Marie Darrieussecq

« Ces derniers mois, je me suis replongée dans mes archives pour alimenter mon nouveau site Internet. Il y a quelques semaines, j'étais donc chez mon éditeur pour passer en revue les dossiers de presse me concernant, rangés dans une énorme armoire ('Truismes', mon premier roman, occupe à lui seul plusieurs cartons). Je me souviens de certains articles, mais j'ai découvert, dans chacun des dossiers, une mince chemise sur laquelle mon attaché de presse a écrit 'À ne pas montrer à l'auteur'. J'ai ouvert, compris de quoi il retournait et refermé : elles contiennent le pire du pire ! En général, je suis avertie quand il y a un très mauvais article, mais ça m'a amusée de les voir regroupés et classés à part... J'ai une hygiène très stricte avec les critiques, bonnes ou mauvaises d'ailleurs ; j'ai une technique pour les lire en diagonale. Bien sûr, le jour où J.M.G. Le Clézio a écrit un très joli article sur mon roman 'White', je l'ai lu et relu, et c'était agréable. Mais, en général, je m'astreins à avancer sans tenir compte des commentaires. »

« Notre vie dans les forêts » (P.O.L.)

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Clément Bénech

« La rentrée littéraire fait gonfler les chevilles, je le dis en connaissance de cause. La fortune me l'a montré cinq jours avant la sortie de mon troisième roman, en août dernier : sur le goudron d'un terrain de basket auvergnat, un match en entraînant un autre, mon saut désespéré pour contrer un tir se termine sur le pied de mon petit frère ; cheville qui vrille. Bilan : trois jours dans un transat, poche de glace, hématome de la taille d'un kiwi sur le cou-de-pied, béquilles, lecture de 'L'Énéide'. Et le supposé siège de l'ego qui gonfle. J'ai cru (orgueil ou bêtise ?) que ça passerait tout seul. Je me lève et clopine. Dans une émission télévisée, quelques jours plus tard, on me voit marcher presque normalement (en fait, je serre les dents). Apprenant que mon pied est devenu violet, mon éditrice m'envoie illico chez le médecin, lequel me prescrit ce qui serait ma première radio de la rentrée littéraire. Bref, une simple entorse au rétinaculum latéral des extenseurs avec arrachement de la corticale osseuse antérolatérale. Qui n'empêche ni de lire ni d'écrire. »

« Un amour d'espion » (Flammarion)

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Monica Sabolo

« La vraie vie des écrivains est quand même assez laborieuse, et parfois un peu déprimante. Nous passons des mois enfermés devant un ordinateur, telles des chauves-souris dans l'obscurité, puis lorsque nous sortons dans la lumière, tous blafards, le réel se charge de refroidir notre ego. Dans les salons littéraires, on me demande beaucoup où sont les toilettes, quand arrive Grégoire Delacourt ou Alain Juppé (publiés, comme moi, chez JC Lattès) ou alors, on discute de mon livre comme si je n'étais pas là. Il y a quelques semaines, une adolescente gothique s'approche de mon stand, saisit un de mes livres, le montre à sa mère. 'Ça a l'air bien, tu ne trouves pas ?' La mère lit la quatrième de couverture, soupire : 'Ça ne m'étonne pas que ça te plaise !' Le père se joint à elles, ainsi qu'un jeune frère, et tous haussent les yeux au ciel quand elle pointe un autre de mes livres, elle ne lâchait pas, elle en voulait un ! Et même si elle ne me regardait pas une seconde, je l'aimais, spontanément. Le père : 'C'est quand même super glauque, non ?' Le frère : 'De toute façon, elle aime que les trucs de dépressifs.' Découragée, l'adolescente repose le livre en grommelant, et tout le monde s'en va, sans me jeter un regard. »

« Summer » (JC Lattès)

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Philippe Jaenada

« Lorsqu'on voit son livre apparaître sur la première sélection du Goncourt, vraiment, c'est un plaisir : du suspense en perspective. S'il ne figure plus sur la deuxième, on est un peu déçu, bien sûr, mais tant pis, c'est le jeu, il faut bien choisir, les jurés en ont préféré d'autres, en leur conscience. Depuis trois mois, on me parle beaucoup du grand Éric-Emmanuel Schmitt. Il a d'abord reçu un exemplaire de 'La Serpe' naturellement, mais début août, chez Julliard, on me dit qu'il a réclamé la version numérique car il part en Grèce : le papier est trop lourd. Je comprends. Et c'est bien, il va le lire au soleil, détendu, bienheureux, doré. En fait, non. Fin août, une amie belge m'apprend qu'elle vient de lui donner le livre : il lui a dit qu'il ne l'avait pas. Bon, il est en train de le lire, m'assure-t-elle - impec. En fait, re-non. Dans 'M', le magazine du 'Monde', fin octobre, Guillemette Faure raconte le voyage en train de la team Goncourt vers Francfort. L'élégant Éric-Emmanuel a posé 'La Serpe' sur sa tablette : c'est le seul de la première sélection qu'il n'a pas lu (le vote pour la deuxième aura lieu le lendemain matin). Il l'ouvre, parcourt le début, le repose. Il est trop gros, ce livre. 640 pages ? 'On ne peut pas faire ça au lecteur !' s'exclame l'altruiste et consciencieux juré. (C'est vrai, qu'est-ce qui m'a pris ? Je n'ai aucun respect pour le lecteur, je ne pense qu'à moi, je suis un misérable.) Pour le reste du trajet, il emprunte 'L'Équipe' à son voisin de siège : c'est léger, ça se lit vite, la qualité littéraire est la même, grosso modo, et il faut bien se détendre (c'est prestigieux, juré Goncourt, mais c'est dur). Blague à part, voyons le bon côté des choses : un juré Goncourt sur dix qui juge les livres au poids, ça va, ça reste raisonnable. »

« La serpe » (Julliard)

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© Abaca

François-Henri Désérable

« Pour qui a la chance de voir son livre surnager dans les flots tumultueux de la rentrée littéraire, l'automne est un marathon qui vous mène de librairie en médiathèque, de médiathèque en salon, de salon en festival, le tout entrecoupé d'interviews, de séances photo (ah, la bonne vieille époque où l'on posait une fois pour toutes en redingote devant Nadar ou Carjat !), de radio en télé.

'Merde, la télé !' Telle fut ma réaction, un dimanche soir d'octobre. J'étais allongé sur mon canapé et j'avais presque oublié que l'on m'attendait, une demi-heure plus tard, en direct sur le plateau de France 3. Je claquai la porte de mon appartement, dévalai les escaliers quatre à quatre, sautai sur mon scooter et vers les studios de France Télévisions.

'Il était moins une, me dit la journaliste. Et puis, elle ajouta : tout de même, vous auriez pu...' Du doigt, elle désigna mes pieds.

Dans ma précipitation, j'avais oublié de mettre des chaussures : j'étais en chaussons. Pas des vieilles charentaises, non, des pantoufles vénitiennes en velours grenat, de celles que portaient jadis les gondoliers, mais tout de même... 'Pas grave, dis-je, vous ferez un plan américain.' Les téléspectateurs, ce soir-là, n'y virent que du feu. »

« Un certain M. Piekielny » (Gallimard)

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Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 17 novembre 2017.
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