Un playmobil en train de filmer une Barbie

Harcèlement : seules 18% des entreprises mettent en place des actions de prévention

#BalanceTonPorc, #MeToo : ces hashtags ont permis d'ouvrir le débat sur le harcèlement. Mais, concrètement, où en sont les entreprises ?

La réalité du terrain : l’opinion publique n’a pas assimilé la définition du harcèlement

« Quand j’ai participé au documentaire Le Harcèlement sexuel au travail, l’affaire de tous, diffusé par “Infrarouge” sur France 2, j’ai entendu des choses graves qui n’ont pas été montrées. Par exemple, à une des questions : “Si un supérieur hiérarchique propose le poste en échange d’un acte sexuel, est-ce du harcèlement ou pas ? ”, deux hommes dans le public pensaient que c’était juste un deal », explique Marylin Baldeck, déléguée générale de l’association AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail). Voilà la réalité du terrain : l’opinion publique n’a toujours pas assimilé la définition du harcèlement.

Cet article de Margot Guicheteau est disponible dans son intégralité dans la revue n°13 de L'ADN. Pour vous la procurer, rendez-vous ici.


 

 

Comment se définit la notion de harcèlement ?

Aujourd’hui, le harcèlement se définit comme suit : « Imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. »

« C’est le critère du consentement ou du non-consentement qui est en soi le plus important », précise Marylin. À noter, qu’il y a harcèlement sexuel même s’il n’y a aucune relation hiérarchique entre la victime et l’auteur des faits. Laetitia César-Franquet, sociologue spécialiste des violences faites aux femmes, insiste sur l’importance de raconter des faits précis afin d’éduquer les mentalités : « Lors de mon premier job étudiant, j’étais contrôleuse de train. On avait sorti un nouveau logo pour nos T-shirts, et le lendemain, un contrôleur m’a touché les seins en disant : “Ah, il est sympa ! ” J’avais 20 ans, je savais que cela n’était pas normal, mais je ne me suis pas rendu compte que j’avais été victime d’une agression sexuelle. »

« Quand les femmes montent les échelons, elles affrontent des remarques sexistes. Quand les femmes postulent pour un poste à responsabilité, des promotions canapé leur sont proposées. Quand les femmes passent un entretien, elles doivent se justifier plus qu’un homme. Quand les femmes échouent, elles sont jugées trop sensibles », affirme la sociologue. Leur corps est un outil de négociation, et toute la société semble avoir anesthésié leur capacité d’indignation. Ce sont les normes à suivre.

 

97 %
Si l’écart entre les hommes et les femmes tend à se restreindre, le chemin est encore long : les postes de management sont encore majoritairement occupés par des hommes, et 97 % des PDG sont encore des hommes.

« Les femmes ont intégré qu’elles vont être confrontées à ce type de problèmes, alors elles se protègent à leur manière en adoptant les codes masculins, en se murant dans le silence. » S’ensuivent de nombreux préjugés à l’égard du comportement de la victime qui banalise, brouille les repères et justifie le harcèlement. À l’AVFT, les déléguées recueillent souvent les mêmes remarques : « Elle n’a pas d’humour » , « C’est normal, les hommes ont des pulsions », « Des compliments sur votre poitrine ? Ça ne fait pas de mal… Vous devriez être flattée ». Autant de petites phrases qui placent la victime dans un univers d’injonctions paradoxales : ne pas aguicher ; comprendre la plaisanterie ; ne pas entrer dans le jeu masculin ; repousser sans faire perdre la face.

Tandis que le sexisme hostile correspond fondamentalement à la conception traditionnelle du sexisme, à savoir une attitude négative à l’égard des femmes, on remarque également un sexisme bienveillant qui envisage les femmes comme des créatures pures et fragiles, qui doivent être protégées et adorées par les hommes. Si l’un punit, l’autre récompense. La combinaison de ces deux attitudes donne lieu à un sexisme ambivalent, une théorie pensée par le chercheur Peter Glick et la chercheuse Susan T. Fiske dans leurs travaux parus en 1996. « La particularité du sexisme bienveillant vient de sa non-identification en tant que sexisme et de sa promesse d’“avantages” qui seraient donnés aux femmes dans un monde où elles sont habituellement défavorisées. Ces particularités font du sexisme bienveillant une idéologie mieux acceptée que le sexisme hostile et même, dans certains cas, recherchée activement par les femmes. Cela ferait de lui un outil redoutable de maintien des inégalités sociales entre les genres », expliquent l’universitaire Marie Sarlet et le chercheur Benoît Dardenne, dans leur article « Le sexisme bienveillant comme processus de maintien des inégalités sociales entre les genres ».

30 %
Une stratégie qui fonctionne. Près de 30 % des victimes de harcèlement n’en parlent à personne parce qu’elles ont le sentiment d’être coupables et illégitimes à demander de l’aide.

Le harcèlement sexuel consiste à mettre en cause les compétences et/ou le comportement de la victime sur le plan professionnel. Ainsi, des salariées qui n’avaient donné lieu à aucun reproche se voient subitement accusées d’incompétence, de manque de ponctualité, de mauvais rapports avec les collègues, d’insubordination…

Laetitia César-Franquet l’affirme : « On vit dans une culture du silence, beaucoup de choses sont tues et acceptées car le seuil de tolérance est très élevé. »

Avec l'affaire Weinstein, les rôles s’inversent. Ce sont les hommes qui portent la honte. Ce ne sont plus seulement les stars hollywoodiennes accusées mais aussi les politiciens, un sous-traitant de la SNCF, l’ex-patron du Mouvement des jeunes socialistes... Cet épisode a aussi montré à quel point les structures d’aide aux victimes étaient bien trop fragiles, voire inexistantes. En effet, 82 % des employeur.se.s n’ont pas mis en place d’actions de prévention contre le harcèlement sexuel, et 65 % des victimes affirment qu’elles n’ont pu compter que sur elles-mêmes.

« Je ne veux accuser personne, je ne veux pas poser de problèmes ni perdre mon emploi. Je veux juste que cela s’arrête. Comment faire, que dire ? », lit-on dans l’extrait d’une récente saisine reçue dans la boîte mails de l’AVFT. « C’est ce qui se passe dans la vraie vie. Tous les hashtags du monde ne changeront rien aux contraintes qui pèsent sur cette femme.

C’est le travail de l’État, de la police et de la gendarmerie, de l’inspection du travail de ramener des preuves. Malheureusement, ces structures font face à une paupérisation. Mener une enquête prend énormément de temps, nécessite des moyens, des heures supplémentaires non rémunérées. Ils savent que la plupart du temps, les dossiers seront classés sans suite. » Seulement 5 % des cas sont portés devant la justice, 7 % obtiendront satisfaction devant le tribunal correctionnel, et les sanctions restent très faibles. Dans l’entreprise, l’employeur qui viole la loi doit payer six mois de salaire, ce qui face à un smic représente à peine 10 000 euros.Pour les victimes, la peine est multiple : elles sont atteintes physiquement et moralement (33 %), font face à un blocage dans leur carrière (28 %), et leur contrat peut ne pas être renouvelé (14 %).  Soit elles sont licenciées pour inaptitude à l’issue d’un congé maladie, soit elles sont licenciées pour faute suite au dépôt d’un dossier disciplinaire monté contre elles par le harceleur lui-même.

Si les entreprises doivent expliquer à leurs collaborateur.rice.s ce qu’est le harcèlement sexuel, il serait également urgent de mettre en place des cellules internes, de mettre ce sujet à l’ordre du jour des entretiens annuels, de former les médecins du travail, de suivre les harceleurs pour éviter la récidive, de former les syndicats au-delà de la médiation, d’aider financièrement les victimes pendant et après la procédure... Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la proportion d’employeur.se.s ayant mis en place de telles actions de prévention est très faible, seulement 18 %.

Cependant, certaines mesures sont mises en place comme le label égalité hommes/femmes en entreprises créé en 2004, et instruit par l’Afnor Certification. Soixante-six structures l’ont obtenu dont Axa France, Groupe Casino, Coca-Cola Midi SAS, L’Oréal SA, PSA Peugeot Citroën, Sarenza, BETC… « S’attaquer à cette question revient à demander l’abolition des privilèges. Ces femmes ont besoin de sécurité plus que de modèles. De sécurité matérielle, professionnelle, psychologique et institutionnelle », conclut Marylin Baldeck.

premium2
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire