Sandrine Rousseau était venue présenter son livre « Parler », paru aux éditions Flammarion. Comme d’autres invités, elle allait être soumise au jugement lapidaire ou élogieux, au choix (peu de juste milieu), des chroniqueurs et auteurs Yann Moix et Christine Angot. Dans son livre, l’ancienne porte-parole raconte l’agression sexuelle qu’elle a subie de la part de Denis Baupin. Ce livre de la parole libérée, elle le veut comme « une main tendue aux femmes », explique-t-elle, avant qu’Angot ne sorte de ses gonds.

« On fait comment, alors, si personne n’écoute ? »

« Des personnes ont été formées pour accueillir la parole », commence à raconter Sandrine Rousseau, qui souhaite faire changer les choses, que les femmes n’aient plus peur, sachent à qui s’adresser, elle qui n’avait eu pour seule réponse après avoir raconté sa propre agression un : « Ah, il a encore recommencé ! ». « Je ne peux pas entendre des trucs pareils », s’emporte alors Christine Angot, arguant que ça n’existe pas, ces personnes, que c’est n’importe quoi, tout ça. « Il n'y a personne, ça n'existe pas ! C'est comme ça ! Il faut se le mettre dans la tête ! » Sandrine Rousseau, heurtée, a les larmes qui lui montent aux yeux. « On fait comment, alors, si personne n’écoute ? », demande-t-elle. « On se débrouille », répond Christine Angot, lapidaire. Autant dire qu’on se la ferme. Qu’on fait avec.

Cette semaine,  on a avancé, à Pontoise, qu’une fillette de onze ans pouvait avoir consenti à une relation sexuelle avec un homme de 28 ans parce que celle-ci ne lui avait semble-t-il pas été imposée par la «  violence, contrainte, menace ou surprise ». Alice, une lectrice, nous a alors fait parvenir son témoignage. Elle aussi avait douze ans, lorsqu’un « monsieur aux cheveux blancs a mis [sa] main dans [sa]sa culotte » dans un bus, et qu’elle s’est tue, des années. Parce qu’elle était sidérée. Parce qu’on ne parle pas de ces choses-là. Parce que, bien souvent, on vous répond que ça n’est pas grave, que ça n’est pas vraiment un viol, qu’il vaut mieux… « se débrouiller », oui. « N’attendez pas l’impensable. Il y a un véritable enjeu à ce que ces jeunes filles trouvent une oreille et des yeux attentifs. Trop longtemps, je me suis essayée au silence. Comme beaucoup d’entre nous », conclut Alice qui, comme Sandrine Rousseau, a voulu livrer son histoire. Pas juste pour dire « je », pas juste pour parler de SON agression, comme le voudrait Christine Angot, mais bien pour raconter au nom de toutes les femmes, et aider certaines à « parler », « dire », peu importe, faire sortir les mots.

>> Procès de Pontoise : "Je m'appelle Alice. J'avais douze ans." <<

« Je voulais voir l’agression (…) Je n’ai pas senti la violence. (…) »

« C’est l’histoire que j’ai vécue que je raconte, ce n’est pas un discours que je porte », pleure Sandrine Rousseau alors que Yann Moix lui reproche un discours politique.  La scène est surréaliste, la victime accusée. La scène d’Angot quittant avec fracas le plateau a été coupée au montage, mais les larmes de Sandrine Rousseau, qui envahissent l’écran dans l’indifférence, restent. « Je voulais voir l’agression (…) Je n’ai pas senti la violence. (…) », reproche Yann Moix à la victime. Alors que remontent tant de discours entendus par tant de victimes venues raconter leur histoire. Pour celles qui y parviennent, car il s’agit bien de cela. En France, seule une femme violée sur dix porte plainte. A cause de ces suspicions, justement, et du manque de « personnes formées pour accueillir la parole ». 

« Je ne me résous pas à ce que les chiffres, depuis dix ans, ne bougent pas », explique Sandrine Rousseau. Et nous non plus qui accompagnons les femmes dans leurs combats depuis tant d’années. Et dont l’un des combats les plus grands, justement, est et fut de cesser de se « débrouiller » avec la violence subie. Alors non, on ne se « débrouille pas ». Nous non plus, madame Angot, on ne peut « pas entendre des trucs pareils ».