Fin du mois de septembre. La Fashion Week parisienne bat son plein. Partout, dans Paris, des rédactrices/journalistes/acheteuses de tous les pays, à bout de souffle, courent de shows en shows, de présentations en inaugurations de boutiques, de « re-see » (le fait de revoir de près une collection) en dîners pro. Mais au milieu de cette frénésie, nombre d'entre elles ont pourtant pris le temps de faire un détour par Merci. Le fameux concept store parisien du boulevard Beaumarchais proposait (et ce jusqu'au 21 octobre), avec Vestiaire Collective et Kiliwatch, un immense espace dédié aux vêtements vintage. Soit une belle sélection de pièces des années 1960, 1970, 1980 ou 1990, faisant toutes écho aux tendances du moment, mais avec ce léger pas de côté qui affole depuis quelque temps les filles dans le vent. « Nous avons souhaité calmer le jeu et prendre le contre-pied de toute cette agitation mode, confirme Valérie Gerbi, directrice des achats chez Merci. Et le vintage embrasse totalement cette aspiration. » D'ailleurs, Vestiaire Collective, le site phare de la vente de vêtements d'occasion, ouvre ces jours-ci une boutique à Paris*, dans laquelle le rayon rétro tiendra une bonne place. À New York, le grand magasin Barneys accueillait aussi pendant la semaine des collections un corner « curaté » par resee.com, spécialisé dans la vente de pièces vintage de créateurs.

Que se passe-t-il donc pour qu'en 2017 le sommet du cool se trouve exactement là, sur ces portants ployant sous les pièces des décennies passées ? C'est une évidence désormais, le « second hand » est sorti de son ghetto pour initiés férus de culture mode, dandys rock ou pin-up psycho-fifties. Il a quitté les friperies sombres et naphtalinées pour gagner la lumière du jour et a même su se faire une place enviable sous les spotlights et sur les tapis rouges, là où naguère la course à la nouveauté faisait loi. Les célébrités n'hésitent plus à assumer ce voyage dans le temps. Leur credo ? « C'est daté ? C'est branché ! » Kim Kardashian herself, reine de l'ici et maintenant, ose sortir en vêtements tout droit venus des 90's (siglés Helmut Lang ou Raf Simons) qu'elle trouve sur des sites pointus tels Open for Vintage, The Kit Vintage ou encore The David Casavant Archive. Sa soeur Kendall fait de même, qui a été vue récemment en Chanel vieux de plusieurs années ! Mais en cela, elles ne font que mettre leurs pas dans ceux de filles comme Chloë Sevigny, Alexa Chung, Kate Moss, Emma Roberts, Fearne Cotton, Kirsten Dunst, Anne Hathaway ou Amal Clooney... Bref, une sorte d'élite cool pour qui le must ne consisterait plus à porter les total-looks emblématiques de la saison. Bien au contraire. D'ailleurs, les reines du street style et les influenceuses en vue n'ont plus rien, elles non plus, des blogueuses d'hier, irrémédiablement prévisibles dans leurs looks « see now/wear now ». Connaissez-vous Jenny Walton (directrice artistique du blog de mode The Sartorialist), Kate Foley (rédactrice-consultante) ou J.J. Martin (créatrice du label LaDoubleJ) ? Pourtant, des milliers de followers se pâment devant l'allure originale de ces stars de la dégaine, pétrie de pièces puissantes et anciennes (imprimés fous, matières iconoclastes, coupes improbables...) et pas évidentes à « sourcer ».

« Il y a aujourd'hui une forte quête de singularité, note Thomas Zylberman, styliste chez Carlin International. L'industrie de la mode tend à proposer de l'uniformité, et les pièces du passé, que j'appelle des pièces 'collector', sont par essence uniques et donc 'différenciantes'. » Autre facteur qui pèse lourd dans cette envie de sortir du lot : les réseaux sociaux, à commencer par Instagram, ont tendance à accentuer le conformisme. Qui n'a jamais éprouvé une lassitude en consultant son fil Instagram, à égrainer les mêmes clichés, les mêmes visuels consensuels, les mêmes emballements, la même esthétique hier singulière mais aujourd'hui devenue mainstream ? Signe des temps, c'est pour contrer cette impression d'uniformisation que Marie-France Cohen - créatrice de Bonpoint et de Merci (qu'elle a depuis revendus) - lance Démodé, un magasin en ligne et son incarnation en divers pop-up stores, qui ne proposera que des choses « belles et faites pour durer, sans souci de la tendance ».

La mode et son système frénétique, fait de désirs toujours réenclenchés, auraient-ils donc du plomb dans l'aile ? De nombreuses voix questionnent ce modèle. Pour dynamiter le consensus, certains créateurs ou consommateurs choisissent de flirter avec le mauvais goût, le kitsch, le transgressif (ce qui fait qu'on peut voir défiler, sans s'étonner, des hommes ressemblant à des serial killers, des filles à des hooligans, des silhouettes bling-bling surchargées de logos, des robes taillées dans des maillots du PSG...). Mais pour d'autres, le salut est dans la rétro-mania assumée. « De nombreux créateurs, comme Alessandro Michele, chez Gucci, ou Anthony Vaccarello, chez Saint Laurent, s'inspirent sans complexe du passé et le disent, quand hier c'était encore un peu tabou », souligne Marie Blanchet, chef du département vintage chez Vestiaire Collective. Du coup - ironie des temps -, le vintage résonne souvent avec les tendances actuelles. Dans les friperies branchées de Londres ou New York, comme Beyond Retro et Episode à Brooklyn, voilà plusieurs saisons que l'on classe les fringues par moodboards, reprenant les inspirations du moment. Pourquoi acheter très cher du néo-90's de créateur quand on peut trouver pour moitié prix du sublime Martin Margiela, Ann Demeulemeester ou Comme des Garçons d'époque ? « Il y a dans cet acte d'achat une forme d''empowerment', remarque encore Thomas Zylberman, une manière de montrer qu'on ne s'en laisse pas conter, qu'on reprend la main sur son destin, hors des discours marketés qui voudraient nous faire acheter telle ou telle pièce. »

Hello Monday. Honey I shrunk the chair.

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La quête de sens, voilà le maître concept. « Les consommateurs cherchent du récit, explique Delphine Robert, directrice artistique du bureau de tendance Instinct. Ils veulent quelque chose d'authentique, avec une véritable histoire à découvrir et ils ne trouvent pas cela dans les productions de masse. » Or un vêtement unique, fabriqué à une autre époque, cela raconte une histoire. Un pan de vie, une perspective sociologique, la place des femmes, des jeunes, des rebelles ou des aristos au moment de sa conception. Forcément, cela donne une profondeur au vêtement. Un cachet.

« Le vintage, c'est politique », affirmait Chloë Sevigny en mai, alors qu'elle nous racontait sa quête addictive de vêtements de seconde main. De fait, il devient difficile de consommer de la mode sans penser à l'impact environnemental de cette industrie - deuxième secteur le plus polluant au monde derrière la pétrochimie. Stella McCartney vient notamment d'annoncer un partenariat avec le site de seconde main The RealReal pour encourager le luxe durable. « Participer à l'économie circulaire est essentiel pour la planète », confie la créatrice. Valérie Gerbi confirme : « Les consommateurs sont de plus en plus conscients de la dimension écologique du vêtement. » Acheter d'occasion, c'est participer à cette économie, c'est recycler, donner une seconde vie, produire moins de déchets, utiliser moins d'eau... Barbant ? Les jeunes millennials, eux, n'ont que cette préoccupation à la bouche. Pour sortir de l'idéologie du vêtement jetable et du « toujours plus », ils seront à n'en pas douter les moteurs d'une prise de conscience à plus large échelle. Pour eux, l'utopie de demain sera (sûrement) « rétro cool ».