Cette femme Massaï se bat pour en finir avec l'excision

Publié le Jeudi 22 Mars 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Trois guides de safari Massaï à Laikipia, Kenya.
Trois guides de safari Massaï à Laikipia, Kenya.
Au Kenya, comme dans de nombreux pays d'Afrique, l'excision est encore massivement pratiquée sur les jeunes filles. Nice Leng'ete, jeune femme massaï âgée d'une vingtaine d'années qui a mené une lutte acharnée pour bannir cette mutilation infligée aux femmes de sa communauté.
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Dans le monde, une petite fille est excisée toutes les 4 minutes. Un fléau particulièrement répandu en Afrique, malgré des lois qui l'interdisent formellement, comme c'est le cas au Kenya, en Ouganda, en Guinée-Buissau, au Nigeria ou en Gambie. Cette mutilation génitale féminine (MGF) qui consiste en une ablation totale ou partielle du capuchon clitoridien, est considérée comme un rite de passage lorsqu'une petite fille est estimée en âge de se marier (même si en réalité, ce n'est encore qu'une enfant). Si cette tradition reste très ancrée en Afrique, elle n'en reste pas moins une violation des droits de l'homme. Cruelle et dangereuse, cette pratique peut entraîner de sérieuses infections, provoquer des hémorragies et la stérilité et parfois même conduire au décès.

Au Kenya, les hommes de la communauté Massaï ont désormais banni l'excision de leurs traditions. Une victoire que l'on doit à Nice Nailantei Leng'ete, une femme Massaï âgée de 27 ans, qui a réussi à échapper à l'excision en s'enfuyant de son village à l'âge de 8 ans. Nice, qui n'a donc jamais subi de MGF, n'était à l'époque pas reconnue comme une véritable femme parmi les siens. Ce statut lui a permis- contrairement à sa soeur qui a été forcée de se marier dès l'âge de 12 ans- d'aller à l'école et de suivre des études supérieures. Elle a notamment suivi une formation d'éducatrice avec l'Association Pour la Médecine et la Recherche en Afrique (Amref), première ONG de santé publique du continent.

"Je me suis dit que cela ne suffirait pas"

Il y a quelques années, Nice a décidé de retourner dans sa communauté Massaï, bien décidée à s'engager dans un combat de taille : sensibiliser les "Anciens" et les "Guerriers Morans" (qui détiennent le pouvoir) afin de les convaincre de renoncer à la tradition de l'excision. "J'ai commencé à aider les filles mais je le suis dit que cela ne suffirait pas. Car une fois qu'elles s'étaient enfuies et battues contre leur famille, où pouvais-je les emmener ? Donc, nous avons continué à nous battre avec la communauté et c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que nous devions trouver un moyen de leur parler", a expliqué Nice à BBC News.

Miser sur l'éducation pour combattre l'excision

Pour Nice, la partie était cependant loin d'être gagnée. Et pour cause : comme le veut la tradition, les femmes ne sont pas autorisés à s'adresser directement aux hommes qui détiennent le pouvoir. Cet obstacle n'a pas arrêté Nice dans son combat, même si il lui a fallu plusieurs années pour engager le dialogue et leur faire comprendre que les femmes de leur communauté pouvaient s'épanouir sans subir une mutilation.

Après des années de lutte acharnée et de nombreuses réunions, Nice a réussi à obtenir une réunion avec le conseil des anciens Massaï, qui se tient au Mont Kilimandjaro, devenant ainsi la première femme à s'adresser au conseil. L'événement a connu un succès historique, puisque les hommes de la communauté ont rapidement déclaré que les mutilations génitales féminines seraient interdites chez les Massaï vivant au Kenya et en Tanzanie. "Je savais que ce combat allait prendre du temps. C'est pourquoi j'ai misé sur l'éducation pour les convaincre. Nous devons vraiment investir dans l'éducation des filles de la même manière que nous investissons dans l'éducation des garçons", plaide Nice.

30% moins d'excisions au Kenya en 30 ans

D'après des chiffres communiqués par l'Organisation Mondiale de la Santé et l'UNICEF, le taux de femmes excisées a chuté de 30% en trente ans au Kenya. Ce progrès s'explique en partie par une loi adoptée en 2011 dans ce pays, qui condamne l'excision par une peine de 3 ans de prison, ou par la prison à vie si la mutilation (souvent pratiquée avec du matériel usé ou insalubre) a entraîné la mort de la personne.

Mais dans le reste du monde, le nombre d'excisions a augmenté de 70 millions depuis 2014. Selon l'association Excision Parlons-en !, environ 500 000 femmes adultes excisées vivent dans l'Union européenne, dont 53 000 en France.

Au cours de cette dernière décennie, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour lutter contre l'excision, à l'instar d'un réseau de militants nommé Y-Peer pour abolir les excisions en Somalie, ou de "I-Cut", une application créée par cinq adolescentes kenyanes, qui vise à dénoncer le caractère cruel et barbare de la MGF.