Martine Weizineau avait 13 ans lorsqu'elle a dénoncé son agresseur. Elle a officiellement porté plainte à deux corps de police. Puis... rien. Pas de nouvelles. Pas d'arrestation. Pas de suivi. L'homme a fait une autre victime. Il s'est trouvé un emploi dans une école.

Vingt-six ans après les faits, Mme Weizineau, originaire de la communauté atikamekw d'Obejiwan, en Mauricie, a raconté hier son histoire au commissaire Jacques Viens dans le cadre des audiences montréalaises de la Commission d'enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics au Québec. « Après tout ce temps, je suis entendue », a-t-elle soufflé.

La femme de 40 ans en avait 5 lorsqu'elle a été victime d'une agression sexuelle. Sa mère était malade. Son père l'avait envoyé vivre dans une famille d'accueil de sa communauté. Un adolescent de la maisonnée l'a agressée.

L'enfant s'est emmurée dans le silence. « Je n'en ai pas parlé. J'ai toujours gardé ça pour moi. J'ai développé des comportements destructeurs. Je suis tombée dans la délinquance. J'ai fait du vandalisme, des vols. À 9 ans, j'ai fait ma première tentative de suicide. »

À 13 ans, elle entrait dans un centre jeunesse. Puis elle a été placée dans des familles d'accueil. Chaque fois, elle fuguait de la maison où elle était hébergée pour se réfugier... au centre jeunesse.

Ce comportement inhabituel a mis la puce à l'oreille des intervenants. L'adolescente a fini par avouer qu'elle ne se sentait pas en sécurité dans les familles. Elle a parlé de l'agression qu'elle avait subie.

« J'ai raconté mon histoire quatre fois. C'était douloureux d'en parler », a affirmé Martine Weizineau.

Elle s'est confiée à une responsable du centre jeunesse.

Elle a refait son récit à son travailleur social.

Un enquêteur de la police d'Obedjiwan est venu recueillir son témoignage.

Puis un enquêteur de la Sûreté du Québec a pris le dossier en main.

L'affaire est restée lettre morte.

« Je n'ai jamais eu de nouvelles. C'est comme si on avait mis ça sous le tapis. J'ai senti ça comme une humiliation. Comme de rire de moi et de mon histoire. Je n'ai jamais osé demander ce qui arrivait. J'étais très renfermée. »

UNE NOUVELLE VICTIME

Près d'un quart de siècle plus tard, en janvier 2016, Martine Weizineau travaillait comme intervenante à la maison des jeunes d'Obedjiwan lorsqu'elle a appris qu'une jeune fille avait été victime d'une agression sexuelle. « J'ai tout de suite su qui l'avait fait. J'ai deviné que c'était lui. »

Une collègue lui a confirmé ses soupçons et lui a suggéré de porter plainte à nouveau. 

« J'ai réfléchi pendant deux semaines. Je ne croyais plus à la justice. Mais j'ai imaginé la petite fille et je me suis dit que si personne ne faisait rien, ça ne changerait pas », a dit Martine Weizineau.

Sans compter que le suspect travaillait alors dans une école secondaire. « Je me suis fait plein de scènes dans ma tête. »

Elle a porté plainte au corps de police de la communauté autochtone. L'agresseur a été arrêté trois semaines plus tard et a comparu devant un juge. Il a été relâché sous promesse de se présenter devant la cour à une date ultérieure. « Il ne s'est pas présenté », dit Mme Weizineau.

Un mandat d'arrêt a été lancé contre lui. Il a fallu des mois pour qu'il soit exécuté. « Il était dans la communauté. Il faisait sa vie. Je l'ai même croisé une fois. J'ai appelé la police pour savoir pourquoi ils ne l'arrêtaient pas. J'ai appelé au bureau du procureur pour savoir pourquoi ils ne l'arrêtaient pas », raconte la victime.

Elle dit avoir terminé son contrat à la maison des jeunes « de peine et de misère » et avoir fui la communauté, où elle ne se sentait plus en sécurité. Son agresseur a finalement été arrêté en août 2017 pour une affaire de non-respect de conditions dans un autre dossier. Son procès pour agression sexuelle a eu lieu en novembre. Il vient d'être déclaré coupable. Il est détenu en attendant sa peine.

Aujourd'hui, Martine Weizineau étudie en éducation spécialisée. Elle rêve de retourner un jour travailler chez les siens. Maintenant que l'homme qui l'a agressée est derrière les barreaux, elle croit en être capable.

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DISCRIMINATION ETHNIQUE


La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik accuse des établissements spécialisés en déficience physique et intellectuelle de faire de la « discrimination basée sur l'ethnicité » et de facturer illégalement des centaines de milliers de dollars par année pour accueillir un patient du Nord. Selon la Régie, le Centre de réadaptation de l'ouest de Montréal réclame des frais interétablissements jusqu'à 630 % plus élevés pour traiter un Inuit qu'un client de n'importe où ailleurs au Québec. En 2012, l'établissement aurait carrément refusé de prendre un patient pour qui il avait pourtant une place si la Régie ne payait pas 150 000 $. La Régie a refusé. Il a fallu l'intervention d'un sous-ministre pour régler la situation.

« On a commencé à se dire que le Nunavik était peut-être la vache à lait de certains organismes », a dénoncé devant la commission d'enquête Yoan Girard, directeur de la programmation et de la planification. Il n'y a pas de services spécialisés en réadaptation dans le Grand Nord québécois. « Est-ce qu'on envoie notre jeune au Sud, où il va y avoir un clivage avec la famille, une perte de culture et des valeurs, ou on le garde "parqué" dans nos CHSLD, où il est exposé à des maladies comme la tuberculose et des infections nosocomiales et où il ne recevra pas les services dont il a besoin pour se développer à son plein potentiel ? »

TROIS PATIENTS « PERDUS »

La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik a admis hier avoir « perdu » trois patients dans les « craques » du système. Yoan Girard a raconté que l'organisme a découvert en 2012 l'existence de trois clients vivant dans des ressources intermédiaires d'hébergement en déficience physique ou intellectuelle du Sud dont on avait complètement oublié l'existence. « On a reproduit le système des écoles résidentielles. Ces clients ont un jour quitté dans un avion. Ils ont été placés dans un centre d'hébergement et leurs familles n'ont plus jamais eu de nouvelles, a dit M. Girard. On en a fait des Occidentaux. Ils ne connaissent pas leur famille. Ils ne savent pas d'où ils viennent. »