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Santé

En Allemagne, la lutte pour l'accès à l'avortement continue

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Une pancarte dénonçant les avortements à Munich en Allemagne le 20 mars 2018, dans la catholique et conservatrice région de Bavière
Une pancarte dénonçant les avortements à Munich en Allemagne le 20 mars 2018, dans la catholique et conservatrice région de Bavière
AFP - CHRISTOF STACHE

A l'énoncé du verdict qui la condamnait à 6.000 euros d'amende pour avoir informé ses patientes qu'elle pratiquait l'avortement, la gynécologue allemande Kristina Hänel a été "horrifiée". Mais aussi convaincue que "cela ne pouvait plus durer ainsi".

Menacée pour la même raison d'une sanction judiciaire, sa consœur de Kassel, Nora Szasz ne veut "en aucun cas" céder. "Nous n'avons pas peur!", affirment à l'AFP ces deux médecins prêtes à se battre devant la plus haute juridiction allemande.

Sur le site internet de leur cabinet, les deux spécialistes informent leurs patientes qu'elles pratiquent les interruptions volontaires de grossesse (IVG). "Une simple mention parmi douze autres opérations de chirurgie ambulatoire que je mène en tant que gynécologue", précise Nora Szasz, renvoyée devant le tribunal.

Car en Allemagne ce type d'information peut être assimilé à de la promotion voire de la publicité pour l'IVG, un délit passible de "jusqu'à deux ans d'emprisonnement ou une amende", selon l'article 219a du Code pénal.

- Strictement encadré -

La gynécologue Kristina Hänel, le 12 décembre 2017 alors qu'elle se rend à une conférence de presse à Berlin (dpa/AFP - Boris Roessler)
La gynécologue Kristina Hänel, le 12 décembre 2017 alors qu'elle se rend à une conférence de presse à Berlin (dpa/AFP - Boris Roessler)

Les démêlés judiciaires de ces deux gynécologues sont venus rappeler aux Allemandes que l'avortement reste strictement encadré par la loi, et que les médecins sont dissuadés de le pratiquer dans un pays pourtant à la pointe du combat pour les droits des femmes dans les années 70.

Ces dernières semaines, les responsables politiques se sont de nouveau emparés du sujet, une partie de l'opposition appelant à l'abrogation du "paragraphe 219a" au nom du droit des femmes à l'information.

Mais les conservateurs du parti chrétien-démocrate d'Angela Merkel s'y refusent et les sociaux-démocrates, leurs partenaires gouvernementaux, viennent de retirer une proposition de loi en ce sens afin de ménager le camp de la chancelière.

"C'est un anachronisme incroyable", s'emporte Verena Osgyan, élue des Verts au parlement régional de Bavière, rappelant que cet article avait été adopté en mai 1933, peu après qu'Adolf Hitler se soit arrogé les pleins pouvoirs.

L'IVG constitue encore aujourd'hui "un très grand tabou", diagnostique la gynécologue berlinoise Christiane Tennhardt. Et elle relève en pratique du parcours du combattant.

"En Allemagne, la législation est très compliquée et très contradictoire", confirme Jutta Pliefke de l'organisme public Pro Familia, chargé de conseiller les femmes en matière de grossesse ou de sexualité.

- Consultation obligatoire -

Quelque 100.000 avortements pour 790.000 naissances sont pratiqués en Allemagne. En France, le nombre atteint de 210.000 à 220.000 pour 800.000 naissances.

Une femme proteste contre les avortements à l'entrée d'un établissement de santé en Allemagne, le 20 mars 2018 (AFP - CHRISTOF STACHE)
Une femme proteste contre les avortements à l'entrée d'un établissement de santé en Allemagne, le 20 mars 2018 (AFP - CHRISTOF STACHE)

Une femme souhaitant avorter dans les 12 premières semaines de grossesse doit participer à une consultation obligatoire dans un centre agréé. L'objectif de cet entretien est "d'inciter la femme à poursuivre sa grossesse", selon le législateur, même si elle est au final libre de son choix.

Un "délai de réflexion" de trois jours est ensuite imposé.

Sauf exceptions (mise en danger de la vie de la mère, viol...), l'IVG, dont le coût peut atteindre plusieurs centaines d'euros, n'est pas remboursé par les caisses d'assurance maladie.

Dans certaines régions, notamment dans la très catholique Bavière, il faut parfois parcourir plus d'une centaine de kilomètres afin de pouvoir avorter.

Dans une partie de cette grande région du sud de l'Allemagne, on ne trouve aucun hôpital public ne menant l'intervention, si bien que certaines patientes choisissent de se rendre en Autriche voisine.

"Les médecins qui le font (encore) ont pour beaucoup dépassé depuis longtemps l'âge de la retraite", détaille l'élue Verena Osgyan.

- Vie des animaux -

Et la relève est loin d'être assurée, notamment car cet acte médical n'est pas inscrit dans le cursus universitaire des futurs médecins.

Comme il relève toujours du code pénal, aucun crédit de recherche n'est accordé et aucun congrès médical ne se penche sur cette thématique, déplore Pro Familia.

Et sur le plan politique, la droite conservatrice est vent debout contre une réforme éventuelle de la législation actuelle.

Le nouveau ministre de la Santé, le très conservateur et très ambitieux Jens Spahn, avance pour argument la nécessité de protéger "la vie humaine à naître". "Quand il s'agit de la vie des animaux, ceux qui veulent maintenant promouvoir l'avortement ne font pourtant aucun compromis", a-t-il avancé.

La gynécologue allemande Kristina Hänel lors d'une conférence de presse de Change.org à Berlin, le 12 décembre 2017 (dpa/AFP - Maurizio Gambarini)
La gynécologue allemande Kristina Hänel lors d'une conférence de presse de Change.org à Berlin, le 12 décembre 2017 (dpa/AFP - Maurizio Gambarini)

Ce responsable ouvertement homosexuel et détracteur de Mme Merkel s'est attiré de vives critiques, notamment des Verts qui l'accusent de "propager une image des femmes datant des années 50".

Le débat s'étend maintenant aux tests sanguins pour détecter la trisomie 21 qui, s'ils étaient remboursés, feraient grimper les avortements, accusent certains.

- "Combat oublié" -

Comme dans d'autres pays occidentaux, les militants anti-avortement sont repartis récemment en croisade, notamment sur internet. L'un d'entre eux, l'activiste Klaus Günter Annen, à l'origine de plaintes contre des gynécologues, compare l'IVG à Auschwitz.

"Je reçois en permanence des courriels de menace", raconte Kristina Hänel, tandis que des rassemblements silencieux ont lieu devant les antennes de Pro Familia à Francfort ou Munich.

Dans ce contexte, des médecins préfèrent retirer de leur site internet toute information sur le sujet et ne veulent pas apparaître dans les listes remises dans les plannings familiaux aux femmes désireuses de mettre un terme à leur grossesse.

"C'est le vrai scandale dont personne ne parle", juge le Dr Hänel. "C'est en consultant le site internet des militants anti-avortement qu'une femme peut obtenir une liste des médecins pratiquant l'avortement!", s'insurge-t-elle.

"Le combat (pour l'avortement) est un peu oublié" des féministes, conclut Jutta Pliefke de Pro Familia. "Or il faut urgemment se réapproprier ce thème" pour contrer "des forces réactionnaires particulièrement puissantes", estime-t-elle.

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