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Journée internationale des stagiaires : la double-casquette infernale quand on est une femme

TÉMOIGNAGES - Si les périodes de stage sont compliquées pour tous les jeunes en quête d'expérience professionnelle, elles peuvent devenir invivables lorsque le futur actif est une femme.

Femme et stagiaire, le combo perdant
Femme et stagiaire, le combo perdant
Crédit : Home Box Office (HBO)
Benjamin Pierret
Benjamin Pierret
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Prenez d'un côté les conditions de travail que certaines entreprises réservent à leurs stagiaires : indemnisations misérables, heures supplémentaires (non payées) par dizaines et responsabilités démesurées. De l'autre, les inégalités dont les femmes sont encore victimes en milieu professionnel : écarts de salairescomplaisance et sexisme. Mélangez le tout, et vous obtiendrez probablement le pire maillon de la chaîne alimentaire d'une entreprise : celui de la femme stagiaire. 

Le sexisme dans le cadre de stages est impossible à quantifier, tout comme les inégalités en milieu professionnel. La notion même de sexisme n'est apparue que très récemment dans le code du travail, englobée jusqu'en 2015 par celle de "harcèlement moral". 1 femme sur 5 serait confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle, selon une enquête IFOP de mars 2014 réalisé pour le compte du Défenseur des droits

À l'occasion de la journée internationale du stagiaire, à l’initiative de l’International Coalition for Fair Internships ce vendredi 10 novembre, Girls a recueilli les témoignages de cinq femmes, victimes ou témoins de sexisme durant un stage en entreprise. Entre manque d'expérience, difficultés à s'affirmer et peur du prix à payer, elles racontent comment leur genre, combiné à ce statut, les a obligées à baisser la tête en serrant les poings. 

Le combo perdant

Léa (1) a passé six mois en stage chez un équipementier. À 25 ans, cette consultante en systèmes d'informations dans l'automobile se rappelle de cette expérience comme d'une "opportunité de fou pour quelqu'un qui rêve de travailler dans ce milieu".

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Elle prend rapidement la mesure de ce qu'être une femme dans un monde masculin signifie : elle s'habitue aux observations de son patron sur sa "jolie robe" et sur sa vie personnelle ("vu ta tenue, tu sors ce soir ?").

Elle tique lorsqu'il lui conseille de "tirer sur [sa] robe, de sourire et de demander gentiment" lorsqu'elle doit récupérer des informations précises sur un salon. Et ronge son frein quand il analyse son "manque de mesure" comme un défaut "typiquement féminin".

Le but, c'est de rester dans l'entreprise

Anne, 25 ans

Cet épisode professionnel est loin d'être le seul de sa jeune carrière durant lequel son genre s'est présenté comme un obstacle. Ces remarques, elle a dû les essuyer dans pas moins de trois entreprises. Parce que lorsqu'on est une femme stagiaire, les langues masculines se délient.

"Les femmes en situation de vulnérabilité sont particulièrement touchées", analyse Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. "Parce qu'elles sont jeunes, vieilles, enceintes ou stagiaires, elles voient les comportements sexistes se déchaîner, parce que leurs auteurs pensent qu'elles ne pourront pas réagir." À raison. 

Ancienne journaliste stagiaire dans une rédaction régionale, Anne (1), 25 ans, a été témoin de techniques de recrutement douteuses. Notamment la propension de ses collègues masculins à s'attarder sur les photos de ses potentielles remplaçantes. Sans pouvoir réagir : "On veut se faire bien voir. Le but, c'est de rester dans l'entreprise. C'est difficile de se faire entendre dans ces conditions", explique-t-elle. 

La vulnérabilité de celles qui débutent

Anaïs (1), 21 ans, se rappelle de son premier stage, à 18 ans, en tant qu'assistante administrative pour une entreprise de travaux publics. Une boîte composée de deux femmes pour une dizaine d'hommes, dans laquelle elle se sent victime d'un "procès en incompétence".

"Il y avait toujours un homme qui repassait derrière moi, certaines informations que j'aurais dû voir ne me parvenaient pas". Elle se souvient également de l'infantilisation dont elle faisait l'objet lorsqu'elle collaborait avec sa seule collègue féminine : "Alors les filles, comment ça va ?", leur lance-t-on régulièrement.

On ressent de la honte, parce qu'on ne sait pas si les remarques sont occasionnées par le fait que l'on est une femme ou si notre travail est vraiment mauvais

Anaïs, 21 ans

L'expérience négative d'Anaïs a laissé une trace dans l'ego de la jeune femme, qui a longtemps remis en cause sa légitimité dans son travail.

"On ressent de la honte, parce qu'on ne sait pas si les remarques sont occasionnées par le fait que l'on est une femme ou si notre travail est vraiment mauvais". D'autant plus lorsqu'il s'agit d'une première expérience. Il lui aura fallu plusieurs autres passages en entreprise pour réaliser que le traitement dont elle a fait l'objet n'était pas fondé.

"Il faisait partie des personnes décidant de mon avenir"

Nina (1), graphiste de 25 ans, a dû faire face lors d'un stage aux remarques d'un manager amusé de son manque de culture scientifique : "Une fois, il a surgi dans le bureau en me demandant si je connaissais le nombre de dimensions dans l'univers. Je lui ai dit que je l'ignorais, et il m'a répondu 'Évidemment, ce sont des choses trop compliquées pour votre cerveau de femme'."

Elle se souvient de sa "fatigue" face à ces remarques quasi-quotidiennes, de sa colère d’être réduite à son statut de femme et, aussi, d'être obligée de se taire : "Il faisait partie des personnes décidant de mon rapport de stage, de mon avenir."

C'est au fil des années que je me suis rendu compte que toutes les remarques qu'on entend tous les jours ne sont pas normales

Mathilde

Un sentiment qu'a connu Mathilde, directrice artistique à son compte à Strasbourg. Lors de son stage de fin d'études, en 2008, son patron la convoque pour lui signifier qu'elle "divertit" son responsable, dont le travail s'en trouve négativement affecté. Elle quitte l'entreprise, sonnée : "On n'imagine pas ça lorsque l'on commence à travailler", explique-t-elle. À l'époque, je ne voyais pas le mal. C'est au fil des années, en me renseignant sur les questions de sexisme, que je me suis rendue compte que toutes les petites remarques qu'on peut entendre tous les jours ne sont pas normales."

À 32 ans, elle se sent plus apte à y faire face : "Ce genre de réflexions, il y a quelques années, je ne les aurais pas remarquées. Aujourd'hui, je réagis au quart de tour."

Pour Brigitte Grésy, c'est une réaction normale : "Les victimes auront tendance à prendre la faute sur elles. Elles penseront que leurs jupes sont trop courtes ou que leurs cheveux sont trop longs. Ce n'est que lorsqu'elles comprennent que ce n'est pas elles qui sont en cause qu'elles peuvent commencer à réagir." Sans agressivité. 

Une prise de parole toujours difficile

Beaucoup de personnes que nous avons interrogées ignorent si, aujourd'hui, elles feraient part de leur mécontentement : "Je me dis qu'il faudrait oser dire les chose. Mais c'est toujours délicat, par rapport au statut de stagiaire", confie Anne. Elle n'est pas certaine du bon conseil à donner à une consœur qui se retrouverait dans cette situation : "Une stagiaire pense toujours à l'après. J'ai du mal à me positionner, si on veut rester dans l'entreprise, peut-être qu'il vaut mieux se taire."

Brigitte Grésy semble préconiser l'honnêteté, exempte de toute brutalité : "Le mieux, c'est que les filles réagissent sans agressivité, en parlant d'elles plutôt qu'en accusant l'autre. Il s'agit d'adopter le 'je' plutôt que le 'tu'. Il vaut mieux dire 'je souffre en entendant ça', ou 'je ne comprends pas ton propos' que 'tu as tort'."

Léa, quant à elle, a adopté une technique simple qu'elle juge efficace : la reformulation. "À chaque fois que j'entends une réflexion sexiste, je demande 'Ah bon ? Pourquoi tu dis ça ?', ou alors 'Qu'est-ce qui te fait penser ça ?'. Systématiquement, la personne patine. Elle se rend compte qu'elle a dépassé les bornes. Fixer la personne droit dans les yeux et reformuler en souriant, il n'y a rien de tel pour déstabiliser." 

(1) Ces prénoms ont été changés

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