Transgenres : «J'ai fait mon coming out à 6 ans, j'ai tout de suite été punie»

La transition vers un autre genre se révèle souvent  une épreuve douloureuse. 

Clémence Zamora-Cruz a vécu sa petite enfance dans la peau d'un garçon.   
Clémence Zamora-Cruz a vécu sa petite enfance dans la peau d'un garçon.    AFP

    Un cap fondamental mais aussi un grand moment de douleur et de discrimination. La période de transition, qui voit une personne trans, née avec un genre auquel elle ne s'identifie pas, évoluer socialement, médicalement ou administrativement, est souvent un moment difficile à passer pour le garçon qui devient une fille ou la fille qui devient un garçon.

    « Avant tu t'appelais comment ? »

    «Moi, j'ai fait mon coming out trans à 6 ans. J'ai tout de suite été punie. Quand tu es assigné garçon mais que tu te sens fille, le gens cherchent à te "normaliser". Crachats, tirages de cheveux, tabassages... cette normalisation, pour moi, est passée par la violence.»

    Née il y a 42 ans au Mexique, qu'elle a quitté à 20 ans au terme de longs mois de rue et des années de souffrance, Clémence Zamora-Cruz s'est réalisée en France. Cette femme mariée, professeure d'espagnol et militante associative, a pourtant enduré une constante «transphobie».

    Il y a eu les insultes, le mot «travelo». Il y a eu l'obstination de certains professeurs, qui refusaient d'utiliser l'identité qu'elle s'était choisie. Et aussi cette amende reçue pour «fraude» quand ses papiers n'étaient pas encore à jour. Après des années de combat de la communauté LGBT (lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre), l'Etat français a bien facilité en 2016 le changement d'état civil pour les personnes trans (30 000 selon les chiffres officiels, beaucoup plus selon les associations). Mais si les imbroglios administratifs se sont raréfiés, les discriminations perdurent.

    Clémence, 42 ans, garçon quand elle vivait au Mexique, est aujourd'hui une femme mariée en France

    Clémence raconte «le harcèlement», toujours, mais aussi les questions pleines de «curiosité malsaine» : «Est-ce que tu es opérée ?» ou «Avant tu t'appelais comment ?». «On peut considérer que la transition ne s'arrête jamais», souffle cette petite brune apprêtée au visage rond et aux cheveux longs. «C'est l'expérience d'une vie.»

    «Tous les jours, je pleurais»

    Christelle, elle, a entamé sa mue après 34 ans passés dans le corps d'un autre, militaire costaud et casse-cou, et «trois tentatives de suicide». «Je sais depuis que je suis toute petite», assure-t-elle, «mais il fallait trouver le courage d'en parler». Sa femme d'alors le quitte. Son fils ne lui parle plus.

    Cette grande brune à lunettes se remémore aussi les «tortures» subies lors de certaines opérations. L'épilation électrique de la barbe lui faisait à chaque séance ressentir «des milliers de piqûres». Pour l'ablation de son pénis et la création d'une cavité vaginale, effectuées en Thaïlande, ce fut encore pire... Pendant un an, «tous les jours, je pleurais. Il fallait en passer par là pour avoir ensuite une vie intime normale».

    A 45 ans, Christelle, restée dans l'armée, vit aujourd'hui heureuse, mariée avec une militaire, avec qui elle a eu un autre enfant par procréation médicalement assistée (PMA). «Si je n'avais pas fait une transition, je ne serais plus là, assure-t-elle. C'est une certitude».

    «S'il y a un point commun entre toutes les trajectoires, c'est la notion d'inexorable. Pour tous mes patients trans, il n'y a pas d'autre choix», commente le docteur Thierry Gallarda, psychiatre spécialiste de la question. Mais la transition, dont le volet médical génère souvent de «l'élation» (joie) car elle «acte» un changement de vie, charrie aussi, selon le médecin, son lot d'arbitraire. «Il y a des physiques plus ou moins plausibles», observe-t-il.

    Plus simple de masculiniser que de féminiser

    Autre facteur d'injustice : le sexe de naissance. «On virilise bien plus facilement les «F to M» (female to male, féminin vers masculin) qu'on ne dévirilise les «M to F» (male to female, masculin vers féminin)», observe l'endocrinologue Catherine Brémont. La testostérone, que l'on donne aux premiers, a un effet très rapide sur la pilosité et la voix, qui devient plus grave. «J'ai été crédible en trois mois», se souvient Axel Léotard, 48 ans, crâne rasé et barbe, qui a fait sa transition il y a quinze ans. «C'est beaucoup plus facile pour nous» que pour les «M to F», qui subissent «les discriminations contre les femmes, qu'elles soient biologiques ou trans», affirme-t-il.

    «Que les hommes soient grands, petits, chauves, poilus, costauds ou chétifs, on ne remet jamais en question leur virilité», constate le Dr Brémont. «Mais pour une femme, il y aura des standards requis». Et les hormones que prennent les «M to F», si elles permettent un développement mammaire et rendent la peau moins grasse, n'auront aucun effet sur la taille ou la carrure. Hormis le sexe et la physionomie, la transition génère aussi des «inégalités» liées à «l'âge, la santé, l'argent», énumère SunHee Yoon, la présidente d'Acthe, une association trans.

    L'opération la plus symbolique, la chirurgie, n'est réalisée que par «moins de la moitié» des personnes trans, observe Arnaud Alessandrin, sociologue spécialiste de la question, pour qui «il y a au final autant de transitions que d'individus». Un seul point les rassemble toutes selon lui : «la transphobie» et «la discrimination». Avant, pendant et après.