Le développement important des aliments « ultra-transformés » menace notre santé, affirme Anthony Fardet, chercheur en nutrition préventive, qui fait le lien entre la consommation excessive d’aliments industriels et la progression de l’obésité et le diabète de type 2 dans nos sociétés modernes. L’auteur du livre Halte aux aliments ultra transformés alerte contre une vision réductionniste, qui consiste à considérer les aliments comme une simple somme de nutriments et défend une alimentation essentiellement végétale composée d’aliments « vrais ». Explications et Interview.

Mr Mondialisation : Vos recherches vous ont amené à vous intéresser à ce que vous appelez les aliments ultra-transformés. De quoi parle-t-on exactement ?

Anthony Fardet : Ce sont des formulations industrielles possédant une longue liste d’ingrédients et/ou d’additifs d’utilisation exclusivement industrielle (généralement supérieure à 4 ou 5). Ils sont de deux types :

Les aliments résultant d’une recombinaison d’ingrédients et/ou additifs comme les barres chocolatées ou les sodas : ce sont de nouvelles matrices alimentaires artificielles créées de toutes pièces par l’Homme. On ne peut pas les trouver dans la nature.

Les plats préparés (qui contiennent à la base de vrais aliments) avec de nombreux ingrédients et/ou additifs industriels.

Ils ont aussi d’autres caractéristiques, mais pas forcément tous :
– Des emballages très colorés pour attirer le consommateur;
– Des personnages de l’univers des enfants pour les séduire;
– Des mentions du type « enrichi en… », « céréales complètes », « riche en… » donnant la fausse impression d’aliments bons pour la santé alors que ce n’est pas le cas;
– Ils sont souvent enrichis en sucre, sel et gras.

Les principaux aliments ultra-transformés sont les snacks sucrés, salés et gras, les sodas, les yaourts à boire, les céréales du petit-déjeuner pour enfants, beaucoup de plats préparés industriels, les barres chocolatées, beaucoup de confiseries, les margarines, les produits de panification industriels et de nombreux desserts lactés.

little junk foodsMr M. : Donc, ces « faux aliments » ont peu à peu colonisé les rayons des supermarchés pour devenir aujourd’hui la norme ?

A. F. : Oui. Il est difficile de donner une date exacte car cela s’est fait progressivement ; mais il est très probable que leur arrivée massive date des années 80. Cependant, dans les pays émergents, leur arrivée est brutale et se substitue progressivement à l’alimentation traditionnelle locale, comme au Brésil, au Mexique ou dans les îles du Pacifique. Il s’ensuit une explosion des prévalences d’obésité et de diabète de type 2.

Ce cocktail répété tous les jours est très délétère pour la santé, à la fois à court, moyen et long terme.

Mr M. : Ces pseudo-aliments posent-t-ils concrètement des problèmes pour la santé humaine ?

A.F. : Oui, quand ces aliments deviennent la base de notre alimentation comme cela devient de plus en plus le cas, notamment dans les pays anglo-saxons où on peut trouver jusqu’à 80% des aliments en rayon qui sont ultra-transformés. Ils posent problème pour la santé pour trois raisons principales :

1) Ils sont peu rassasiants car riches en sucres et gras, les deux nutriments les moins rassasiant par rapport aux fibres et protéines plutôt caractéristiques des produits peu transformés, protéines et fibres constituant l’architecture naturelle de ces aliments ; en outre, beaucoup sont liquides et semi-solides, voire possèdent une texture facilement friable à la mastication : or les aliments liquides et semi-solides sont moins rassasiants que les aliments solides plutôt caractéristiques des aliments moins transformés ; car le temps de contact avec la muqueuse digestive et le temps de mastication sont plus courts ;

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2) Ils sont pour beaucoup hyperglycémiants en raison des sucres simples ajoutés et de leur texture déstructurée qui ralentit moins la digestion de l’amidon comme dans les féculents raffinées ; or les aliments riches en sucres facilement digestibles et absorbables « fatiguent » l’insuline avec des pics très fréquents de glucose sanguin ; menant à plus long terme au diabète de type 2 ; mais aussi à l’obésité car l’excès de sucres (principalement glucose et fructose) se transforme en matières grasses hépatiques (stéatose) et sous-cutanées ;

3) Ils sont riches en calories « vides », à savoir leur densité énergétique est élevée avec une teneur en composés bioactifs protecteurs faibles, telles que fibres, vitamines, minéraux et autres antioxydants.

Ce cocktail répété tous les jours est très délétère pour la santé, à la fois à court, moyen et long terme.

Océan de BonbonsMr M. : De surcroît, vous faîtes le lien avec l’augmentation des intolérances alimentaires, notamment au gluten ?

A. F. : Il faut bien distinguer l’intolérance au gluten ou maladie cœliaque qui demande un évitement strict du gluten et l’allergie au blé de l’hypersensibilité au gluten dont la prévalence a cru ces dernières années et dont on sait encore peu de chose. Pour cette dernière forme d’hypersensibilité mon hypothèse de chercheur est que le problème n’est pas tant dans le gluten que dans l’hyper-transformation alimentaire qui se caractérise par une utilisation croissante du gluten comme additif technologique de texture (liant) et par une moins bonne digestibilité de ce dernier. L’ultra-transformation des protéines constitutives du gluten peut avoir rendu les organismes hypersensibles au gluten, qui rappelons-le est un terme technologique décrivant le réseau protéique restant après lavage à l’eau d’une farine blanche évacuant l’amidon par lixiviation.

Il faut bien distinguer le fructose industriel du fructose naturel issu des fruits et du miel.

Mr M. Enfin le sucre (fructose) est de plus en plus pointé du doigt. Vos conclusions permettent-elles de confirmer les dangers que représente ce nutriment consommé en trop grande quantité ?

A.F. Oui. À nouveau, pour moi le problème n’est pas dans le fructose en tant que tel (comme pour le gluten) mais dans son utilisation massive dans les aliments ultra-transformés. Tout nutriment ultra-transformé et consommé de façon massive devient délétère pour l’organisme humain. Il faut bien distinguer le fructose industriel utilisé dans les produits ultra-transformés et issu de l’hydrolyse de l’amidon de maïs (sirop de glucose-fructose) du fructose naturel issu des fruits et du miel. Le fructose des fruits, encapsulé dans une matrice alimentaire naturelle fibreuse, est accompagné de fibres, minéraux et vitamines et le réseau fibreux permet une libération progressive de ce dernier dans l’organisme, qui ne pose pas de problème. De plus, le fruit entier est plus rassasiant.
Donc il faut toujours revenir à une vision holistique ou globale, à savoir quel environnement matriciel alimentaire accompagne l’ingestion d’un nutriment donné. Je le répète : « on ne mange pas des nutriments ».

Mr M. On observe justement l’apparition de nouvelles pratiques alimentaires. Faut-il s’inquiéter des « boissons-repas » et autre « smart food » dont les producteurs vantent les mérites nutritifs ?

A.F : Ce sont typiquement des aliments issus de la pensée réductionniste ne considérant les aliments que comme une somme de nutriments. S’ils sont consommés à l’occasion, pour dépanner comme produits de niche pourquoi pas ? Après, s’ils deviennent une substitution régulière d’un vrai repas cela va poser problème. L’effet « matrice » est en effet perdu : donc les nutriments sont libérés plus vites dans l’organisme et le métabolisme qui s’ensuit sera différent, avec notamment un sentiment de satiété probablement moindre (par exemple beaucoup de sucres hyperglycémiants « rapides). De plus les matrices étant artificielles est-ce que la synergie d’action des nutriments dans l’organisme est aussi bénéfiques que celles des aliments moins transformés ?

Mr M. : Le qualificatif de « smart-food » qui leur est parfois attribué est donc trompeur…

A. F. : Oui, mais cela est typique des aliments ultra-transformés qui sont associés à des messages marketing « séduisants » pour « tromper » quelque peu le consommateur.

Mr M : Dans ce contexte, l’ensemble de vos résultats vous conduisent à dénoncer le « réductionnisme » en matière d’alimentation. Pouvez-vous expliquer ?

A. F. : Pour faire simple le réductionnisme nutritionnel tend à considérer l’aliment comme une seule somme de nutriments et de calories, qui sont dès lors interchangeables d’un aliment à l’autre. Donc dans le réductionnisme 2 = 1+1. Or ce n’est pas le cas : consommer 500 kcal d’aliments ultra-transformés n’a pas le même effet sur la santé que 500 kcal d’aliments peu transformés.

Par « opposition » l’holisme considère que le potentiel santé d’un aliment ne se résume pas à sa seule composition nutritionnelle mais inclut aussi l’effet « matrice » qui joue un rôle prépondérant sur la satiété, la vitesse de libération des nutriments dans l’organisme, la sécrétion des hormones, le transit digestif, etc. La vision holistique de l’aliment considère que le tout est supérieur à la somme des parties selon l’équation 2 > 1+1 car il y a une synergie d’action entre 1 et 1. Ainsi le potentiel antioxydant d’un cocktail de composés peut être supérieur à la somme du potentiel antioxydant des composés pris isolément.

Mr M : Aujourd’hui, force est de constater que ceux qui recherchent à « bien s’alimenter » tombent sur des propos souvent contradictoires. Quelles règles simples faudrait-il suivre selon vous pour avoir une alimentation qui réponde aux besoins du corps humain ?

A.F : Les propos sont contradictoires car le « logiciel » de base réductionniste est tout simplement « faux ». On ne mange pas des nutriments mais des aliments. Quand vous revenez à une vision holistique toutes les contradictions disparaissent. C’est aussi simple que cela.

Les contradictions viennent du fait qu’on fait des recommandations sur les nutriments. Or le problème n’est pas les nutriments pris isolément mais l’ensemble, à savoir notamment le degré de transformation des aliments qui modifie à la fois la matrice et la composition.

C’est pour cela que j’ai souhaité élaborer des règles simples, à la fois scientifiques et holistiques, qui permettent de protéger la santé, le bien-être animal et l’environnement :
1) Un minimum 85% de calories d’origine végétale ;
2) Un maximum 15% d’aliments ultra-transformés ;
3) Pour les aliments non ultra-transformés, mangez varié, si possible bio, local et de saison.

C’est tout : pas besoin d’en savoir plus si vous n’avez pas le temps de suivre une formation en nutrition. En appliquant ces trois règles d’or ou les 3V pour Végétal, Vrais et Varié, vous êtes assurés de remplir tous vos besoins nutritionnels tout en participant à améliorer la condition animale et à protéger l’environnement. C’est en ce sens qu’elles sont holistiques.

Pour aller plus loin : Fardet, Anthony, Halte aux aliments ultra transformés ! MANGEONS VRAI, Editions Thierry Souccar, 2017, 256 pp. ISBN : 978-2-36549-242-3


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