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    01/03/2018

    Pour les médecins, c’est l’école de la débrouille

    Les lesbiennes, grandes oubliées de la prévention sexuelle

    Par Manon Walquan

    Difficile, pour les lesbiennes, de trouver les informations médicales dont elles ont besoin. Les médecins qu’elles consultent sont souvent peu informés sur leur santé sexuelle, ou remplis de préjugés.

    « Je suis allée voir une gynéco, puis une deuxième, avant de voir une médecin généraliste qui m’a enfin apporté des infos. En tout, j’ai mis quatre mois à faire une prise de sang. » Dans un café d’Oberkampf, Caroline, 26 ans, bonnet vissé sur la tête, raconte sa galère pour se faire dépister. Depuis plusieurs mois, elle fréquente une fille. « J’étais inquiète, j’avais peur d’avoir pris des risques avec elle. » Mais impossible de trouver les informations médicales dont elle a besoin. Un manque d’informations souvent doublé par les préjugés des médecins selon Dorothée, 32 ans. Elle se souvient de sa première visite chez la gynéco de sa mère :

    « Je venais la consulter pour un traitement de mycoses. Je lui ai dit que j’étais en couple avec une femme. Elle m’a dit que tant que je continuerais à avoir ce type de rapports sexuels, ça m’arriverait. »

    Si les cours d’éducation sexuelle et les campagne de préventions se sont normalisées dans les écoles et les cabinets médicaux, ils concernent la plupart du temps la sexualité hétérosexuelle. Dur dur de trouver des informations sur la santé des lesbiennes.

    Des risques aussi chez les lesbiennes

    « Lorsque j’étais avec des garçons, je ne me posais même pas la question de la protection : elle était évidente. Depuis que je suis avec des filles, je n’ai pas du tout le même réflexe », explique Mélina, 23 ans. Les femmes peuvent se transmettre sexuellement des IST, comme la chlamydia ou l’herpès. Mais faute d’accès à l’information, seulement un quart des lesbiennes se protègent.

    Les spécialistes conseillent quelques astuces pour éviter les risques : porter des gants lors de pénétrations ou utiliser une digue dentaire – un carré de latex – avant de réaliser un cunnilingus. Toutefois, les digues dentaires ne se trouvent que très rarement en pharmacie. Pour s’en procurer, il faut aller dans des sexshops ou sur Internet.

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    Des assos ont créées des brochures sur la santé sexuelle à destination des lesbiennes. Crédit : Manon Walquan /

    D’après l’“Enquête sur la sexualité en France de 2008”:https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france—9782707154293.htm, les femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes ont 12% plus de probabilité de contracter une IST (infections sexuellement transmissible). Les raisons ? Elle consultent moins les gynécos que les hétéros et se font souvent diagnostiquer plus tardivement les IST. Comme le raconte Dorothée :

    « Avant ma PMA, j’ai été voir un gynéco pour faire des examens. J’ai été testée positive à l’hépatite C. Après des examens approfondis, on a découvert que j’avais eu l’hépatite C et que ça s’était guéri. Jamais personne ne s’en était rendu compte. »

    LE MANQUE DE FORMATION DES SOIGNANTS

    « J’ai fait mes études dans les années 70. À cette époque, on ne parlait pas d’homosexualité », rembobine Nathalie Fourquin, sage-femme au Planning familial des Bluets. « Je ne sais pas grand-chose sur la prévention. Je ne saurais pas quels conseils donner aux femmes qui viendraient me voir », explique, quant à elle, Clara Matignon, sage-femme tout juste diplômée de 23 ans, qui travaille à la maternité de Port-Royal, à Paris.

    Les lesbiennes sont majoritairement absentes des programmes des étudiants en médecine. Elsa Dechézeaux est externe à Paris 7. Elle raconte n’avoir jamais eu de cours spécifique sur le sujet :

    « Pour le concours de l’internat que je prépare, j’étudie avec l’ouvrage de référence, “Gynécologie Obstétrique”. À aucun moment le livre ne mentionne les lesbiennes dans les chapitres de prévention sexuelle. La seule fois où l’homosexualité féminine est évoquée, elle est identifiée à une cause possible du vaginisme. »

    Le vaginisme étant… une contraction réflexe des muscles du vagin empêchant la pénétration, qui serait alors causé par « une tendance homosexuelle latente ».

    Dans les énoncés du concours d’internat, comme chez les sage-femmes, on retrouve le même problème. « Il n’existe pas de profil de patient “lesbienne” », regrette le médecin généraliste Baptiste Beaulieu. Résultat, pour les professionnels en exercice ? C’est souvent l’école de la débrouille. Ce que regrette la sage-femme Nathalie Fourquin :

    « Je suis allée me renseigner sur Internet par moi-même. Je savais quoi dire aux garçons gays qui venaient me voir, mais je me demandais si c’était la peine de se protéger pour les filles. »

    Les formations continues restent encore très aléatoires. Marielle, médecin en santé publique et youtubeuse sur la chaîne « Viens voir le docteur » explique :

    « Il existe des formations transversales à la fac sur les questions d’infectiologie. Mais elles ne traitent pas forcément la question de la prévention pour les lesbiennes. Cela dépend souvent de l’intervenant et de son intérêt pour la “santé communautaire”. »

    LES TABOUS DES SOIGNANTS

    Au-delà du manque de formation, beaucoup de soignants n’envisagent pas forcément que leur patiente puisse avoir une vie sexuelle avec une autre femme. Lors de la première consultation, le rituel du soignant est d’adresser une série de questions à la patiente sur sa santé sexuelle et ses pratiques. Mais bien souvent, les questions se concentrent sur la contraception. « Il y a peu de situations où ces femmes peuvent parler de leurs relations sexuelles. Les soignants ont une approche hétérocentrée. Ils ont des normes qui excluent des femmes, et contribuent à les laisser dans l’ombre », regrette Cécilia Giles, étudiante sage-femme, qui prépare un mémoire sur les consultations gynécologiques des lesbiennes.

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    Quelle contraception pour les lesbiennes ? / Crédits : Manon Walquan

    Beaucoup de soignants expliquent leur frilosité par un respect de la vie privée de leurs patientes. Bettina Hommais, gynécologue dans le 18e, n’interroge pas ses patientes sur leurs partenaires sexuels :

    « Ce n’est pas à moi de poser la question. Les femmes peuvent en parler elles-mêmes si elles le souhaitent. »

    Pourtant, nombre d’entre elles n’osent pas se dire lesbiennes à moins d’être questionnées explicitement. Ce que suggère Axelle Romby, médecin-sexologue dans un centre de santé communautaire : « On peut systématiquement demander aux femmes : êtes-vous en couple avec un homme ou avec une femme ? ». Et pour les mettre en confiance, des solutions simples existent. Comme diffuser des brochures spécifiques d’information sur la prévention sexuelle des lesbiennes dans les cabinets médicaux.

    DES ALTERNATIVES ASSOCIATIVES

    Face à ces lacunes, des structures communautaires ont pris le relais. Différentes associations ont réalisé des brochures en partenariat avec des soignants. L’association féministe lesbienne Fières organise aussi des ateliers de prévention sexuelle. Salomé, membre de Fières, raconte faire avec les moyens du bord :

    « Comme il n’existe pas d’outils de prévention, nous bricolons les nôtres. Nous distribuons un pochon avec un lubrifiant, deux capotes (pour faire des digues dentaires, ndlr) et un tuto. »

    Le collectif Gyn&co, lui, a mis en place un annuaire de soignants féministes, qui comprend une liste lesbofriendly. À Paris, il existe également des centres de dépistages réservés à la communauté LGBT, comme le Kiosque Infos Sida. Des initiatives qui ont toutefois du mal à sortir du cercle militant et reste trop souvent confidentielles.

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