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Femmes

Egalité femmes/hommes : plus d'échappatoire!

Si beaucoup d’entreprises sont prêtes à jouer le jeu, les écarts de salaires sont encore estimés entre 9 et 18%. Le gouvernement a décidé de s’y attaquer avec une loi. En passant de l’obligation de moyens à celle de résultats.

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La ministre du Travail Muriel Pénicaud, la directrice générale de Gecina Méka Brunel, Emmanuel Macron et la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, dans les locaux de la société foncière, le 8 mars. A partir de 2020, les entreprises de plus de 50 salariés devront, en cas d’écart, consacrer une enveloppe au rattrapage salarial pour les femmes. Sinon, elles seront sanctionnées.

La ministre du Travail Muriel Pénicaud, la directrice générale de Gecina Méka Brunel, Emmanuel Macron et la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, dans les locaux de la société foncière, le 8 mars. A partir de 2020, les entreprises de plus de 50 salariés devront, en cas d’écart, consacrer une enveloppe au rattrapage salarial pour les femmes. Sinon, elles seront sanctionnées.

Pierre Villard/Sipa

L’objectif affiché par Muriel Pénicaud est d’en finir avec les 9 % d’écarts de salaires « à poste égal ou de valeur égale », soit « la partie injustifiée de l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes, celle qui ne s’explique pas par des critères objectifs », selon la rue de Grenelle. Le gouvernement a préféré s’attaquer à ce chiffre qui correspond à « la discrimination pure », telle qu’elle est constatée au sein des entreprises. Il n’ira pas plus loin, pour l’instant. Or l’Insee estime aujourd’hui les inégalités à 18,6% sur l’ensemble des contrats à temps plein, quelles que soient les situations. Pour l’économiste Rachel Silvera, auteure d’Un quart en moins, ouvrage de référence sur le sujet, c’est une trace de l’Histoire. « En France, le travail des femmes a longtemps été considéré comme secondaire - on y compte encore 30% de temps partiels - et leur revenu comme un salaire d’appoint. »

Arsenal législatif et amendes

« Les stéréotypes influencent encore fortement les représentations des employeurs », précise Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Les femmes sont souvent jugées comme moins disponibles… Soit leurs carrières sont moins longues à cause des congés maternité, soit les employeurs l’anticipent, quand l’âge moyen du premier enfant est atteint. C’est dans cette période que la différence salariale entre femmes et hommes se noue souvent, comme en témoignent les pratiques des entreprises en France et qui a été neutralisée ou presque par la Suède, pays pionnier en la matière.

Pourtant l’arsenal législatif existe. Le premier texte sur l’égalité professionnelle date de 1986. Depuis il n’a cessé de s’étoffer en 2001, 2002 puis en 2006. Sans effet véritable. «L’égalité professionnelle n’est jamais une priorité pour les employeurs, affirme Marie-Andrée Séguin, secrétaire nationale de la CFDT, peu connue pour ses diatribes antipatrons. Surtout, il n’y avait pas de sanctions avant 2012. » Cette année-là, justement, la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem introduit une petite révolution : toutes les entreprises de plus de 50 salariés devront négocier un accord relatif à l’égalité professionnelle avec leurs représentants du personnel, comprenant des mesures favorisant l’articulation entre vie privée et professionnelle, la promotion des femmes et la mise en place d’une « enveloppe de rattrapage salarial » pour les oubliées. Avec une amende à la clé en cas de non-respect de la loi.

Déceptions à Engie et EDF

Dans la pratique, cette nouvelle « obligation de moyens » se soldera par un semi-échec. Beaucoup d’employeurs ont été effrayés par l’aspect contraignant et le coût des rattrapages salariaux à un moment où leurs marges étaient encore fragiles. « Seules 34% des entreprises de 50 à 299 salariés ont signé un accord », rappelle ainsi la « contribution au Tour de France de l’égalité » du Conseil économique et social, publiée en janvier 2018. Les négociateurs « méconnaissent souvent cette thématique. Les plans et accords sont de simples rappels à la loi sans objectif, stratégie, ni indicateurs chiffrés pour parvenir à l’égalité », regrette le Conseil.

Engie, par exemple, a beau avoir été la première entreprise du CAC 40 dirigée par une femme, Isabelle Kocher, l’entreprise a vu son accord 2015-2017 retoqué par l’Inspection du travail, faute d’objectifs chiffrés. Le nouvel accord signé en décembre dernier s’intéresse désormais à la mixité des métiers et au déroulement de carrière. Autre déception : EDF, qui avait obtenu le « Label égalité professionnelle » pour son accord de 2014, l’a perdu. Le nouveau texte signé en 2017 « constate un écart de salaires général de 17% et une partie injustifiée de 5%, se désole une déléguée du personnel CGT. Mais aucune enveloppe dédiée au rattrapage salarial n’a été prévue. »

Tirs de barrage patronaux

La situation économique des entreprises s’améliorant, le gouvernement leur donne trois ans pour trouver l’équilibre tant attendu. La méthode Pénicaud sera-t-elle efficace ? Sur les 9% des inégalités « non justifiées » sûrement, car elle transforme l’obligation de moyens en obligation de résultat. Mais tout n’est pas joué : la concertation sur le texte, programmée jusqu’au 4 mai prochain avec les partenaires sociaux, est en train de se durcir. Le Medef avait d’abord fait appel dans sa délégation à Armelle Carminati-Rabasse, entrepreneuse et spécialiste de ces questions. Lors de la réunion du 5 avril sur les violences sexistes, une nouvelle délégation patronale a fait deux heures de tirs de barrage contre toutes les mesures obligatoires. La CPME, elle, prévient que « les entreprises vont prendre des contre-mesures, s’adapter en refaisant les intitulés de postes ». Son vice-président national, Jean-Michel Pottier, enfonce le clou : « On n’est pas contre l’égalité, mais on s’oppose à la complexité administrative. » Il aurait préféré un système d’incitation pour les entreprises vertueuses.

« Arrêtez avec ça, ça fait trente cinq ans qu’on fait de l’incitatif et ça ne marche pas du tout ! », aurait lâché une Muriel Pénicaud agacée. Prudence donc. Y compris du côté des syndicats. « On se félicite de la reprise d’une partie de nos revendications, avance Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT en charge de ces questions. Pour l’instant, le gouvernement souhaiterait garder l’âge, l’ancienneté et le diplôme, ce qui serait très efficace, mais je doute que le patronat laisse passer. » Le Medef effectivement temporise : « La lutte contre ces inégalités peut passer par différentes voies et pas uniquement financières. Nous ne croyons pas à l’efficacité, à défaut à la faisabilité, d’un logiciel unique. »

Tout le monde a pourtant intérêt à construire de façon consensuelle les conditions de l’égalité salariale. Car, si les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord, le débat risque de se déplacer devant les tribunaux : de l’industrie à la banque, des entreprises du CAC 40 aux PME, les procès en discrimination se multiplient. Comme les motifs de recours : inégalités strictes de rémunération, retard dans l’évolution professionnelle, retours de congés maternité mal gérés ou licenciements abusifs… « Nous utilisons la méthode Clerc qui compare l’évolution de carrière d’une femme à une poignée de collègues hommes entrés dans l’entreprise la même année avec un même niveau de diplôme, témoigne maître Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate spécialisée sur le sujet. Et les discriminations sont plus fréquentes qu’on ne pourrait le penser. » Selon plusieurs arrêts et jugements de cours d’appel, la Société générale, la RATP, le Bureau Veritas, la SNCF, Colgate-Palmolive et Hispano-Suiza (filiale de Safran) ont déjà été condamnées. D’autres procédures sont en cours contre Credit suisse, le Crédit agricole, IBM, Sopra Steria, STMicroelectronics, les Galeries Lafayette, PSA, KPMG, Sodexo…

BNP Paribas condamnée

Les femmes cadres s’impatientent en particulier dans les entreprises où la prime est une grosse composante du salaire et une source majeure d’inégalité. En 2010, la Cour d’appel de Paris a ainsi condamné BNP Paribas à verser 351 000 euros à une salariée brillante, diplômée d’HEC, dont la carrière a été ralentie par ses congés maternité. L’affaire Marie-Guyty Niel - du nom de la plaignante - a fait date car la Cour d’appel a relevé « une inégalité générale de traitement entre les hommes et les femmes dans l’entreprise». Depuis, la banque s’efforce de gommer ces inégalités, mais elle est de nouveau sous le coup de poursuites pour discrimination en raison du sexe… Preuve que le sujet ne se règle pas qu’avec de la bonne volonté.

Des inégalités salariales tenaces

«Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.» Tel est le principe posé par l’Article L3221-2 du Code du travail. Pour éviter des écarts salariaux au seul motif que femmes et hommes ne font pas la même chose, le législateur a défini cinq indicateurs transversaux de la « valeur du travail » : le diplôme, le niveau de qualification, celui de la responsabilité, l’expérience acquise et la charge physique et nerveuse. Une équation d’emblée complexe. Et, pour la résoudre, comme le montre l’enquête réalisée par Challenges sur l’égalité salariale, chacun affûte sa méthodologie (voir p. 49). Si l’obligation légale d’émettre un « rapport de situation comparée » fournit un socle de données brutes, « ces rapports sont difficiles à utiliser, car il n’y a pas une norme précise, décrit Denis Lesigne, directeur capital humain chez Deloitte. Chaque entreprise peut construire un état dans sa logique propre ». La mesure des rémunérations médianes ou moyennes, souvent calculées sur le salaire fixe, s’appuie sur l’indicateur « équivalent temps plein ». Avec deux inconvénients : elle neutralise l’impact des revenus à temps partiel, majoritairement féminins, et surtout ne tient pas compte des primes. Or c’est sur la rémunération variable - qui concerne en France un cadre sur deux d’après le baromètre Expectra 2017 - que se jouent les plus grands écarts : les objectifs les plus rémunérateurs étant, dans certains secteurs, proposés systématiquement aux hommes.

 

« Les entreprises conditionnent rarement les primes variables à des objectifs sociaux notamment d’égalité professionnelle », poursuit Tanguy d’Orange, analyste chez Syndex, un cabinet d’expertise au service des représentants des salariés.

Autre critère difficile à mesurer : le profil du secteur et des métiers. Un DRH sera toujours moins bien payé qu’un directeur financier, et les femmes restent minoritaires au sein de certains bastions masculins, plus rémunérateurs. Dans leurs réponses, les entreprises du secteur informatique sont ainsi unanimes : la surreprésentation masculine favorise d’autant moins l’égalité salariale que les hommes occupent, en outre, les fonctions hiérarchiques les plus élevées. Enfin, il arrive que la statistique soit trompeuse. « Il est difficile de disposer de comparaison stable dans le temps », explique l’assureur Covea. Le parcours des femmes est plus complexe : « Les promotions sont importantes dans les tranches d’âge où les femmes ont des enfants, regrette Cristina Lunghi, déléguée générale du Fonds Arborus, en charge du label Gender Equality European & International Standard (GEEIS). Et il n’est pas rare que ces dernières, en congé maternité, sautent une évaluation annuelle ou soient évaluées sur une partie de l’année. » C’est sur ces process que les entreprises labellisées GEEIS agissent pour rétablir l’égalité.
A tous ces obstacles s’ajoute souvent un autre : « les biais inconscients de la part des managers ou des collaborateurs et des collaboratrices ». Sans nul doute les plus difficiles à mesurer et à faire évoluer.

SOURCE : LES 250 PORTRAITS STATISTIQUES STRUCTURELS, DARES, MARS 2018

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