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Récrés mixtes, congé paternité, parachutiste iranienne : janvier dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
par Juliette Deborde
publié le 31 janvier 2018 à 15h10

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Vingt-neuvième épisode : janvier 2018. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Sexisme ordinaire

Des marques disent stop aux stéréotypes : vrai engagement ou «féminisme-washing» ?

Une femme blonde et longiligne retouche sa Twingo au vernis à ongles après avoir rayé la carrosserie : cette pub pour le moins cliché a valu à Renault d'être épinglé il y a quelques mois. Un type de scénario qui ne devrait plus se reproduire, du moins si l'on en croit l'engagement pris par la marque automobile et une vingtaine d'autres grands groupes. BNP Paribas, Coca Cola, Danone, EDF, Orange, L'Oréal… Tous ont accepté de suivre 15 engagements recommandés par l'Union des annonceurs (UDA) via un programme dédié à la lutte contre les stéréotypes, notamment sexistes, dans la publicité. L'idée est de rééquilibrer les rôles souvent très genrés notamment à la télé : «Il faut s'attaquer aux stéréotypes d'habitude, comme ces publicités de grandes écoles qui ne montrent qu'un étudiant masculin avec sa calculatrice», explique l'UDA au Parisien.

Une persistance des stéréotypes pointée en octobre par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui avait analysé des centaines de spots. Le CSA soulignait notamment une plus grande sexualisation des femmes, notamment dans l'industrie de la parfumerie ou de l'automobile. Le gendarme de l'audiovisuel pointait aussi le fait que les rôles d'experts (vous savez, ce spécialiste qui explique de manière pseudo-scientifique pourquoi le produit est efficace) étaient occupés en grande majorité par les hommes. Mais derrière cet objectif affiché, les marques veulent aussi se donner une image responsable : l'Union des annonceurs a d'ailleurs précisé à ses adhérents que les consommateurs étant de plus en plus sensibles à l'éthique des messages véhiculés par les marques, la démarche était potentiellement lucrative. Un argument de poids.

En janvier, le sexisme ordinaire a encore sévi à l'Assemblée nationale, l'«outrage sexiste» pourrait devenir un délitLibé a rencontré la philosophe Olivia Gazalé, qui déconstruit le «mythe de la virilité» et le Financial Times s'est infiltré dans une soirée londonienne réservée aux hommes, où des hôtesses auraient été agressées et harcelées.

Santé et corps

La séparation, la double peine pour les femmes souffrant du cancer

Son mari l'appelait «nass mraa» (demi-femme) ou «lamgataa» (la mutilée) : Linda a été abandonnée par son époux après une ablation du sein due à un cancer. Elles seraient des centaines de femmes en Algérie à vivre ce rejet, au moment où elles doivent subir une lourde opération et des traitements, peut-on lire sur le site du Courrier international. Le cancer du sein reste vue comme une maladie honteuse dans le pays, et l'ablation du sein taboue. Non pas en raison de la religion, qui «exhorte les époux à se soutenir mutuellement», mais du poids de l'éducation et des traditions, explique un théologien. Plusieurs femmes racontent avoir été chassées de chez elle ou privées de la garde de leur enfant. Ailleurs, les séparations sont aussi fréquentes : les femmes souffrant d'un cancer sont plus souvent quittées par leurs conjoints, relève une étude publiée dans la revue scientifique Cancer en novembre et repérée récemment par plusieurs médias. Le taux de séparation ou de divorce atteignait près de 21% pour les femmes malades suivies par l'étude, contre moins de 3% pour les hommes malades.

En janvier, Libération a aussi consacré une enquête à la stérilisation, une méthode de contraception légale et souvent réversible mais qui reste étrangère aux mœurs françaises, contrairement aux pays anglo-saxons, rencontré l'équipe du CHU de Besançon, qui possède le taux d'épisiotomie le plus bas de France et publié un reportage au Salvador, qui a une des législations anti-IVG les plus répressives du monde.

Violences

Lupita, 4 ans, symbole de la vague de féminicides au Mexique

Faute de nom, elle était devenue «la fillette aux chaussettes rouges» pour les Mexicains. Lupita, 4 ans, a finalement pu être identifiée, près d'un an après sa mort. Le corps couvert d'hématomes de l'enfant avait été retrouvé en mars 2017 près de la capitale Mexico. Sa famille ne s'était pas manifestée. Sa mère et son beau-père ont finalement été arrêtés. Le couple est accusé de l'avoir tué et lui avoir fait subir des sévices sexuels. Ils ont été retrouvés grâce à la détermination de Véronica Villalvazo. La militante de 47 ans, qui épluche les pages faits divers de la presse pour réunir des informations sur les féminicides au Mexique, a tout fait pour redonner une identité à la fillette et retrouver les responsables de sa mort, raconte l'AFP. Une tâche difficile, en raison du silence des autorités. «Au Mexique, tu peux assassiner une femme, une petite fille, la violer, la mordre, la torturer, la kidnapper et il ne t'arrivera absolument rien car ils [les autorités, ndlr] n'enquêtent pas, ça ne les intéresse pas», dénonce la militante. En novembre, des tantes de la fillette ont finalement contacté Véronica Villalvazo et reconnu leur nièce, dont elles avaient demandé la garde en raison des maltraitances qu'elle subissait. Son nom vient s'ajouter à ceux des milliers de femmes tuées chaque année dans le pays – 2 746 en 2016. Des crimes qui restent dans la majorité des cas impunis.

En janvier, Libération a aussi fait le bilan des féminicides conjugaux de l'année écoulée, une statistique qui continue de stagner. L'onde de choc de l'affaire Weinstein et de #MeToo (créé, on l'oublie trop souvent, par Tarana Burke) a aussi continué de se propager : outre-Atlantique, la mobilisation des femmes s'est invitée aux Golden Globes et le mouvement Time's Up, une initiative destinée à lutter contre le harcèlement sexuel au travail a été lancée par des femmes du milieu du cinéma, dont l'actrice australienne Cate Blanchett, future présidente du jury cannois. Woody Allen, lui, a été rattrapé par les accusations de sa fille adoptive Dylan Farrow. En France, c'est la tribune sur la «liberté d'importuner» parue dans le Monde (et co-écrite par la psychanalyste Sarah Chiche) qui a été le plus commentée. Certains propos, dénonçant la «délation» ou le «puritanisme» ont provoqué une vague d'indignations. Pour l'historienne américaine Joan Scott, cette tribune relève d'une idéologie conservatrice et antidémocrate. Sur le sujet, Libé a aussi publié les textes de l'écrivaine Leïla Slimani et de sa consœur Marcela Iacubles explications de Catherine Deneuve, co-signataire du texte, et une interview de Christiane Taubira. Au même moment, Sandra Muller, à l'origine du hashtag #BalanceTonPorc, était poursuivie pour diffamation par son harceleur présumé.

Droits civiques, libertés

En Iran, un saut en parachute pour les droits des femmes

Elle s'élance en chute libre, un drapeau iranien à la main. Bahareh Sassani, 35 ans, pratique le parachutisme depuis mars 2016. Une activité exercée principalement par les hommes dans la République islamique. La comptable iranienne voulait initialement combattre sa peur de l'altitude. Elle compte aujourd'hui plus de 200 sauts à son actif et a survolé la Russie, le Kenya ou la Thaïlande. Son dernier saut en Iran, en septembre dernier, a provoqué la surprise des hommes, raconte-t-elle dans un reportage de France 24 : «Ils me disaient "est-ce qu'une femme peut aussi faire ça?"» L'Iranienne ne se définit par comme «féministe», mais en a tout l'air : selon elle, les femmes ne devraient être exclues d'aucune discipline et leur présence dans les sports extrêmes ne peut que favoriser l'évolution de la société. C'est une manière de «montrer qu'elles sont aussi capables que les hommes», défend la jeune femme. Reste à convaincre ses compatriotes : pour l'instant, Bahareh dit ne connaître que cinq autres femmes titulaires d'un brevet de parachutisme dans le pays.

En janvier, Libé a interviewé la féministe nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, rencontré la rappeuse Chilla, qui s'est fait remarquer par ses chansons féministes dans un milieu masculin, l'écrivaine turque féministe Elif Shafak, et Aminata, exilée recueillie par l'Aquarius. La philosophe Sandra Laugier s'est félicitée de la mise en avant des femmes dans les séries et les films récents, tandis qu'aux Etats-Unis, des centaines de milliers de femmes ont ressorti les slogans et les «Pussy Hats» un an après la première Women's March.

Travail

Inégalités salariales : un peu plus de transparence dans les grandes entreprises allemandes  

La mesure a le mérite d'être originale. Les salariées des grandes entreprises allemandes sont désormais en droit de demander à leur employeur combien gagnent leurs collègues du sexe opposé, rapportent Les Echos. La loi, promulguée le 6 janvier, ne concerne que les firmes de plus de 200 employés. Elle vise à favoriser la transparence en matière de rémunération dans le pays, où la différence de salaire entre les hommes et les femmes est plus élevée que la moyenne européenne (21% contre environ 16%). Le texte a cependant ses limites : l'entreprise ne peut pas dévoiler la rémunération d'une personne en particulier, mais seulement donner un salaire médian, calculé à partir des rémunérations de six collègues qui occupent des fonctions similaires. Or il n'est pas toujours possible de trouver six collègues au même niveau de compétences, surtout à un haut niveau hiérarchique. A noter que grâce à cette loi les salariés ont également le droit de connaître le salaire médian au sein de toute l'entreprise. C'est toujours ça de pris.

En janvier, au moment où un projet visant à réduire les inégalités professionnelles était présenté au gouvernement, les femmes journalistes de plusieurs rédactions (Le Parisien, l'Obs, la Provence, Ouest-France) se mobilisaient pour réclamer une plus grande parité aux postes hiérarchiques. A l'étranger, Carrie Gracie, une journaliste historique de la BBC, a accusé le groupe public britannique de pratiquer une politique de «discrimination salariale illégale», l'Islande a rendu obligatoire l'égalité salariale, et une étude allemande a vanté l'efficacité des quotas pour plus de parité dans les entreprises.

Vie privée, famille

Vers un allongement du congé paternité ? 

C'est une mesure d'équité réclamée de longue date par les féministes. Un rapport sur l'éventuel allongement du congé paternité a été commandé par le gouvernement à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Cette administration et trois ministères ont pour mission «d'étudier toutes les possibilités d'allongement, mais aussi de meilleure rémunération et de meilleure information du congé paternité», a précisé mi-janvier la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Pour l'instant, les hommes ont droit à onze jours consécutifs à la naissance de leur enfant (dix-huit jours pour une naissance multiple) en plus du congé de naissance de trois jours. En novembre, le magazine Causette  avait lancé une pétition pour que les hommes puissent davantage mettre la main au couffin, réclamant notamment que les onze jours soient obligatoires et non plus optionnels. Pour l'instant, il est pris par environ sept pères sur dix.

En janvier, Libération a aussi publié une tribune en faveur de l'ouverture de la discussion sur la PMA et la GPA, des associations ont manifesté contre un colloque des anti-IVG à l'Assemblée et la Première ministre néo-zélandaise a annoncé qu'elle était enceinte.

Education

Plus de mixité à la récré

Les garçons se font des passes avec un ballon en plein milieu, tandis que les filles jouent à la marelle dans leur coin. Les cours d'écoles, comme tous les espaces publics, sont révélatrices d'inégalités spatiales. En cause notamment, les terrains de foot, prisés des garçons, qui occupent souvent une bonne partie de l'espace. Les filles, elles, sont reléguées entre les lignes de démarcation des terrains et les murs de la cour. Une discrimination spatiale non voulue mais bien réelle, les garçons étant davantage éduqués à aimer les sports de ballon, selon Edith Maruéjouls, créatrice de L'ARObE, un bureau d'études sur l'égalité au service des collectivités. La géographe du genre (qui a donné une conférence TedX Women en novembre) travaille avec les établissements scolaires pour inciter les élèves à davantage se mélanger à l'heure de la récré. Parmi les pistes testées notamment à Bordeaux, l'installation d'un baby-foot avec matchs mixtes obligatoires ou l'organisation de journées sans ballon. Le Huffington post en parle juste ici.

En janvier, Libé a aussi relayé une étude sur les manuels scolaires, qui déplore un fort déséquilibre numérique dans la représentation des sexes.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans Libé

• Elle s'appelait Mariama, avait 32 ans et a été défenestrée par son compagnon, à Montreuil, fin décembre. Le Bondy blog dresse le portrait posthume de la jeune femme.

• Dans l'Equipe, la joueuse de tennis Marion Bartoli raconte l'emprise exercée par son ancien compagnon. «C'est facile de l'extérieur de dire "elle aurait dû partir plus tôt". Dans la relation, c'est difficile de s'en apercevoir : c'est tellement systématique que vous finissez par l'accepter», a-t-elle aussi témoigné dans une interview à France Inter.

• Le site Racked consacre un article (en anglais) à l'accès au maquillage chez les détenues américaines. «On dit aux femmes qu'elles doivent être belles pour être dignes d'intérêt et une fois qu'elles sont en prison on les ridiculise, on les démoralise et on les punit parce qu'elles continuent de se conformer à cette norme», peut-on lire.

• Vous pensiez que la broderie était has been ? Les Inrocks ont rencontré Hannah Hill, une artiste dont les créations ont notamment illustré des articles du Monde, et qui explique comment cette technique, longtemps mal considérée, peut être un outil d'«empowerment».

• A Malaga, en Espagne, une exposition explore le lien entre le mouvement surréaliste et les femmes, souvent cantonnées aux rôles de muse et d'amante. Le Monde l'a visitée.

• Sur Slate, la journaliste et romancière Titiou Lecoq explique comment les hommes se sont au long de l'histoire attribué des œuvres littéraires créées par des femmes, à partir de l'exemple de la pièce Brutus, de Catherine Bernard.

• Vous avez déjà imaginé, l'espace d'une demi-seconde, passer votre nourrisson par la fenêtre ? Ces phobies d'impulsion (c'est le nom de ce symptôme), plus ou moins envahissantes, touchent de nombreuses mères après l'accouchement, explique Rue 89.

• Que savons-nous des femmes de la Préhistoire ? C'est la question à laquelle répond Claudine Cohen, chercheuse à l'EHESS et auteure de Femmes de la Préhistoire, sur France Culture. Elle aborde notamment de la répartition des tâches, le contrôle des naissances ou les violences contre les femmes il y a des milliers d'années.

• Un dernier podcast pour la route, avec le quatrième épisode de Quoi de Meuf, consacré à la littérature jeunesse, entre stéréotypes sexistes encore bien ancrés et nouveaux titres féministes.

Pour aller plus loin :

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