leur mère, et 16 dans le cadre de violences conjugales."

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