Spécialiste de la géographie du genre, Yves Raibaud est enseignant-chercheur à l’université Bordeaux-Montaigne. Il est l’auteur de La Ville faite par et pour les hommes (Belin, 2015).
Vous dénoncez depuis longtemps la banalisation du harcèlement des femmes dans l’espace urbain et ses conséquences sur leurs droits. Avez-vous été surpris par la libération de la parole sur ce sujet ?
Cette prise de parole corrobore nos études de géographie sur la place des femmes dans la ville et le harcèlement de rue. Le sentiment d’insécurité y est totalement asymétrique : la nuit, on constate une baisse de fréquentation des rues piétonnières de 25 % à 50 % pour les femmes, qui adoptent des stratégies d’évitement.
Quand des lieux publics ou des lignes de bus ne sont plus fréquentés que par des hommes, il existe une discrimination devant l’impôt. Ce qui est choquant, c’est que cette situation ait été acceptée si longtemps par les pouvoirs publics.
Vous montrez que les institutions sont loin d’être neutres et favorisent la place des hommes en ville. De quelles façons ?
Nos études sur l’offre de loisirs montrent que, à Bordeaux, les deux tiers des activités mises en place par les pouvoirs publics sont destinées aux garçons. Quand on s’intéresse à d’autres villes en Europe, on trouve un chiffre équivalent.
On considère d’intérêt général que les jeunes garçons puissent libérer leur énergie sur un terrain de football ou un skatepark, des espaces dont on ne dit jamais qu’ils sont non mixtes mais qui, de fait, sont des terrains masculins.
L’exclusion spatiale commence dès la cour de récréation. Comment cela se passe-t-il ?
A l’école, le terrain de foot est souvent situé au milieu de la cour et accaparé par les garçons. Avec ce ballon qui roule, les filles apprennent à esquiver, à pratiquer des jeux qui ne prennent pas de place. Cet aménagement est porteur de sens, il construit l’inégalité en inscrivant dans l’éducation que les garçons sont au centre et les filles en périphérie. On attribue souvent aux filles la responsabilité de ne pas « aimer » le sport. Mais lorsqu’on les interroge, elles racontent des expériences douloureuses d’exclusion et de moqueries.
Est-ce le signe d’un échec de la mixité ?
C’est l’échec d’une certaine mixité. Dans ce domaine, en Europe, on n’a fait que la moitié du chemin. On s’accorde pour affirmer que filles et garçons doivent avoir les mêmes chances, mais on considère qu’il est prioritaire de canaliser la violence des garçons, et normal que des lieux publics soient accaparés par des collectifs produisant du virilisme, du sexisme et de l’homophobie. Ponctuellement, certaines villes reviennent à des espaces non mixtes. A Malmö (Suède) ou à Genève (Suisse), les municipalités ont ainsi mis en place des journées réservées aux filles dans les skateparks, afin qu’elles puissent reconquérir ces espaces.
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