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Du sexisme ordinaire au viol : des femmes témoignent de leur volonté de ne plus se taire

Plusieurs semaines après les révélations visant Harvey Weinstein, la parole s’est libérée dans le monde entier. Des femmes racontent au « Monde » ce que cela a changé pour elles.

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Publié le 24 novembre 2017 à 12h01, modifié le 04 décembre 2017 à 10h35

Temps de Lecture 6 min.

« Je suis en colère. » C’est un constat, avec une pointe de soulagement dans la voix, mais surtout de la détermination. « J’ai été élevée comme une gentille fille. C’est bien d’avoir été gentille pendant quarante ans, mais ça n’a pas servi à grand-chose », résume Andréa*. Comme de très nombreuses femmes, cette directrice d’école d’une cinquantaine d’années a observé la libération de la parole sur les violences sexuelles, à la suite de l’affaire Harvey Weinstein, du nom du producteur américain accusé de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement par des dizaines de femmes, sur plusieurs décennies.

Elle a vu les hashtags #balancetonporc et #metoo, créé par l’actrice Alyssa Milano, et s’est mise elle aussi à parler. Pour la première fois elle commence à témoigner du viol dont elle a été victime à 16 ans, mais aussi des attouchements qu’elle a subis quand elle était enfant. « Après les révélations, je suis retournée dans cette ruelle, pour comprendre ce que j’y avais laissé », raconte-t-elle. Elle en parle aujourd’hui à son nouveau compagnon, « qui a réagi de façon géniale ». Elle n’ose pas encore témoigner auprès de sa famille, « qui [l’]avait beaucoup soutenue » quand elle faisait face à un compagnon violent.

Pour Andréa, cette libération de la parole est aussi une reconnaissance de ce qu’elle a vécu, et une manière de clamer sa fierté et sa réussite professionnelle : ce parcours qui lui a permis de devenir directrice d’école, et d’élever – seule – deux filles, dont elle est « très fière », après avoir connu deux compagnons violents.

Réaliser ce qu’elles ont subi

Répondant à un appel à témoignages du Monde, comme Andréa, de nombreuses lectrices se sont exprimées sur cette libération de la parole et décrivent notamment une prise de conscience de ce qu’elles ont vécu. Victoire, trentenaire et travailleuse indépendante lyonnaise, a décidé ces dernières semaines de faire une « liste » des agressions et des harcèlements sexuels qu’elle a subis depuis qu’elle est enfant. C’est en faisant ce travail qu’elle a réalisé qu’elle avait été abusée sexuellement par un ancien compagnon. « Quand on dit “j’ai subi un viol et “je me suis laissé faire quand il voulait coucher avec moi”, ce n’est pas la même chose », raconte-t-elle. « Tant qu’on ne prend pas de recul, on accepte de plus en plus de choses », ajoute-t-elle, bien décidée aujourd’hui à mettre les mots justes sur cette expérience.

Même prise de conscience pour Agnès*, cheffe cuisinière : « J’ai une vie sexuelle très libre, des amants et pas de mari. J’ai toujours eu l’impression que j’étais en contrôle de tout ça, et finalement pas vraiment. » Depuis plusieurs semaines, elle porte un regard nouveau sur son passé, et sur le comportement des hommes qui l’ont entourée.

« J’ai vu le #metoo d’une amie sur Facebook, je l’ai appelée et elle m’a raconté, le prêtre, quand elle était petite, ou le père de la copine, et je me suis dit qu’en fait c’est aussi mon histoire. »

Tout un réexamen de sa vie s’en est suivi, et lui sont notamment revenus en mémoire ces patrons qui l’ont harcelée, qui lui ont fait des commentaires déplacés – « pour nous, c’était un rapport aux hommes habituel ».

« Un ami m’a dit : “J’espère que tu ne parles pas de moi” »

Des discussions qui sommeillaient ont éclaté. « J’ai partagé mon #metoo, et un ami m’a dit : J’espère que tu ne parles pas de moi” », explique Agnès*. « Je le connais depuis que j’ai 18 ans, un jour il est venu en vacances chez moi et a eu un comportement très déplacé, si bien que je lui ai demandé de partir. Ça ne nous a pas empêchés de nous revoir de temps en temps après », poursuit Agnès*. Ce mois-ci, « je lui ai dit : “En fait, tu t’es comporté comme un enfoiré. Je ne peux plus lui adresser la parole », conclut-elle.

Pour beaucoup d’autres lecteurs et lectrices, ce sont juste des débats, des questionnements sur cette vague de témoignages. « J’ai eu une discussion avec une copine et un ami nettement moins féministe, et je crois que je lui ai fait changer d’avis », se souvient Andréa. De son côté, Victoire se remémore un débat « d’une heure et demie au téléphone, avec un ami, pourtant tolérant, qui m’a dit qu’il ne faudrait pas en arriver à dire que seuls les hommes harcèlent. » « Depuis, j’ai posté pas mal d’articles sur Facebook », ajoute Victoire, mais « ce sont souvent les filles qui likent”, pas les garçons ».

« Mon père, de 83 ans, m’a dit : Oui mais les femmes en minijupe c’est une tentation, l’homme est un chasseur”. Je n’ai pas eu le courage de batailler. »

Lire (édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés #MeToo, au point de départ de la colère mondiale des femmes

Une volonté d’agir

Et après ? Aujourd’hui, Victoire se veut optimiste : « J’ai été témoin de harcèlement dans le métro à Paris, et immédiatement les gens ont réagi, des hommes et femmes mélangés. J’avais jamais vu ça avant. » Elle cherche maintenant « un moyen d’impliquer les hommes » et étudie la « communication non violente ». Elle admet qu’un changement des mentalités sera long, et que « c’est à nous, femmes, d’apprendre à faire peur ». Travailleuse indépendante, elle se promet de recadrer plus fermement les clients qui auront des comportements déplacés.

Andréa aussi veut agir. Sa colère, elle veut d’abord l’exprimer dans une association féministe. « Je pense m’engager chez Osez le féminisme, elles sont assez offensives et je suis d’accord avec elles », dit-elle, s’avouant convaincue par une action organisée en novembre devant la cinémathèque de Paris pour protester contre la venue de Roman Polanski, accusé de viols sur mineures. A son niveau, elle veut aussi agir sur l’éducation dans l’école qu’elle dirige. « Il faut armer les filles et leur dire que ce n’est pas normal, il faut aussi que les garçons prennent la mesure de certains mots, de cette violence », explique-t-elle.

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C’est aussi en tant que mère que Agnès* s’est interrogée. « J’ai eu une discussion avec mon fils de 25 ans et ses amis, lui est révolté par le comportement des hommes », raconte-t-elle, « C’est l’occasion de lier un dialogue là-dessus avec ses enfants. » Et de citer la question qui, selon Agnès*, est partagée par ses amies : « Comment a-t-on élevé nos fils ? », rapporte celle qui s’est occupée seule de son enfant à cause d’un père absent.

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Ouvrir la discussion à l’école

« J’ai évoqué l’affaire Weinstein avec mes élèves, car il se trouve que nous travaillons sur la représentation de la femme dans la littérature et la société », explique Angéline, enseignante dans les Alpes-de-Haute-Provence.

« J’ai une classe de première avec une majorité de filles. Elles ont été unanimes pour déclarer être régulièrement victimes de harcèlement de rue. Elles ont pris conscience que ce n’était pas leur tenue ou comportement qui posaient problème, mais le regard de certains hommes. »

Adrien*, lycéen de terminale en région parisienne, est « content que ça commence à sortir » et applaudit cette libération de la parole. « On en a parlé ensemble en cours d’histoire l’autre jour », explique-t-il, même si, selon lui, « on vit dans un milieu très protégé, un peu campagne et sans métro ». Et les questionnements habituels exprimés pendant l’adolescence prennent aujourd’hui une teinte particulière. Maintenant, « j’ai peur de draguer, parce que tout peut être pris pour du harcèlement », raconte-t-il.

Certains hommes dénoncent une « moralisation outrancière », « sans considération pour de nombreux paramètres contextuels », et une « dénonciation de faits avérés sans preuve ». Pour d’autres, c’est une prise de conscience : « Depuis cette affaire, j’ai l’impression que tous les hommes sont des porcs, des violeurs potentiels, des harceleurs, tout au moins des pervers. Mon regard a changé sur les autres hommes et sur moi-même. » « Je me sens tout petit », écrit un autre.

Le pessimisme est présent chez certaines femmes ayant contacté Le Monde : « Certains hommes se sont révélés choqués et compatissants, d’autres ne prennent pas le problème dans le bon sens et ressentent une sorte de persécution à leur égard », juge une étudiante parisienne, qui remarque « peu de changements, mais de la discussion ». Aujourd’hui, Andréa veut « retrouver une forme de fierté, de “gnaque” pour que ça s’arrête ». « Ça bouge, juge Victoire, espérons que ça dure. »

* Les prénoms ont été changés.

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