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Education sexuelle : pourquoi le pénis est enseigné et pas le clitoris ?

Education sexuelle : pourquoi le pénis est enseigné et pas le clitoris ?

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En 2017 encore, le clitoris est aux abonnés absents des programmes de l'Education nationale, lorsque les collégiens étudient la reproduction, alors que le fonctionnement du pénis y figure. Historienne et sexologue, Virginie Girod explique pourquoi ce n'est pas anodin et qu'il en va de l'égalité femme-homme.

Contrairement à celui du pénis, le fonctionnement du clitoris n'est pas enseigné au collège lorsque les élèves travaillent en 4ème sur la reproduction et la sexualité. Comment se fait-il que cet organe féminin ne soit pas représenté dans les manuels scolaires - à l'exception notable des éditions Magnard ?

Virginie Girod : C'est que traditionnellement, la femme reste associée à la fécondité. Or, le clitoris est l'organe dit "du plaisir", donc il est devenu tabou. Je pense en outre que cela perturbe encore de penser que ce sont les mêmes cellules intra-utérines qui sont à l'origine du pénis et du clitoris.

Pourquoi cela ?

Parce qu'historiquement parlant, les hommes ont toujours vu le clitoris comme un concurrent du pénis en tant que pourvoyeur de plaisir. Ce à quoi il faut ajouter que c'est la filiation qui a fondé notre société patriarcale, avec une crainte centrale : ne pas être sûr de qui est le père de l'enfant à naître. C'est pour cela que dans certaines civilisations, on va encore jusqu'à pratiquer l'excision pour supprimer le plaisir féminin et garantir ainsi plus sûrement la paternité.

"L'enseignement de l'égalité femme-homme ne peut pas passer sans la connaissance du corps"

Dans quelle mesure l'enseignement incomplet de l'appareil sexuel féminin pose-t-il problème ?

L'enseignement de l'égalité femme-homme ne peut pas passer sans la connaissance du corps, et donc l'acquisition des bases biologiques. Quand les élèves de 4ème étudient la reproduction, il faut leur parler en détail de la transmission des maladies et de comment on tombe enceinte, mais il faudrait aussi leur montrer l'intégralité de l'anatomie humaine et leur enseigner la sexualité du point de vue médical. Ce serait une avancée intéressante, déjà sur le plan de la connaissance de son propre corps. Et le cours de SVT (sciences de la vie et de la Terre, ndlr) deviendrait ainsi le matériau de base pour ouvrir une réflexion plus large : si un jeune de 13/14 ans a une représentation exhaustive de l'appareil reproducteur, il pourra s'en servir pour travailler sur l'érotisme, puis l'égalité.

L'érotisme, c'est-à-dire ?

Contrairement à la sexualité, qui est purement procréative, l'érotisme aborde le désir. C'est une question primordiale, même si ce n'est pas aux professeurs de SVT de l'aborder : il faudrait faire appel à des intervenants extérieurs, comme des sexologues, qui viendraient dans les établissements pour introduire les notions de respect, de plaisir et d'égalité femme-homme dans la sexualité.

En quoi devrait consister cet enseignement ?

Il y a d'abord un vrai travail à faire sur le respect et le consentement. C'est un sujet très prégnant en ce moment, et à juste titre : nous devons apprendre aux jeunes femmes à dire non. Or au cours de mes recherches, j'ai constaté que beaucoup n'en sont pas capables par peur, à cause du poids de la pression sociale, familiale ou professionnelle, comme l'a encore prouvé l'actualité récente. De l'autre côté, il faut enseigner aux jeunes hommes la "courtoisie" d'entendre ce non. Une fois passée l'étape du consentement, on peut aussi travailler sur une ouverture au plaisir et au désir.

"Pour les jeunes hommes, c'est plus simple car leur appareil génital est visible, accessible"

Qu'entendez-vous par cette idée d'ouverture ?

Le but n'est évidemment pas d'apprendre aux adolescents comment se masturber mais de leur expliquer que l'exploration de leur corps est naturelle. Pour les jeunes hommes, c'est plus simple car leur appareil génital est visible, accessible. Il y a donc un gros travail à faire envers les jeunes femmes : on devrait leur enseigner notamment qu'il n'y a rien d'abominable à prendre un miroir pour se regarder. Dédramatiser tout ce qui touche au corps, apprendre qu'il n'est pas sale, qu'on peut le toucher et que le désir non plus n'est pas sale, est très important pour démonter les stéréotypes existants.

A quels stéréotypes pensez-vous ?

Notamment à tout ce qui découle de l'idée qu'une femme qui ressent du désir et qui est entreprenante avec les hommes est une pute ou une salope, alors qu'elle est juste libre. Il faut également expliquer aux jeunes que le porno ne doit pas s'ériger en modèle, d'autant plus que celui-ci reste extrêmement genré : l'homme fort et actif jouit, tandis que la femme est soumise et haletante - on ne sait d'ailleurs jamais si elle jouit ou pas. L'idée est d'enseigner que ce n'est pas tout ce qui existe, que le champ érotique est extrêmement large et que la seule chose qui doit réguler la morale des jeunes, c'est le consentement d'autrui.

Quel serait le meilleur moment pour entamer cette ouverture à l'érotisme ?

Étant donné que les adolescents s'intéressent au sexe très tôt - bien avant leur premier rapport, dont l'âge médian est d'environ 17 ans -, il faudrait commencer à en parler dès le cours de 4ème, après leur avoir enseigné l'aspect biologique de la reproduction. Ce travail serait ensuite à renforcer très fermement au niveau du lycée bien sûr, avec des intervenants en sexologie dans tous les établissements, une fois par mois par exemple.

"On apprendrait aux jeunes à ne pas cantonner la femme au rôle de victime passive et dénuée de désir dont l'homme se saisit"

Concrètement, et à partir de ce travail, comment les intervenants pourraient-ils amener les jeunes à réfléchir sur l'égalité femme-homme ?

En brisant le schéma, encore assez vivace, du mâle dominant. Cela passerait par la remise en question de la virilité telle qu'on la connaît depuis 3.000 ans, qui est un poids lourd à porter même pour les hommes. Dès l'adolescence, les garçons doivent en effet gérer le fait qu'ils devraient être forts et conquérants. On apprendrait également aux jeunes à ne pas cantonner la femme au rôle de victime passive et dénuée de désir dont l'homme se saisit. Enseigner l'égalité, c'est sortir de ces rôles et autoriser les adolescents à agir en dehors des vieux clichés qui opposent les femmes et les hommes. Il est nécessaire de leur transmettre l'idée qu'ils sont différents mais complémentaires : si cette idée est bien ancrée dans les nouvelles générations, les futurs jeunes adultes devraient être plus ouverts d'esprit, dans le respect et dans l'acceptation du consentement.

Vous semblez optimiste, pensez-vous que cette sensibilisation à l'érotisme et à l'égalité pourrait se développer dans tous les milieux ?

Elle doit être faite impérativement partout, dans les milieux favorisés comme défavorisés. En banlieue, par exemple, il règne encore une violence psychique extrêmement forte, avec une idéologie du mâle dominant très prégnante. Mais là ou ailleurs, l'enseignement à cette ouverture d'esprit va forcément se heurter à des morales familiales. C'est là que l'école devra jouer son rôle en affirmant que le respect des femmes n'est pas une option. Il est urgent de prendre des mesures ministérielles qui obligeraient à enseigner l'intégralité de l'anatomie humaine. Ce serait un premier pas pour détruire les schémas préconçus et avancer vers l'égalité femme-homme.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne