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Canada : le drame occulté du féminicide autochtone

De longues années et plusieurs rapports d’ONG sur les disparitions et assassinats d’Amérindiennes auront été nécessaires pour qu’une commission d’enquête soit ouverte.

Par  (Montréal, Fort St John, Prince George, Vancouver, envoyé spécial)

Publié le 13 avril 2018 à 12h08, modifié le 15 avril 2018 à 10h03

Temps de Lecture 13 min.

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« Portée disparue ». Madison Scott, Amérindienne, a disparu à 20 ans, en 2011, sur l’autoroute 16 (Prince George, Colombie-Britanique, Canada).

C’est une longue coulée d’asphalte bordée de villages et de forêts grises, un tronçon de 700 kilomètres de l’autoroute 16, qui sinue le long de hautes collines sous un ciel rétréci. En Colombie-Britannique, province de l’extrême ouest canadien, entre les villes de Prince George et Prince Rupert, les grands espaces sont à peine perturbés par une poussive procession de poids-lourds. Sur le bas-côté, des croix et quelques bougies. Des photos aussi, avec des messages posés à même la neige. Plus loin, un premier panneau avec la photo d’une jeune femme au sourire éclatant. Madison « Maddy » Scott. Elle n’a plus donné de nouvelles depuis 2011. Elle avait 20 ans, et portait un petit oiseau tatoué sur l’avant-bras.

97 Highway (Alaska Highway). Colombie-Britanique, Canada, 2017.

Maddy est l’une des 46 femmes disparues ou assassinées, depuis 1969, le long de cette « autoroute des larmes », comme les riverains l’ont surnommée. Des victimes jeunes dans leur très grande majorité ; les trois quarts d’entre elles étaient adolescentes. Autochtones aussi, ou indigenous, « indigènes » en anglais, comme on dit ici, pour se référer à la fois aux Amérindiens, aux Inuits et aux Métis. « C’est dangereux d’être une femme ici, surtout une femme autochtone », souffle Brenda Wilson. Cette Indienne Sekani, à la voix basse et lente, emplie de colère contenue, dirige depuis une dizaine d’années une association d’aide et de prévention contre la violence faite aux femmes de la région. Elle-même a perdu sa sœur Ramona, un soir de juin 1994. Elle était partie rejoindre ses amis pour assister à un spectacle de danse. Son corps a été retrouvé dix mois plus tard, dans les bois, à quelques mètres de l’autoroute. Elle avait 16 ans.

Plus de larmes que d’encre

Comme la majorité des disparitions et des meurtres, l’assassinat de Ramona n’a pas été élucidé. « On aurait dit qu’une chappe de silence s’était abattue sur le sort de ces filles », se souvient Brenda Wilson. A l’époque, la faiblesse de la couverture médiatique a même incité plusieurs observateurs à dire que les larmes avaient plus coulé que l’encre. Il a fallu qu’une jeune femme non autochtone de 26 ans, Nicole Hoar, disparaisse le long de cette même autoroute, en 2002, pour que le public découvre progressivement l’ampleur du phénomène.

Vanessa Napoleon sur la balcon de la maison de sa soeur Pamela, enlevée à son domicile et assassinée en 2014. Réserve de Blueberry River First Nations, Colombie-Britanique, Canada, 2017.

Deux ans plus tard, un rapport d’Amnesty International, intitulé « Sœurs volées », lève le voile sur les violences subies par les filles et femmes autochtones. Pour la première fois, cette tragédie nationale est exposée au public : l’« autoroute des larmes » n’apparaît plus que comme une partie émergée d’un immense iceberg. Le document dénonce des « menaces omniprésentes et généralisées ». Avec force détails et multitude d’exemples, déclinés sur une trentaine de pages, il jette une lumière crue sur l’« isolement et la marginalisation sociale » des femmes autochtones au Canada, sur le racisme, le sexisme, les « préjudices culturels », la « discrimination systémique » et la « violence de genre » qu’elles subissent. Sur les négligences, aussi, dont se sont rendues coupables les autorités. Contre toute attente, le Canada, à la tradition de tolérance et de consensus social, renvoie soudainement l’image d’un pays en proie à une épidémie insoupçonnée d’assassinats et de violences misogynes.

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