INTERVIEWMarlène Schiappa veut dire aux femmes «que la République les protège»

Violences sexuelles et sexistes: Marlène Schiappa veut dire aux femmes «que la République française les protège»

INTERVIEW« 20 Minutes » a interviewé la secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes qui présente ce mercredi le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes…
Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité hommes-femmes, le 19 mars 2018 à Paris.
Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité hommes-femmes, le 19 mars 2018 à Paris. - NICOLAS MESSYASZ/SIPA
Propos recueillis par Oihana Gabriel et Laure Cometti

Propos recueillis par Oihana Gabriel et Laure Cometti

Elle est sur tous les fronts depuis plusieurs mois déjà. Marlène Schiappa, la très médiatique secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes, va présenter ce mercredi en Conseil des ministres le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.


20 Minutes l’a interviewée pour parler de ce texte qu’elle portera avec la Garde des Sceaux Nicole Belloubet, de son action au gouvernement et de sa vision d’une société plus égalitaire.

Ce projet de loi, qui sanctionne tant le harcèlement de rue que le cyber-harcèlement et les viols sur mineurs, n’est-il pas trop large ?

Je trouve au contraire qu’il est restreint ! Ce texte ne vise pas à faire de la prévention, mais à mieux condamner les violences sexistes et sexuelles.

Concrètement, comment l’amende pour outrage sexiste pourra être appliquée ?

Si une femme est suivie, injuriée, menacée, un policier, formé à repérer ce genre d’outrage sexiste, pourra mettre une amende en flagrant délit. Les agents de sécurité des transports pourraient être impliqués. Je suis bien consciente qu’il n’y aura pas un policier derrière chaque victime, mais c’est une mesure pédagogique qui aura valeur d’exemple. La loi doit poser un interdit et ensuite, charge à nous de la faire respecter. Quand il y aura la première amende pour outrage sexiste, ça aura un retentissement. L’idée c’est aussi d’envoyer le message aux femmes que la République française les protège.

Lors du Tour de France de l’égalité hommes-femmes, un sujet que vous n’aviez pas repéré a-t-il émergé ?

Oui, ou en tout cas pas dans ces proportions : quel que soit leur milieu social, tous les jeunes que nous avons rencontrés ont cité le cyber-harcèlement comme étant leur première préoccupation. C’est pourquoi nous l’avons intégré au projet de loi, qui élargit la définition du harcèlement en ligne. Concrètement, lorsqu’une personne est victime d’une attaque coordonnée de plusieurs internautes, un raid, chaque cyber-harceleur pourra être sanctionné, même s’il n’a envoyé qu’un tweet, ou qu’un message.

En plus de ce projet de loi, le gouvernement a annoncé un plan ambitieux pour l’égalité hommes-femmes. Quelles autres nouveautés sont envisagées ?

On a décidé de créer une plateforme de géolocalisation des places en hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences, accessible uniquement aux professionnels. Jusqu’à présent, le plus souvent, ni les forces de l’ordre, ni la justice, ni les associations, ni les médecins n’avaient la même information. L’Etat doit reprendre la main. Pendant très longtemps, en matière de droits des femmes, il a laissé les associations travailler, en les soutenant un peu, mais sans jouer un rôle moteur.

Nous allons aussi créer, avec Gérard Collomb, une plateforme sur laquelle les femmes pourront échanger avec des policiers spécialement formés. Il faut qu’elles continuent à porter plainte quand elles le veulent et que ça soit facile. Certaines femmes disent ne pas avoir été reçues par la police comme elles l’attendaient. Il peut y avoir des dysfonctionnements, qui doivent être signalés. Mais aussi un décalage parfois entre les attentes des victimes et le rôle de la police, qui n’est pas là pour réconforter, mais pour prendre la plainte et vérifier les faits. Cette plateforme précisera aux femmes le rôle de la police, et celui des associations. Le suivi psychologique est important aussi, c’est pourquoi nous créons des unités de prise en charge du psycho-trauma.

Justement, ces associations, en première ligne, se plaignent d’un manque de moyens…

En ce qui concerne les subventions, certains montants n’ont pas bougé depuis la fin du mandat de Jacques Chirac. On a créé un groupe de travail chargé d’étudier les dossiers un à un. Il faut passer d’une culture de l’action à une culture de l’efficacité. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas uniquement la sauvegarde des associations, mais comment on peut être utile pour chaque femme sur tout le territoire français.

Vous portez haut et fort cette lutte contre les violences sexistes et sexuelles mais est-ce que les accusations de plusieurs femmes contre deux de vos collègues au gouvernement ne portent pas préjudice à ce message ?

Je ne crois pas que mon message soit parasité. On respecte la présomption d’innocence, et pour Nicolas Hulot, je me suis exprimée dans une tribune car la première accusation de harcèlement sexuel a été démentie par la femme concernée. La deuxième plainte a été classée parce que les faits ne sont pas établis [selon les avocats de Nicolas Hulot]. En ce qui concerne Gérald Darmanin, la présomption d’innocence vaut pour lui comme pour la femme qui l’accuse. On verra ce que la justice dit, moi je fais mon travail, point.

Vous travaillez en étroite collaboration avec le ministre de l’Education nationale. Que comptez-vous faire pour améliorer l’éducation à la sexualité ?

Des « référents égalité femmes-hommes » seront nommés dans tous les lycées. Il s’agira d’enseignants, de proviseurs ou même d’élèves qui seront formés. Ils pourront aborder des sujets d’orientation ou des questions du quotidien, comme l’accès aux toilettes pour les filles. À partir de la rentrée prochaine, tous les élèves auront leurs trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, obligatoires aujourd’hui mais rarement respectées.

Vous publiez en mai prochain un recueil de lettres à vos deux filles, qu’espérez-vous en priorité pour la génération suivante ?

L’urgence, c’est la lutte contre le harcèlement de rue, qui entrave la liberté d’aller et de venir, donc de passer des entretiens d’embauche, faire des études, avoir une vie sociale, des loisirs, de façon sereine… J’ai entendu ma fille aînée, qui va avoir 11 ans, discuter avec une amie de techniques pour éviter d’être harcelée dans la rue : regarder droit devant soi, écouter de la musique. J’avais l’impression de m’entendre avec ma sœur quand on avait 15-16 ans… Et elles sont encore plus jeunes ! Non seulement on n’a pas avancé, mais on a régressé. Quand je serai grand-mère, si je n’entends pas mes petites filles préadolescentes dire qu’elles se font intimider dans la rue, je serai contente !

Avez-vous l’impression que cette jeune génération est particulièrement féministe ?

Complètement. C’est une génération très engagée et qui peut faire des choses extraordinaires. Je suis toujours révoltée d’entendre que ces jeunes sont égoïstes et se regardent le nombril. En mai 1968, on disait déjà ça… Tous les jeunes que j’ai vus, partout en France, avaient une conscience très aiguë des inégalités entre les hommes et les femmes, et des enjeux environnementaux. Cette génération est engagée, mais pas de la même manière que nos mères ou nos grands-mères : sans s’encarter, sans prendre de responsabilités institutionnelles, mais en étant activiste sur les réseaux sociaux, en organisant des mobilisations…

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