Une aide ménagère sur trois victime d’agression sexuelle: bisous, attouchements, propositions... (TEMOIGNAGES)

Annick Hovine
Une aide ménagère sur trois victime d’agression sexuelle: bisous, attouchements, propositions... (TEMOIGNAGES)
©DR

En juin dernier, "LaLibre" publiait un dossier sur les agressions sexuelles dont sont victimes les femmes de ménage en Belgique. Vu les débats actuels autour de telles agressions, nous vous proposons de vous replonger dans ces témoignages édifiants. 

L’incident – mettez des guillemets – remonte à 2011. Mais Vanessa, 33 ans, s’en souvient comme si c’était hier. Un client chez qui elle travaillait comme aide ménagère lui a “littéralement sauté dessus” . Il l’a embrassée dans le cou, lui a palpé les seins… La jeune femme est restée tétanisée pendant une minute avant de revenir à elle. “Je l’ai repoussé et je me suis échappée” .

Comme elle, près d’une aide ménagère sur trois (32  %) a un jour été victime de violences sexuelles au travail, si on en croit les résultats d’une enquête menée par la CSC Alimentation et Services rendue publique mardi (lire ci-contre).

Une maison très très chic

Les faits dont Vanessa a été victime se sont déroulés dans une commune cossue sur les hauteurs de Liège. “Un quartier plutôt chic et une maison très très chic” , décrit-elle. Quand madame était là, l’aide-ménagère n’avait pas un bonjour de monsieur. Ce jour-là, elle s’est retrouvée seule avec lui. “Je dois chaque fois terminer par laver la douche qui se trouve dans la cave” . Le client lui a emboîté le pas dans l’escalier, s’approchant délibérément d’elle. “Je sentais sa salive dans mon cou et sur ma poitrine” .

La jeune femme rentre chez elle sous le choc. Elle accuse le coup mais hésite à déposer plainte. Son compagnon l’en convainc : “Il n’y avait pas eu d’actes sexuels mais il m’avait touchée et je ne voulais pas” . Elle décide donc de s’adresser à la justice, “pour que ça n’arrive pas à quelqu’un d’autre” .

Suivi psychologique

Vanessa n’était pas au bout de ses peines. Au commissariat où elle se rend deux jours plus tard, les policiers ne se cachent pas pour rigoler, “l’air de dire que j’étais prude” . Elle entend des remarques égrillardes qui volent dans le bureau  : “Qu’est-ce qu’elle a celle-là ? Elle a peur qu’on lui touche les fesses ?” . On lui dit qu’elle aurait dû venir le jour même  : on aurait pu faire des prélèvements. Comme elle était seule en présence du client au moment des faits, c’est sa parole contre la sienne… “En plus, sa femme a dit que j’étais une salope” .

Vanessa a demandé son C4 à l’entreprise de titres-services qui l’employait à cette époque. “J’ai déprimé pendant 6 mois et j’ai pris vingt kilos” , ajoute-t-elle. Elle a aussi dû avoir un suivi psychologique pendant un an et demi. “Je n’ai toujours pas reperdu mes kilos : ma psy m’a expliqué que je voulais me rendre indésirable aux yeux des hommes”.

Cet événement a provoqué une profonde remise en question chez la jeune femme. “La première fois, quand ça m’est arrivé, je n’ai pas compris. Je sortais de ma campagne. J’ai été élevée dans l’amour et le respect des autres. Nous, les aides ménagères, on ramasse les crasses des gens mais on nous prend pour de la merde.”

Si elle parle d’une “première fois” , c’est qu’il y en a eu d’autres. Vanessa nettoie chez les particuliers depuis qu’elle a 19 ans. L’an dernier. Elle a dû faire un remplacement de quatre semaines chez un homme seul. “Je le sentais très oppressant, très physique”.

Il la frôlait, la touchait.

“J’ai mis mes distances à trois ou quatre reprises”. Pendant qu’elle faisait le ménage, le client regardait des films pornos sur son ordinateur, dans le salon. Et orientait les caméras de surveillance de la maison opportunément sur le séant de l’aide ménagère... “Alors que j’étais abaissée pour nettoyer, il s’est levé, a attrapé mes fesses et a donné un coup de reins” , mimant un acte sexuel.

“Je n’allais pas faire ça toute ma vie...”

La jeune femme ne s’est pas laissé faire. “Je me suis énervée sur lui. J’ai téléphoné à mon patron et je l’ai dénoncé” . Un employeur qui a pris d’emblée la mesure de l’incident. Vanessa a pris contact avec sa collègue qui travaillait depuis cinq ans chez cet homme. “Je me disais qu’elle n’osait peut-être rien dire. Mais il ne lui avait jamais rien fait” .

Ces expériences ont déclenché une prise de conscience. “Je n’allais pas faire ça toute ma vie”.

La nettoyeuse a repris des études en cours du soir, après ses ménages.

“Je suis en deuxième année, en éducation spécialisée” .

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©Flémal

Une aide ménagère sur trois est victime d’agression sexuelle

Selon l’enquête de la CSC menée auprès de 51 000 nettoyeuses et aides familiales, un tiers des aides ménagères ont un jour été victimes de violences sexuelles au travail. Il s’agit le plus souvent (dans 60  % des cas) de violences verbales  : on fait des remarques sur l’apparence; on insiste pour aller boire un verre; on fait des avances; on demande de travailler en bikini… Mais dans 37  % des cas, cela va jusqu’à des attouchements non désirés.

Plus de 200 000 travailleuses et travailleurs gagnent leur vie en nettoyant, selon le syndicat chrétien. Il s’agit d’un métier isolé car le lieu de travail est souvent la propriété privée du client et les nettoyeuses y travaillent généralement seules. Ces caractéristiques du métier rendent les nettoyeuses plus vulnérables à la violence sexuelle.

“Il s’agit d’un problème largement méconnu” , commente Pia Stalpaert, présidente de la CSC Alimentation et Services. “En tant que syndicat, nous avons récolté des récits de nettoyeuses qui n’osaient plus aller chez un client pour cause de harcèlement. Mais le tabou est encore énorme et les problèmes ne sont souvent pas signalés. Les nettoyeuses ne savent bien souvent pas à qui s’adresser pour communiquer un comportement problématique.”

Le syndicat envisage différentes mesures, parmi lesquelles le développement de formations pour aider les nettoyeuses à réagir face à ces violences, la promotion des personnes de contact habilitées à leur offrir un accompagnement et la sollicitation du Comité pour la prévention et la protection au travail afin qu’il se penche sur la problématique.

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©Devoghel


Bisous sur la bouche, attouchements, propositions... “C’est vraiment choquant”

Voici quelques témoignages recueillis par la CSC auprès d’aides ménagères qui ont été victimes de violences sexuelles au domicile de leurs clients.

1 “Je me suis trouvée à plusieurs reprises devant différents clients entièrement nus qui me faisaient des propositions sexuelles. Heureusement je n’ai jamais subi de violence, bien que certains aient été très insistants !!”

2 “Le jour où ça s’est passé (bisous sur la bouche + attouchements), je lui ai mis un mot pour lui dire que j’étais là pour le ménage et pas pour me faire draguer ; je lui ai rendu ses clés et je lui ait dit que je ne viendrai plus. Le client a essayé de téléphoner mais moi je n’ai pas répondu; alors le lendemain, quand j’ai ouvert les volets, il était dans la voiture et il est venu me demander pardon. Je vais retravailler chez lui mais la condition est qu’il ne soit pas là quand moi je viens chez lui, et ça marche.”

3 “Il me demande de nettoyer chez lui en maillot de bain. Les deux premières heures je travaille normalement. Le restes des heures, je dois m’occuper de lui. D’abord commencer par lui donner un bon bain ; ensuite ce que vous pouvez imaginer en me proposant de l’argent. C’est vraiment désolant, choquant, traumatisant.”

4 “Les faits (attouchements indésirés) m’ont chamboulée et perturbée. J’ai demandé à avoir un autre client. Surtout, je n’ai rien osé dire à mon compagnon de peur d’une dispute entre nous ou qu’il aille s’énerver chez le client” .

5 “Certains clients, souvent la crise de la qurantaine ou cinquantaine, se prennent le loisir d’essayer une remarque. Si on ne les recadre pas tout de suite, ils se croient tout permis et ce sous prétexte qu’ils sont chez eux !” .

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