LETTRE DE BIRMANIE
Quand l’on débarque à Chome, village reculé des bords de la rivière Lamyo, au nord-est de l’Etat birman de l’Arakan et non loin de l’ancienne capitale royale de Mrauk U, personne ne peut échapper à l’attention de Daw Hla Sein : agitant les mains en direction du visiteur, la dame semble perpétuellement attentive à tout ce qui se passe autour d’elle.
Mais elle-même ne peut échapper à l’attention du voyageur en goguette sur ces confins de l’Etat Chin, qui porte le nom de l’ethnie à laquelle elle appartient et dont les premières montagnes barrent au loin l’horizon : à 65 ans, cette dame espiègle, bavarde et primesautière a le visage entièrement tatoué de lignes grises. Son sourire déforme la toile d’araignée qui lui tient lieu de maquillage.
« Daw » (Madame, en Birman) Hla Sein est l’une des dernières rescapées d’une tradition engloutie : dans ces villages de la Lamyo, ainsi que dans certaines vallées reculées du sud de l’Etat Chin, aucune femme de moins de soixante ans n’a plus le visage ainsi « décoré ». Cette mode ne sera bientôt plus qu’un objet un peu curieux d’études pour ethnologues en mal de bizarreries. Déjà, à la fin du XIXe siècle, quand débarquèrent sur ces mystérieuses hauteurs les premiers missionnaires étrangers, l’usage du tatouage des femmes commençait à décliner : le christianisme – désormais religion de 90 % des Chin – décourageait ces derniers de perpétrer cette habitude.
Femmes araignées aux masques étranges
L’usage n’était d’ailleurs en vigueur que dans quelques-unes des trente-six tribus que compterait les Chin. Les experts ne sont pas tous d’accord sur le nombre exact des sous-groupes ethniques composant l’ensemble de la population. De surcroît, après le coup d’Etat militaire de 1962 et l’arrivée au pouvoir du dictateur Ne Win, la pratique fut pour de bon interdite. Sous prétexte de « civiliser » les tribus.
Ne reste donc plus aujourd’hui qu’une poignée de ces femmes araignées aux masques étranges, reliques d’un univers en transformation. Même si l’Etat Chin, situé aux confins de l’Inde et du Bangladesh, reste la région la plus pauvre et la plus démunie de la « République de l’Union du Myanmar », nom officiel de la Birmanie.
« C’est ma culture, vous savez », explique Hla Sein, comme pour s’excuser, en montrant le maillage de lignes grises quadrillant son visage, dont le temps a légèrement atténué les couleurs. C’est à neuf ans, comme beaucoup de fillettes de l’époque, qu’elle dû passer sous le scalpel d’une tige de canne à sucre maniée par un tatoueur spécialisé.
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