Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Petit manuel pour lutter contre les idées simplistes sur le harcèlement sexuel

« On ne peut plus rien dire », « les harceleurs ne sont pas si nombreux »… Après les nombreuses révélations de cas de harcèlement, des réactions témoignent encore d’un paternalisme bien ancré.

Par 

Publié le 31 octobre 2017 à 16h19, modifié le 11 mai 2018 à 11h20

Les révélations de l’affaire Weinstein, du nom du producteur aux Etats-Unis qui est accusé de viol par quatorze femmes et d’agression sexuelle par près d’une centaine d’autres, ont permis une certaine libération de la parole sur les réseaux sociaux, notamment en France à travers les hashtags #balancetonporc et #moiaussi.

Une libération qui ne met évidemment pas fin au machisme ancré dans la société depuis des siècles, en témoignent des réactions que vous avez probablement dû entendre à la radio, à la maison ou au travail. Nous avons cherché à compiler ces idées reçues, et à y répondre.

Comment cet article fonctionne

Chaque carte porte à son recto une affirmation volontairement un peu simpliste que chacun a pu entendre, penser ou prononcer.

Cliquez sur le bouton vert ou faites glisser la carte pour la retourner et comprendre pourquoi l'affirmation n'est pas si simple, ou même complètement fausse.

Les différentes cartes apparaîtront au fur et à mesure. Mais si vous le souhaitez, vous pouvez toutes les afficher en .

« Franchement, #balancetonporc c’est vulgaire et insultant  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Le mot-clé a été inspiré à la journaliste qui a lancé le mouvement par un titre du Parisien sur Weinstein : « A Cannes, on l’appelait le porc. » Aussi vulgaire que soit ce mot-clé, la vulgarité du terme peut difficilement être comparée à la vulgarité de l’acte même de harcèlement, font remarquer les victimes et leurs soutiens. Pour la sociologue Irène Théry, le hashtag #balancetonporc est le signe que « la honte, peu à peu, change de camp ». Avant #balancetonporc, d’autres slogans provocateurs ont porté des causes aujourd’hui reconnues comme légitimes : par exemple, le droit à l’avortement avec le Manifeste des 343 salopes, en 1971.

« Se lâcher comme ça sur les réseaux sociaux, c’est de la délation  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Massif, le mouvement #balancetonporc a consisté en majorité à dénoncer des faits (et non leurs auteurs) de harcèlements, du plus grave au plus « léger ». C’est également le cas de #metoo (#moiaussi, en français). Les cas de dénonciations nominatives de harceleurs présumés ont été très limités. Pour autant, leurs auteurs restent susceptibles d’être accusés de diffamation. Et ils peuvent être poursuivi(e)s dans la mesure où un compte Twitter, même sous pseudonyme, peut être identifié. Contrairement à la délation, anonyme le plus souvent.

« Les femmes agressées feraient mieux de porter plainte  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Les raisons pour expliquer le faible nombre de plaintes ne manquent pas : longueur de l’instruction et du procès aux assises, peurs des représailles de l’auteur ou de la décrédibilisation de son propre témoignage, autant d’éléments qui rendent la procédure éprouvante pour les victimes. D’autant que le harcèlement ou le viol ne sont pas faciles à prouver et qu’en l’absence de preuves matérielles, l’accusation repose sur les déclarations de la victime, voire de ses proches. Le nombre de plaintes pour harcèlement tourne autour d’un millier par an ; moins d’une centaine pour les condamnations. Concernant les viols, pour 90 000 victimes estimées, on compte environ 5 000 plaintes déposées et un millier de condamnations.

« Les harceleurs sont des "pervers" ; c’est une minorité  »

FAUX

Vu la déferlante de témoignages, il est devenu difficile de maintenir un tel point de vue. D’ailleurs, des statistiques existent, par exemple sur l’univers professionnel : d’après une enquête du défenseur des droits publiée en 2015, une femme sur cinq a été confrontée à du harcèlement sexuel au travail. Les harceleurs ne sont donc pas une infime minorité qu’on pourrait balayer d’un revers de main. Plus généralement, une femme sur sept dit avoir subi au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie. Quant à savoir si ce sont des « pervers » cantonnés à des milieux « difficiles », on peut relever que, dans les cas de viols ou de tentatives de viols, les trois quarts proviennent de la famille, des proches ou de son propre conjoint (ou ex-conjoint).

« Il faudrait commencer par dénoncer son harceleur à son supérieur, non ?  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Une femme sur cinq a été harcelée sexuellement dans le cadre de son travail. Seules trois sur dix ont rapporté les faits à leur hiérarchie, et cinq sur cent ont lancé des poursuites judiciaires. La cause : une méconnaissance de la loi par les victimes, d’une part, mais aussi le risque de perdre son travail. Peu de chiffres sont disponibles sur ce sujet mais l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) rapporte que la quasi-totalité des dossiers qui lui sont apportés (ce qui induit un biais toutefois) conduisent à une perte d’emploi lorsque les faits sont dénoncés.

« On ne peut plus rien dire...  »

FAUX

Le droit d’expression reste un principe fondateur de la société, mais il est limité par la loi : incitation à la haine, diffamation, injures… et harcèlement. Il suffit de connaître les limites. Complimenter fréquemment l’apparence d’une collègue, envoyer à ses collaborateurs des e-mails contenant des images pornographiques, faire du pied à l’un de ses employés… sont des situations de harcèlement. Mais le chemin est encore long pour que les comportements changent : trois Français sur quatre ne distinguent pas harcèlement, blagues salaces et séduction.

« Il y a aussi du harcèlement envers les hommes mais on n’en parle pas  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Comme pour les femmes, les statistiques concernent surtout les violences sexuelles (le harcèlement est plus difficile à étudier car moins connu des victimes). Environ 3 000 hommes sont victimes de viol ou de tentatives de viol en France chaque année mais, contrairement aux femmes (plus de 60 000 chaque année), ce sont essentiellement des enfants et des adolescents. Ce qui explique peut-être (mais ne justifie pas) une moindre médiatisation. Par ailleurs, il ressort de l’enquête menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) que, quel que soit l’espace de vie ou la nature des violences sexuelles mentionnées, celles-ci sont quasi exclusivement le fait d’un ou plusieurs hommes.

« Si c’est juste une fois, ça ne compte pas  »

FAUX

Le directeur d’une association avait conseillé à la salariée qui se plaignait de coups de soleil, de « dormir avec lui dans sa chambre », « ce qui lui permettrait de lui faire du bien ». Si la cour d’appel de Metz a estimé que ces propos ne pouvaient, en raison de leur caractère isolé, constituer un harcèlement, qui suppose la répétition d’agissements, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé du contraire le 17 mai, car il s’agit de son supérieur. Elle s’est basée sur l’article L. 1153-1 du code du travail qui prévoit la possibilité de prendre en considération un acte isolé en assimilant au harcèlement sexuel toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

« Le harcèlement, c’est surtout un problème social  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Contrairement à ce qu’affirmait Emmanuel Macron, pour qui les faits de harcèlement aboutissent rarement devant la justice parce qu'ils se déroulent « dans les quartiers les plus difficiles où nos magistrats ont déjà énormément à faire », en réalité, le harcèlement et les agressions sexuelles concernent toutes les couches sociales. Qu’il s’agisse des studios de cinéma, des bancs de l’Assemblée nationale, ou des hôpitaux. « Le harcèlement sexuel touche tous les milieux, avec une prédilection pour ceux où un rapport de pouvoir s’exerce. Le milieu médical par exemple », confirme Marilyn Baldeck, de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes au travail.

« Faire une blague, ce n’est quand même pas pareil que mettre une main aux fesses  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Ce n’est pas le même degré de gravité mais les deux sont punis par la loi : une blague salace, portant atteinte à la dignité de la personne, est un délit dont la peine peut aller jusqu'à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende, tandis qu’une agression sexuelle peut être punie jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

« Dans ma famille, ce sont les femmes qui portent la culotte  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

Au-delà des rapports de force qui diffèrent d’un individu et d’une famille à l’autre, la société dans son ensemble reste inégalitaire en termes de salaires, de représentations dans les grandes entreprises et la fonction publique… mais aussi dans la sphère familiale. Certes les stéréotypes de genre déclinent en France, mais un grand nombre de personnes continuent de croire que le rôle parental est d’abord dévolu à la mère, selon un publication de l’Insee de 2017. Or cette vision de la vocation parentale des femmes explique certaines inégalités dans la sphère professionnelle.

« Bientôt on va devoir envoyer un mail d'autorisation pour draguer ?  »

POURQUOI CE N’EST PAS SI SIMPLE

« La main au séant n’est pas le problème, le problème, c’est le consentement », écrit l’avocate Anne-Sophie Laguens. On peut draguer sans utiliser d’insultes ou de propos humiliants, et savoir s’arrêter si la personne n’est pas réceptive. Car le harcèlement sexuel se définit notamment par son caractère répété, sauf s’il s’agit « d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ». Un cas qui concerne en particulier les liens de subordination professionnelle.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.