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La justice sanctionne pour la première fois un ouvrier d’abattoir pour des actes de cruauté

Le principal prévenu a été condamné, vendredi, à huit mois de prison avec sursis. Deux autres employés n’ont pas été sanctionnés, pour cause de prescription.

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Publié le 28 avril 2017 à 10h56, modifié le 29 avril 2017 à 06h37

Temps de Lecture 4 min.

C’est un jugement inédit. Pour la première fois, la justice a prononcé une peine contre un abattoir et l’un de ses employés. L’établissement est situé au Vigan, un paisible village cévenol marqué au fer rouge par un scandale de maltraitance animale.

Vendredi 28 avril, le tribunal de grande instance d’Alès (Gard) a condamné le principal prévenu, un ancien employé de la structure gérée par la communauté de communes du pays viganais, à huit mois de prison avec sursis et 2 000 euros d’amende pour des actes de cruauté et des mauvais traitements sur des animaux.

Marc S. s’est aussi vu interdire d’exercer en abattoir pendant cinq ans. Il a également été sanctionné au civil : il devra verser 6 300 euros à dix associations de défense des animaux parties civiles dont L214, la Société protectrice des animaux (SPA) ou la Fondation Brigitte Bardot. Si « les faits reprochés sont d’une particulière gravité », le tribunal a prononcé une peine plus faible que les réquisitions du procureur en raison du jeune âge du prévenu (24 ans), « confronté à la pratique d’un métier difficile », et de son absence de casier judiciaire.

Ses deux coprévenus, salariés du Vigan, ont été relaxés en raison d’une prescription des faits, le tribunal estimant que les dates des vidéos ne pouvaient pas être clairement établies. La communauté de communes du pays viganais devra quant à elle payer une amende de 3 750 euros.

Animaux saignés conscients

Les faits, révélés par une vidéo de l’association L214 en février 2016, avaient suscité l’émoi et l’indignation collective, débouchant sur une remise en cause de la filière, la création d’une commission d’enquête parlementaire et le vote d’une proposition de loi pour instaurer la vidéosurveillance dans les abattoirs.

Les images, tournées entre juin 2015 et février 2016 en caméra cachée, montraient des moutons violemment jetés contre des enclos, des employés riant en électrocutant ou en brûlant des cochons avec une pince à électronarcose – destinée à les étourdir –, des animaux saignés toujours conscients, ou encore un porcelet se détachant à plusieurs reprises de la chaîne d’abattage.

« C’est une réponse pénale ferme, qui envoie un message clair à l’ensemble des exploitants d’abattoirs : “Vous devez faire respecter les règles” », se réjouit Me Hélène Thouy, l’une des deux avocates de L214, qui se félicite de l’interdiction temporaire d’exercer pour Marc S., permettant « de prévenir d’éventuelles récidives ».

Une appréciation à l’opposé de celle de Me Yvon Goutal, qui défendait la communauté de communes. « La sanction est très raisonnable, pour des faits qui étaient mesurés », juge-t-il, se disant « satisfait qu’il n’y ait pas de condamnation de l’abattage dans son ensemble ».

« Caractère sadique »

Le procureur de la République d’Alès, Nicolas Hennebelle, avait relevé 31 infractions dans cette affaire. Le 24 mars, au terme de deux jours de procès très médiatisés, il avait requis un an de prison avec sursis et 3 400 euros d’amende contre Marc S. Il demandait aussi des amendes de 600 euros contre Nicolas G., de 150 euros contre Gilles E., et, enfin, de 6 000 euros contre la communauté de communes.

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« La difficulté de ce métier la fatigue, le stress peut expliquer en partie les comportements illégaux, mais ne les excuse pas », avait défendu le procureur. Quand Marc S. porte des coups de pince à électronarcose sur le museau d’une brebis, il lui fait subir une « souffrance physique évidente », et « les rires accréditent le caractère sadique », relevait-il, avant de conclure qu’à ses yeux, ces actes étaient « totalement gratuits ».

« On vit la mort cinq jours sur sept, dix heures par jour. Oui, on rigole entre nous, mais on ne veut pas faire de mal aux animaux », avait rétorqué le jeune homme à la barre. Il avait retrouvé du travail dans un atelier de découpe depuis septembre 2016 mais il se disait las : « Cette histoire m’a détruit. J’ai été obligé de changer de département, de région. Je suis usé. J’ai même reçu des lettres de menace chez mes grands-parents. »

« Marc S. est aussi sapeur-pompier. Alors peut-être qu’il lui est arrivé de s’égarer avec des bêtes, mais il lui arrive aussi de sauver des hommes. (…) Il est entré à l’abattoir en apprentissage à 15 ans, quand il n’était qu’un gamin », a défendu de son côté Me Aude Widuch, l’une des avocates du prévenu. Et son confrère, Me Guilhem Deplaix, d’ironiser : « A cet âge, quand certains obtiennent des CDD [contrats à durée déterminée] d’assistants parlementaires, lui commence un CAP [certificat d’aptitude professionnelle] comme boucher. »

« Abattoir éthique et paysan »

« Ce dossier n’est pas seulement celui de dérapages d’opérateurs, mais aussi d’un manque de vigilance sur les règles d’abattage (…) et sur le matériel défaillant », avait par ailleurs estimé le procureur, visant la communauté de communes.

Pourtant, la structure, l’une des plus petites de France, était spécialisée dans la vente directe et certifiée bio. On y traitait chaque année 300 tonnes de viande, provenant d’animaux d’une petite centaine d’éleveurs des Causses et des Cévennes qui travaillent en circuit court.

Ses locaux avaient été modernisés en 2010 et en 2014. L’établissement a depuis partiellement rouvert en mars 2016, après avoir licencié le principal prévenu, Marc S., refusé de renouveler le contrat d’un autre salarié et investi dans du matériel.

Aujourd’hui, l’abattoir essaie surtout de se maintenir à flot. Fin décembre 2016, la communauté de communes a décidé d’arrêter les frais, après avoir effacé une ardoise de près de 300 000 euros. Un groupement d’une cinquantaine d’éleveurs de la région, d’associations et de consommateurs, constitués en société coopérative d’intérêt collectif, doit reprendre l’établissement en septembre, sous la forme d’une location avec promesse de vente au bout de vingt ans.

« On veut en faire un abattoir éthique et paysan, une structure de proximité. Nous allons pratiquer l’abattage de nos propres bêtes, maîtriser le processus de A à Z, pour être sûrs que cette étape du circuit de distribution soit faite dans le respect de l’animal, explique Stéphane Thiry, éleveur de bovins en agriculture biologique à Bez-et-Esparon (Gard), qui préside l’association pour la promotion de l’abattoir du Vigan. Donner la mort à des animaux ne peut pas être joyeux mais peut se faire dans de bonnes conditions. »

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